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©Bethany Vargas
9 octobre 2020

Inter[re]view : pour Machinedrum, la méditation lui a fait produire son meilleur album

par Léonie Ruellan

A View of U serait-il le meilleur album de Machinedrum ? Le producteur californien Travis Stewart revient sous son alias Machinedrum avec un neuvième album solo après quatre ans d’absence. Le temps pour l’artiste, devenu adepte de méditation, d’avoir semble-t-il mûri, et d’être revenu sur des tracks laissés au fond du tiroir, pour livrer un album qui serait la « collection de [ses] meilleures créations des dix dernières années », dixit lui-même. 

Machinedrum

©Bethany Vargas

A View of U : une vue sur toi. Un joli titre qu’on penserait romantique, peut-être destiné à un être aimé. Mais c’est lui-même que Machinedrum regarde. Il s’est regardé faire l’album. Ressortir de vieux morceaux qu’il avait abandonnés et les retravailler. En créer de nouveaux. Partir à la recherche d’artistes avec qui il n’avait jamais travaillé. Nous avons discuté de A View of U avec un Travis Stewart apaisé et plein de bonnes énergies, qui nous a longuement parlé des bienfaits de la méditation sur sa création musicale, et plus largement sur lui-même.

« Quand j’ai commencé à faire de la méditation régulièrement, presque quotidiennement, j’ai remarqué que je pouvais littéralement sortir de mon corps et me regarder de l’extérieur – c’est là d’où vient le titre de l’album. Avec cette vue extérieure, j’ai appris à me regarder avec plus d’amour et d’admiration, et moins de jugement. Ça a été une puissant épiphanie. Je me suis défait du comportement autodestructeur qui te rend trop dur avec toi-même, et j’ai donc pu approcher ma musique différemment. Je me concentre davantage sur ce qu’il y a de bon dans un track, au lieu de ne voir que ses défauts et perdre trop de temps à essayer de le corriger. Je pense que ma musique est mieux qu’avant. »

Parmi les onze tracks qui composent l’album, certains d’entre eux ont été entamés durant les neuf dernières années, à l’instar de « Believe in U », créé entre ses albums Vapor City (2013) et Human Energy (2016). « À cette époque, je quittais Berlin pour déménager à New York et j’ai commencé à faire des tracks pour un nouvel album, mais la plupart de ces morceaux ne sont jamais sortis car mon label Ninja Tune disait qu’ils étaient trop similaires à ce que j’avais fait dans Vapor City. « Believe in U » en fait partie, je ne l’ai jamais sorti en disque mais je le joue comme final de mes concerts. Ce track a une véritable affinité avec le public. » On imagine effectivement bien ce titre transcender un public, lui qui reprend « I Believe In Miracles » des Jackson Sisters en lui donnant un souffle électro moderne tout en conservant son groove breaks.

« Je pense que ma musique est mieux qu’avant. »

Ce mélange de morceaux anciens et récents fait de l’album une œuvre hétérogène, et donc riche. D’après l’artiste, A View of U peut même être « pour tout le monde ». À dominante hip-hop, drum’n’bass et jungle, l’album touche aussi à l’ambient comme on peut l’entendre dans « Idea 36 », et emprunte parfois les codes de la dance music avec quelques morceaux taillés pour le dancefloor, comme « Inner Eye ». En somme, A View of U est du typique Machinedrum, mais ses influences hip-hop et drum’n’bass autrefois volages deviennent ici l’essence du disque.

Machinedrum

©Bethany Vargas

Travis confie être sorti de sa bulle pour travailler avec de nouveaux d’artistes, différents de son entourage habituel, comme Freddie Gibbs ou Father. Des collaborations qui lui ont beaucoup apporté, « techniquement comme artistiquement ». Il y a notamment cette collab avec Tigran Hamasyan, pianiste de jazz arménien dont Travis est fan depuis qu’il l’a découvert il y a 6 ans. Il a fallu quelques mois avant que Travis parvienne à le contacter pour lui proposer de travailler avec lui, ce que le pianiste a accepté sans hésiter : « j’étais trop content quand j’ai vu son enthousiasme, car c’est un pianiste incroyable, sûrement l’un des meilleurs au monde en ce moment, et je suis très fan de lui ». Ensemble, ils ont créé le morceau « Spleepy Pietro », qu’on se permettra d’ériger parmi les meilleurs tracks de l’album – voire comme LE meilleur. « Tigran Hamasyan est venu dans mon studio en février et je lui ai joué les rythmes bizarres et beats polymorphes que j’étais en train de développer à cette période, et il a improvisé au piano. On a enregistré deux ou trois morceaux et mon préféré, c’était celui qui est devenu « Sleepy Pietro ». Ce que j’aime dans ce track, c’est la sensation de va et vient avec ce son polyrythmique. Quand il commence, tu crois que ça va être de la house, mais soudainement ça devient de la jungle, puis ça revient sur une vibe house. On croit que c’est l’effet d’un changement de tempo, mais en fait le tempo est toujours le même, c’est simplement une question de perspective sur le beat. Je suis complètement amoureux de ce morceau, il représente mon background musical et les styles qui m’ont inspiré quand j’étais adolescent. »

 « Le thème de l’album, c’est la capacité à faire abstraction des futilités autour de toi, et des conneries que balance Donald Trump à la télé. »

En résumé, pourquoi faut-il écouter A View of U ? Simplement car ce hip-hop mutant vers la drum’n’bass (ou cette drum’n’bass mutant vers le hip-hop) est le juste équilibre qu’on a envie d’écouter en 2020. Aussi car Machinedrum a l’amabilité de vouloir nous transmettre ses bonnes vibes : « le thème de l’album, c’est la capacité à lâcher prise, laisser aller le passé et éteindre le moment présent en faisant abstraction des futilités autour de toi, de ce que les gens pensent de toi, ou des conneries que balance Donald Trump à la télé. »

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