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Papooz © Mica Elig
24 juillet 2019

Interview : Papooz, de l’émotion et du groove, du groove, du groove

par Elie Chanteclair

Le mot est partout. Dans leur musique comme dans leur discours. Le groove domine. Avec leur deuxième album Night Sketches, les Parisiens de Papooz gardent des liens étroits avec la fraîcheur très seventies de Green Juice, sorti en 2016, tout en franchissant un pallier indéniable. Plus mature et varié, mieux produit et réalisé, leur nouveau disque explore les tréfonds de la danse et la sensualité, porté par une paire de voix envoûtantes. À l’occasion de leur passage au festival Pete The Monkey, on est allé poser quelques questions à Ulysse et Armand, dans le groove et la bonne humeur.

Il s’est passé deux ans et demi entre Green Juice, votre premier album, et Night Sketches. Qu’est-ce qui a changé ? 

Ulysse : La façon dont a été fait l’album : le premier a été très instinctif, on a presque tout fait tout seuls. On répétait les morceaux puis on les enregistrait juste après. Alors que pour Night Sketches, on a d’abord enregistré des démos dans mon studio, on a choisi des musiciens qui correspondaient au groove qu’on voulait entendre, on a beaucoup plus réfléchi à ce qu’on voulait faire.

Armand : On a fait un album plus « studio » que le premier, qu’on avait enregistré dans la maison de campagne des parents d’Ulysse. On souhaitait faire un album plus produit. Plus années 70.

U : Plus groove, plus disco.

A : On a également trouvé un réalisateur, Adrien Durant de Bon Voyage Organisation. On s’était croisés sur la route de notre premier album, on s’était bien entendu et c’est quelqu’un qu’on admire beaucoup. Il produit une musique justement très groovy ; il a aussi une palette de sonorités assez unique qui a coloré notre disque. On voulait mettre en musique une idée de la nuit, rappeler des discothèques mythiques comme le Palace ou le Studio 54. Évoquer le voyage nocturne d’un homme dans une grande ville, comme New-York, Paris ou Los Angeles.

U : Et esthétiquement, c’est plus pensé : chaque chanson est liée aux autres. Alors que Green Juice était plutôt un mélimélo de plein de morceaux.

A : Le premier album est né de chansons qu’on a écrites pendant plusieurs années. L’idée était avant tout de montrer notre musique au monde

U :  Alors que là, on a réfléchit à deux fois. Et on est fier du résultat ; quand j’écoute l’album, je groove dessus et je suis content. C’est un disque sur lequel on a beaucoup plus fantasmé par rapport au premier : on était chez moi et on fantasmait des sons de synthé, de guitares… on se disait « Ce serait trop cool si on arrivait à faire ça ! » Et on a essayé de s’en approcher le plus possible.

Le fait d’avoir seulement deux ans pour produire un nouvel album, contrairement au premier disque qui est issu d’un processus plus long, c’est quelque chose d’agréable ? 

U : Oui, tu te sens beaucoup plus proche du thème que tu exploites ; tu te sens plus représenté à travers une chanson que tu as écrite récemment. À part si elle est très bien écrite et qu’elle représente quelque chose d’éternel…

A : C’est plus difficile de retravailler  une chanson que tu as écrite il y a longtemps car tu as nécessairement moins envie de l’enregistrer.

U : L’idée est aussi de retrouver l’émotion dans laquelle tu étais quand tu l’as composée, tu peux même oublier la manière que tu avais de transmettre cette magie si tu l’as laissée de côté durant plusieurs années.

Ce nouveau disque est bien plus riche en terme d’arrangements… Comment faire pour ne pas se perdre dans trop d’éléments musicaux ?

U : Sur nos démos, on a naturellement tendance à ajouter énormément de couches d’instruments, et c’est justement Adrien qui nous a permis d’élaguer, car un bon morceau est censé pouvoir fonctionner en se contentant des éléments de base : guitare, basse, batterie, chant.

A : Quand tu écoutes un grand morceau, il n’y a pas forcément énormément de choses, mais le spectre est couvert : cela va du noir au clair, du grave à l’aigu. Quand tu mets trop de couleurs claires dans un tableau, c’est dégueulasse, rien ne ressort.

U : Après tu peux faire des morceaux avec énormément de choses, comme un grand orchestre, mais il faut avoir l’art de le faire.

Comme sur votre morceau « Bubbles » par exemple…

U : C’est un assez vieux morceau. Bizarrement, quand je le réécoute, ce n’est pas un titre dont je suis vraiment fan, je m’en sens un peu trop loin, y’a un truc très opéra-rock. Il détonne sur pas mal d’autres choses de l’album et cela me dérange un peu.

A : Mais c’est plus un morceau de studio ; par exemple, on ne la joue pas en live car elle est très compliquée à reproduire sur scène.

Est-ce que vous vous souvenez de votre concert au Forum des Halles en juin 2017 ? 

A : Ah oui, même qu’on était avec Clara Luciani !

U : C’est vrai qu’à l’époque on jouait avant elle, et maintenant c’est l’inverse…

A : Euh non, c’est justement le contraire !

U : Ah oui pardon, je suis un peu dyslexique à des moments (rires)

Vous semblez avoir une approche assez oldschool de la musique, avec des vrais instruments, des sons analogiques… Vous ne vous sentez pas en décalage par rapport au reste de la scène pop actuelle, désormais bien plus électronique ? 

