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© Valérie Mathilde
26 janvier 2024

INTERVIEW | Irène Drésel : « Je ne ferai jamais de pop ! »

par Tsugi

Après avoir rempli en un clin d’œil une Cigale à Paris en novembre dernier, Irène Drésel démarre 2024 pied au plancher avec Rose Fluo, un nouvel album qui ne poursuit qu’un seul objectif : nous conduire sur la piste de danse. Rencontre avec une productrice vraiment pas comme les autres.

 

Article rédigé par Patrice Bardot dans le Tsugi 166 : Irène Drésel, Que fleurisse la techno !

 

C’est une certitude. La sortie de Rose Fluo ce 26 janvier est l’évènement techno de ce début d’année. Un manifeste rageur mais sensuel, vraiment 100 % techno, car dépourvu de toute tentative d’aller voir comment ça se passe du côté des autres genres musicaux. Une démarche de passionnée qui n’est pas sans rappeler celle du patron Laurent Garnier, lorsqu’il signait au printemps dernier 33 tours et puis s’en vont, une œuvre sans compromis, qui ne cherchait absolument pas à rameuter un public le plus « mainstream » possible.

Ce troisième album de celle qui sous son vrai nom, Irène Billard, avait entamé une carrière fructueuse d’artiste plasticienne, avant de tout plaquer pour le dancefloor, est sans nul doute son plus abouti. L’expression parfaite d’un style tranchant, taillé avant tout pour la fête, mais dont la remarquable finesse lui évite toute perversion bourrine. Si on trinque ici, c’est au champagne, pas à la 8,6. Qui s’en plaindra ?

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Souvent lors d’un album, les producteurs techno calment le jeu, et s’essaient à un format plus pop, avec des vocaux. Ce n’est pas vraiment ton cas, Rose Fluo démarre pied au plancher…

C’est drôle, à un moment j’ai publié une story sur Instagram avec les titres des morceaux. Je n’avais pas encore d’ordre précis, mais je savais comment j’allais entamer ce disque. Je me rappelle que quelqu’un m’a dit : « Ah, ‘Fluo‘, ça va sûrement être le dernier titre. » Eh non, justement, je commence par celui-ci, qui est le plus fort. Comme le nom de l’album, c’est Rose Fluo, je ne voulais pas qu’on s’endorme, que l’auditeur s’ennuie.

Ce que j’aime, c’est le mélange de puissance et de délicatesse. Sinon, mettre des voix pour mettre des voix, ça ne m’intéresse pas. Souvent lorsque j’écoute un morceau avec des featurings, je trouve que ça commence très bien et quand arrive la voix je suis dégoûtée. Je ne ferai jamais de pop, c’est sûr. (rires) Même si je dois avouer que j’ai déniché une très intéressante rappeuse taïwanaise avec qui j’aimerais bien travailler.

 

Penses-tu que les gens vont écouter ton album tranquille dans leur salon ?

Mon objectif, c’est que les gens qui n’ont pas la possibilité de venir à mes concerts puissent au moins danser chez eux. Autrement, je reçois souvent des vidéos de personnes qui écoutent mon album dans leur voiture. D’ailleurs l’image que j’ai quand je compose, ce sont des personnes au volant sur l’autoroute. Attention aux excès de vitesse quand même ! (rires) Ou bien je les imagine, le soir aussi, en dansant avec des amis. Je trouve également qu’il est parfait pour le ménage !

En fait, quand je compose, je pense surtout aux festivals. J’adore jouer sous un chapiteau quand la foule déborde un peu sur les côtés. Ça transpire, c’est moite. Parfois, tu as de la condensation sous la toile qui tombe sur les gens. J’aime ça. Après, moi, j’aime bien composer et être à la maison. C’est le moment que j’apprécie le plus en réalité. Je ne travaille pas de manière régulière, quand il faut que je m’y mette, j’y vais, c’est tout. Le déclencheur de cet album, c’était le concert en 360 pour FIP au Petit Palais en novembre 2022. On retrouve sur l’album certains des morceaux que j’ai joués là-bas.

 

Irène Drésel

©Valérie Mathilde

La musique pour toi, c’est un exutoire ?

Au-delà d’un exutoire, c’est un besoin. Quand je n’ai pas composé depuis longtemps, je ne me sens pas bien. Quand je travaille sur mes machines, ça me remplit intérieurement, j’ai la chair de poule quand le morceau me plaît.

 

Quel message voudrais-tu faire passer à travers ta musique ?

Un message de puissance et de légèreté. Quelque chose d’assez franc du collier, d’authentique. Ce sont des albums qui s’écoutent pour faire la fête. Plus la société ira mal, plus je veux faire de la musique pour aller bien. Irène signifie « paix » en grec. Je n’ai pas de message politique à transmettre mais je ne supporte pas les conflits. J’aime bien qu’on garde le sourire. Je pense que ma musique transpire ça.

 

Écoutes-tu beaucoup de musique ?

