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3 mars 2021

Inter[re]view : Egregore Collective, le crew toulousain qui revitalise la bass music française

par Smaël Bouaici

Avec le deuxième volume de sa compilation Club Drums, sorti mi-novembre, le label toulousain Egregore Collective montre qu’il n’y a pas qu’en Angleterre qu’on sait faire du bon breakbeat.

Webradio devenue label et orga de fêtes, Egregore Collective est un petit bout d’Angleterre en Occitanie, comme un morceau de Brexit régurgité. Leur première sortie en juin 2018 était accompagnée d’un message sans équivoque, in english évidemment : “Unighted 001 is here to show how UK club music is felt in Toulouse”. Depuis, ses cinq membres (Kaval, Qant, Stacktrace, Algo_Riddim et Squadra) travaillent pour faire vivre chaque branche de cette scène, mixant dans leurs sorties (16 à ce jour) UK funky, dubstep, jungle, breakbeat, dancehall…, avec des touches de kuduro et d’afro-house. En six titres, ce Club Drums vol.2 balaye le spectre de la bass et de la musique de soundsystem avec une inventivité et une intensité qui donnent des envies de danser sur un gros soundsystem, là, tout de suite. “L’idée de départ était de monter un projet hybride à la croisée de la culture club anglaise et de la culture soundsystem”, confirme Maxence Suty, alias Squadra, cofondateur et responsable de la prog de la webradio.

Un concept taillé sur mesure pour Kaval, un des fers de lance du label, qui s’occupe de la curation de la série Club Drums. Devenu expert dans tous les styles de beats cassés, il rassemble sur ce second volume un casting international avec le duo danois Circuit 900, pour un titre entre dub, techno et breaks (« Opal »), qui rappelle un peu l’EP Roots & Wire du Canadien Deadbeat ; un producteur basé entre Londres et Copenhague, High Graid, pour un « Vixen » en full percussions ; l’Australien Lithe, qui la joue plus indus et turfu sur « Kutta », tandis qu’Ovid, de Washington, et Recluse (Australie) partent dans un trip plus mutant et expérimental. Enfin, le maître d’œuvre Kaval use et abuse de l’agogô (la cloche vedette des carnavals brésiliens) sur « Nerve », le genre de track à la fois deep et funky qui vous fait quitter immédiatement le bar pour le dancefloor (souvenez-vous).

On a parfois l’impression que pour être considéré en France, il faut d’abord s’acheter une légitimité outre-Manche.

Egregore, qui donne de l’espace aux goûts de chacun de ses membres, s’est aussi intéressé au dubstep avec l’EP Hexagon en octobre 2019, qui présentait “cinq producteurs de dubstep français que l’outre-Manche a déjà repérés depuis longtemps : Tinky, Ourman, Quasar et le duo Diggerz”. Et voilà, mine de rien, une petite pierre déposée dans le jardin de la bass music française. “On a parfois l’impression que pour être considéré en France, il faut d’abord s’acheter une légitimité outre-Manche”, explique Arthur Bodart, alias Qant, le label manager. “Quasar, qui sort des titres sur des gros labels de dubstep, dispose d’une notoriété outre-Manche qu’il n’a pas encore en France. Le public va se rendre compte qu’il y a plein d’artistes de chez nous qui assurent.

Rayon dubstep, Egregore peut aussi compter sur son graphiste/vidéaste Stacktrace, qui a eu droit à son premier EP solo en juin 2020, Shaman Chalice, plutôt dans l’esprit Digital Mystikz. Preuve que le crew connaît ses classiques jamaïcains, Stacktrace avait aussi remixé le « Dreadman Zone » de Kaval sur le 2K Thank You EP paru à l’été 2020, accompagné d’une excellente incursion breakbeat de Qant.

Toulouse, capitale de la bass

De la bass music dans tous les sens donc, une scène particulièrement appréciée à Toulouse, où la techno et la house ne dominent pas comme ailleurs. “Toulouse a une histoire particulière avec la culture soundsystem, rappelle Maxence. Dans les années 90, c’était une ville assez réputée pour la jungle. Il y avait Londres pour l’Europe du Nord et Toulouse pour l’Europe du Sud, sous l’impulsion de certains anciens comme Le Lutin. Il y a toujours eu une culture ancrée autour de la jungle/drum’n’bass, on a aussi pas mal de soundsystems dub dans le Sud-Ouest.”

« Toulouse a une histoire particulière avec la culture soundsystem. »

Autant de gens qui profitent des avantages géographiques de la région, qui offre de nombreuses possibilités d’échapper aux autorités. C’est dans cette scène des free parties que les membres d’Egregore Collective ont grandi musicalement, sous l’aile notamment du collectif Folklore, meneur de jeu de la fête toulousaine depuis 2009, et du Ruff Club, dont la baseline est “une expérience alternative aux clubs”, à travers des raves dans les bois et des entrepôts ou des soirées dans le lieu alternatif Hors Jeu. Ce hangar en bordure de Toulouse, atelier de graphistes la semaine et mini-club le week-end, a été “le point de rencontre de beaucoup de collectifs”.

Egregore veut d’ailleurs perpétuer cette tradition communautaire avec son dernier projet : dégoter un local à partager entre les énergies festives et culturelles de la ville, avec des platines et de quoi diffuser sur le Web. En attendant, les Toulousains, qui travaillent chacun chez soi, préparent quelques jolies sorties pour 2021, un EP solo de drum’n’bass ambient du local Yaxx, un various carte blanche au collectif Few Tips To Heal et un various dub techno, tout en continuant de fantasmer sur le retour aux platines, sans doute quelque part entre un aprèm à Notting Hill et un vendredi soir à Fabric…

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