U: Effectivement, on est probablement en décalage…

A : Personnellement, je ne me lève jamais le matin en me disant que je suis en décalage…

U : Le plus important reste de faire ce qu’on aime : en l’occurence, on joue live avec des musiciens studio. On est certes un peu décalés, mais je trouve ça cool : la technologie a donné tellement de possibilités aux musiciens, qu’elle a aussi donné l’opportunité de moins travailler, et de se permettre d’être moins bons, vu que tout est éditable et modifiable. Avec Papooz, on cultive cette école de savoir déjà un peu jouer pour pouvoir enregistrer un truc qui a de la gueule et qui sonnera bien en live . Et c’est cool de conserver cela : sur les morceaux des Beatles, il y a avait quatre pistes et les quatre étaient bonnes. Avoir moins de moyens ou de technologie te force à être meilleur. Ça permet aussi de créer une forme d’exigence.

A : D’autant plus qu’on n’est pas du tout uniques, beaucoup de groupes font encore comme nous : c’est quand même le B.A.BA de la musique que d’écrire des chansons pop avec une guitare ou un piano.

Dans cet album, on peut y sentir deux influences (certes très subjectives) : le jazz et Arcade Fire…

 A : Je t’avoue que je n’ai jamais écouté Arcade Fire de ma vie.  J’ai juste vu une vidéo de la Blogothèque qui est absolument géniale : le groupe va jouer à l’Olympia, et ils improvisent un morceau dans l’ascenseur qui les mène à la scène. Il y a notamment un mec qui fait un son de caisse claire en déchirant des magazines.

U : Plus qu’Arcade Fire, j’aurais tendance à dire Talking Heads, c’est-à-dire des blancs qui font du groove. Et ça nous a vraiment inspiré : les cocottes (technique de guitare, typique du funk ou du reggae, qui consiste à enchaîner des notes de manière très rythmique, généralement en étouffant les cordes, nldr) ou encore les basses groovy.

Pour ce qui est du jazz c’est sûr qu’on adore. J’aime écouter Frank Sinatra, les vieux groupes de Billie Holliday, j’apprends beaucoup de standards de jazz et c’est vrai que quand on écrit des chansons, c’est quelque chose d’important. On pense la composition un peu dans le même format que le jazz, même si c’est structuré de manière pop. Par exemple, on essaye de créer des progressions d’accords plus étendues, afin de garder un effet de surprise pour l’auditeur. Bon après sur « Ann Wants To Dance », il n’y a que deux accords sur le couplet ; donc il n’y a pas de règles…

Quel est le secret selon vous pour ne pas sonner comme beaucoup de groupes de rock ou de pop indé, qui sont super sympas mais…

A : …qui sonnent tous comme Mac de Marco ?

Exactement.

A : Le secret, c’est qu’on est deux. Même trois.

U : Exact. Même si tu as des inspirations qui ressemblent à celles des autres, je pense que le fait d’être plusieurs, de confronter ses idées, apporte plus d’originalité.

A : Et puis la vraie âme d’un morceau, c’est surtout nos voix et la composition. Quand j’y réfléchis, je me fous un peu de la production d’un album que j’écoute. J’écoute juste s’il y a une âme, si cela me plait. Après bien sûr que maintenant que je suis musicien, je trippe sur pleins de trucs de geeks qui n’ont aucun intérêt pour la majorité des gens. Mais au final on s’en fout, ce n’est pas cela qui fait que c’est génial. Le plus important c’est ta manière de chanter, de jouer ou même d’utiliser un ordinateur : il y a des mecs comme Nicolas Jaar, au bout de dix secondes tu sais que c’est lui.

U : C’est l’émotion qui passe à l’écoute , et c’est quelque chose de direct. Tout le monde a sa propre oreille et ses propres goûts. En ce qui nous concerne, je pense que nos voix, la manière naïve dont on chante, permet de nous reconnaitre.

Sur cet album, vos voix semblent d’ailleurs mieux se compléter et le mixage est irréprochable…

U : J’avoue que je n’aime plus trop le mixage de notre premier album.

A: C’est aussi parce qu’on n’y connaissait rien et qu’on avait juste envoyé des prises toutes plates, sans aucun effet, sans aucun parti pris dessus. Sur Night Sketches, les sons d’Adrien avaient déjà beaucoup plus de caractère, ce qui fait que le mixage a été beaucoup plus rapide, vu qu’une grande partie du travail créatif avait été fait en amont. On est parti à Bologne trois jours, chez le mec qui nous a mixé l’album : c’était super cool.

U : Il s’appelle Giorgio Poi, c’est un Italien qui a fait les premières parties de Phoenix et qui a sorti un titre qu’on a adoré : « Acqua Minerale ».

Qu’avez-vous retiré de votre expérience au Colours Show ?

 U : Tu sais c’est une promo comme une autre : on est là, y’a un Allemand qui nous filme et puis voilà (rires). Après effectivement c’est cool, parce que c’est une scène plus R’n’B/rap, cela nous a amené pas mal de jeunes qui ne nous connaissaient pas et qui ont découvert notre son.

À propos de rap, qu’est-ce que vous pensez du sample ?

U :  Justement, on a vachement pensé l’album en se disant : « Ça, ça pourrait être samplé ! »

A : On a déjà été samplés par Skepta. Le gars est venu nous voir en fin de concert pour nous demander de sampler « Moon Pie », qu’on avait joué mais pas encore sorti. Mais même s’il ne s’agit pas de n’importe quel rappeur, son morceau n’était pas terrible, et en plus il l’a sorti dans notre dos

Papooz, Pete The Monkey 2019 © Nick Paulsen

 

 

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