Je peux rester longtemps dans le silence. J’écoute des choses qui n’ont rien à voir avec ce que je fais : en particulier, ce que l’on appelle les musiques du monde. Mais en ce moment, dans ma voiture, j’ai un CD de Maria Callas qui tourne en permanence. Quand on joue dans les festivals, si j’ai le temps, j’aime bien aller voir les autres artistes. Je suis quand même plus calée en chanson qu’en techno. Je m’intéresse aux projets qui possèdent une forte identité, c’est ce que j’aime.

 

Dans une autre vie, tu as été une plasticienne reconnue sous ton nom, Irène Billard. Qu’est-ce qui t’a fait basculer dans la musique ?

Le business de l’art contemporain. Les gens qui gravitent autour de ce monde-là. Ce truc un peu bourgeois. Et puis il y a beaucoup de marketing pour pas mal de creux. Je ne me sentais pas hyper à l’aise dans ce milieu. Ça n’a rien d’instinctif, ça n’a rien de sincère. C’est comme ça que je me suis mise à composer un peu de musique à côté. C’était génial, j’ai adoré, et puis ça m’a envahie.

 

À lire aussi sur tsugi.fr : Voilà pourquoi l’album d’Irène Drésel sera fracassant 

 

Comment as-tu découvert la musique électronique ?

La toute première fois que j’ai entendu de la techno, j’avais 16 ans, c’était lors d’une fête dans les catacombes à Paris. Suite à cette expérience, j’ai pensé que, peut-être, moi aussi je pouvais composer de la musique techno. Mais un copain m’a découragée en me disant que c’était pour les scientifiques, pas les littéraires comme moi et que je n’y arriverai pas. (rires)

Plus tard, j’ai vu James Holden lors d’une soirée We Love, ça m’a beaucoup plu, et j’ai voulu quand même tenter le coup. J’ai commencé avec GarageBand puis j’ai suivi des cours de MAO pendant six mois. Mon prof était Jmdee, qui avait fait notamment les beats de « J’pète les plombs » de Disiz la Peste. Quand il a entendu mon morceau de fin de stage, il m’a encouragée : « C’est original comme proposition, tu devrais continuer. »

 

Tu as suivi un parcours atypique…

Oui, je ne possède pas du tout les références, les codes de la musique électronique. Je m’en fiche un peu d’ailleurs. À mes débuts, lorsque j’ai voulu décorer la scène avec des fleurs parce que je trouvais cela très beau, j’ai pensé que le public n’allait pas trop comprendre. Finalement je me suis dit que s’il y en avait qui aimaient, ils allaient rester et tant pis si cela devait en énerver certains. Du moment qu’il y a la puissance de la techno, c’est ce qui me plaît avant tout.

 

Es-tu souvent allée dans des clubs, des raves ?

Dans des raves non. Mais, comme je n’habitais pas loin du Social Club, j’y allais toute seule, j’avais mes petits bouchons d’oreilles. C’était pour profiter vraiment des artistes que j’aimais. Quand je sortais avec des amis, cela pouvait être assez dérangeant, ils te racontent leur semaine alors que moi je voulais vraiment écouter. J’étais une observatrice fascinée. Je suis même allée voir toute seule Claude VonStroke à fabric à Londres. Je dansais tout devant. Mais en club, j’avais souvent aussi les bras croisés, concentrée pour ne pas en perdre une miette. C’est pour ça qu’aujourd’hui, quand j’observe mon public, je me dis que ce ne sont pas forcément ceux qui dansent qui profitent le plus.

 

On te décrit souvent comme mystique…

Magnétique, parfois aussi, j’aime bien ça. Je ne suis pas si mystique que ça. Même si j’ai toutes mes médailles autour du cou (elle les sort de son pull pour nous les montrer, ndr). Ça, c’est Sainte Rita, je lui fais toujours un petit bisou avant de monter sur scène. J’aime bien aller dans les églises. Qu’on soit croyant ou pas, c’est une manière de s’élever.

Quand je compose, je me laisse vraiment aller, comme quand on fait des méditations. Je ferme les yeux. J’ai la main sur le clavier qui se balade. Je me laisse porter. Tant que je ne trouve pas le son qui me plaît, je continue de chercher. Mais ce n’est que de l’instinct. Dans tout ce que je fais, je ne fonctionne qu’à l’instinct.

 

Irène Drésel

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Tu penses que tu ferais une musique différente si tu n’habitais pas à la campagne ?

Peu importe l’endroit. Tant que je suis enfermée quelque part, sans être dérangée. C’est pour cela que je suis à la campagne, je ne suis pas embêtée. À part le voisin et les livraisons, personne ne sonne à la porte. À Paris, je n’arrivais pas à avancer sur mon travail. J’étais trop sollicitée. J’avais du mal à dire non, j’allais sans arrêt à un anniversaire, un vernissage, un concert. Il fallait vraiment que je parte.

 

Tu as grandi dans un milieu qui s’intéressait à la musique ?

Oui, à la musique classique. Ma mère fait du piano. Ma sœur est prof de solfège au Conservatoire d’Aix-en-Provence. Elle est violoniste aussi. Mon oncle est directeur de la programmation à Radio Classique. On allait tout le temps en famille voir des concerts classiques. J’ai suivi des cours de piano et de solfège au Conservatoire et j’ai fait de la danse classique, jusqu’au moment où j’ai voulu me couper les cheveux parce qu’on était obligées d’avoir des chignons.

Mes parents ne m’ont jamais mis de barrière professionnelle. Pour eux, tant que je suis heureuse, c’est ce qui compte. Je me rappelle juste que quand j’avais annoncé à mon père que j’allais faire de la musique électronique, il avait un peu haussé les épaules en croisant les bras. Maintenant ils écoutent mes disques. Ils étaient là à mon dernier concert à la Cigale. Ma mère m’a même avoué : « Ce n’est pas tout à fait mon style, mais je me suis réveillée à 5 heures du matin. J’avais un de tes airs en tête. » C’est adorable.

 

Que gardes-tu de ton éducation dans une école catholique privée ?

La rigueur et pas mal de frustration. J’étais dans un collège très strict. Du coup, j’ai eu envie de me rebeller. Mais ça m’a quand même un peu détraquée. Je suis partie dans un lycée public, sinon j’allais devenir complètement folle. J’ai pourtant gardé des amitiés de collège avec des filles qui ont de forts tempéraments. On était tellement frustrées que cela nous a poussées à être très créatives.

À l’époque, j’écoutais du grindcore, du black métal, Cradle Of Filth, Sepultura, et Korn, dont j’étais une grande fan. D’ailleurs, il n’y a pas si longtemps, j’en ai réécouté et j’ai trouvé que c’était vachement bien. Rammstein aussi, j’ai même fait allemand première langue parce que j’avais traduit tous les textes d’un de leurs albums. Plus tard, j’ai eu ma phase reggae, Pierpoljak. On est influençable musicalement à cet âge-là.

 

Comment est-ce de travailler avec la personne avec qui on partage sa vie (Gilles « Sizo » Degivry aux percussions, ndr) ?

On s’est rencontrés il y a quinze ans donc on se connaît très bien. Quand je compose, il intervient sur la dernière ligne droite où il rajoute les percussions. On s’est toujours rejoints sur nos goûts musicaux et sur l’art en général. On allait voir beaucoup d’expos ensemble. Notre plus grande différence, c’est que Gilles est vraiment dans le futur, toujours à l’avant-garde. Je suis plus dans le passé. Par exemple, il n’a conservé aucune photo, alors que moi je les garde bien classées, année par année.

Je suis très nostalgique. Je fais partie de ceux qui pensent que c’était mieux avant. C’est terrible. C’est horrible de penser comme ça. Gilles fait beaucoup de méditation et il essaie vraiment de m’apprendre à profiter du moment présent.

 

Irène Drésel

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Penses-tu être une sorte de modèle pour des filles qui veulent se lancer dans l’électronique ?

Oui, j’ai reçu quelques messages de certaines d’entre elles, qui me disaient que de me voir les motivait. Un papa m’a aussi envoyé un petit dessin de sa fille de 8 ans qui ui avait affirmé : « Plus tard, je veux être Irène Drésel. » (rires) Je n’ai pas d’enfant, donc si je peux transmettre de cette manière-là, c’est super je trouve.

 

Sens-tu que la place des femmes s’est améliorée dans l’électronique ?

J’ai l’impression qu’elles sont mieux représentées qu’avant. Après, je n’ai jamais connu de problèmes de comportements déplacés. Mais je suis un cas à part. Nous sommes deux sur scène et je suis accompagnée par un garçon. Généralement quand j’arrive sur un festival, tout le monde est très sympa, les techniciens sont adorables, je n’ai jamais eu de remarques. J’ai toujours trouvé ce milieu très respectueux, sans aucun rapport avec celui du monde de l’art contemporain, beaucoup plus sournois et dur.

 

Quel est ton rêve absolu ?

Je n’en ai pas. Comme je viens de le dire, je ne me projette pas dans l’avenir, sauf pour les cinq ou six mois à venir. Ma vie actuelle, je ne l’avais pas envisagée quand j’étais plus jeune. C’est pour cela que je n’ai aucune idée de ce que je ferai dans dix ans. Si ça se trouve, je serai peintre en Bretagne, ou bien j’aurai déménagé à San Francisco et je ferai de la musique de film, ou j’habiterai toujours là où je suis actuellement et j’aurai des moutons et encore plus de roses.

Je serais triste si j’arrêtais la musique, mais cela serait possible si j’avais une autre pratique artistique, comme la peinture par exemple. Je suis à la fois très artiste, mais aussi très pragmatique dans la vie. Je possède une part de folie qui a besoin d’être assouvie, mais à côté, je suis très carrée.

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