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21 novembre 2023

JO, déficits budgétaires : on a parlé aux festivals qui annulent leur édition 2024

par Léa Formentel

Plusieurs festivals ont déjà annoncé leur annulation, alors même que l’année 2023 n’est pas arrivée à son terme. La principale raison de ces annulations est la tenue des Jeux Olympiques 2024, mais également pour des raisons budgétaires qui interviennent notamment depuis l’arrivée du Covid-19, et un appauvrissement global du secteur.

Cela fait déjà un moment que le sujet des Jeux Olympiques 2024 de Paris est sur quasi-toutes les lèvres. Et pour cause : les JO, événement mondial de premier plan, monopolisent une part significative des ressources logistiques et financières du pays. Les autorités consacrent des efforts considérables à la réussite de cet événement d’envergure internationale, affectant ainsi les budgets alloués à d’autres secteurs culturels… notamment les festivals. Certains festivals français se trouvent donc confrontés à un dilemme délicat, entre l’enthousiasme sportif et les réalités budgétaires. Face à cette conjoncture, plusieurs festivals se voient déjà contraints d’annuler leur édition 2024. La concurrence féroce pour les artistes, les espaces et les financements, combinée à des ressources limitées : tout cela rend la tenue de ces événements culturels insoutenable. Cette année 2024, marquée par l’événement sportif, met en évidence les choix difficiles auxquels sont confrontés les acteurs culturels, oscillant entre célébrer l’évènement sportif et maintenir la vitalité artistique locale.

 

« Nous, il a fallu que derrière on rétro-pédale puisque on s’était déjà engagé sur l’édition 2024. »

 

Au début du mois d’octobre, le festival rémois de la Magnifique Society a également déclaré son retour seulement en 2025. Principalement en raison de l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques, ainsi que du passage de la Flamme Olympique à Reims le 30 juin 2024. On s’est d’ailleurs entretenu avec Lucas Vionnet, directeur du festival. Il explique que malgré la possibilité (ou la contrainte) de changer les dates de La Magnifique Society, les décisions ne sont pas allées dans ce sens pour des questions d’organisation, liées à l’activité de La Cartonnerie. « Nous, on n’a pas eu la possibilité d’avoir le parc de Champagne sur le week-end présenté. On a fait le choix de ne pas délocaliser le festival. Parce que l’ADN et l’identité du festival, c’est le parc de Champagne et c’est son site. Et puis, on a fait le choix aussi de ne pas reporter ou déporter des dates. »

 

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Et il est loin d’être le seul festival à devoir annuler d’ores et déjà son édition 2024 : le VYV, Montjoux Festival et le Summer Vibration ont posté des messages sur leurs réseaux sociaux pour confirmer qu’il n’y aura pas d’édition l’année prochaine. Les Vieilles Charrues, Solidays et Rock en Seine réfléchissent, quant à eux, à déplacer les dates de leurs festivals. À ce sujet, la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak a précisé que les festivals ne seraient pas annulés, mais décalés.

Cette incertitude quant à l’annulation des différents festivals était déjà présente l’an dernier. Dans un article de Télérama qui date d’octobre 2022, les inquiétudes étaient diverses : allant de la pénurie de lieux, de matériel aux personnels techniques ou agents de sécurité (qui, on le rappelle, représente 21.3% des dépenses d’un festival). Jean-Paul Roland, directeur des Eurockéennes de Belfort, expliquait dans le même article de Télérama : « Une nouvelle annulation pure et simple de la saison des festivals en France me paraît improbable. Cela signifierait la mort du secteur, car l’État ne va pas remettre la main à poche. Quand Darmanin dit que les JO ne sont là qu’une fois par siècle, on peut lui répondre que ça ne doit pas se faire au prix de la panne culturelle du siècle. » En effet le Centre National de la Musique publiait en 2022 son étude Demain, les festivals menée par Aurélien Djakouane, Emmanuel Négrier et rapportait que la pandémie avait déjà « désigné les limites du chacun pour soi », les festivals sont dans une période de très forte interdépendance « qui provoque un choc de réflexivité à tous les stades de la chaîne de valeur festivalière ».

 

 

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Une publication partagée par VYV Festival (@vyv_festival)

Dans le post Instagram ci-dessus, l’équipe du VYV Festival s’était exprimée sur la pause nécessaire pour la pérennité du festival dijonnais : « Ce n’est ni la faute à la météo, ni la faute à pas de chance mais la nécessité d’un temps de réflexion afin de repenser en profondeur notre modèle économique après 4 années riches en émotions et en enseignements. » Le directeur du festival, Pierre Clément, nous a également confié que : « C’est une décision qui a été prise par le groupe VYV. Je ne suis pas là pour en juger, compte tenu du contexte. Nous, il a fallu que derrière on rétro-pédale puisque on s’était déjà engagé sur l’édition 2024. Ça a été le côté plus compliqué, d’abord pour les équipes en interne. Pour moi et pour l’ensemble de l’équipe. Même si malgré tout, on reste aujourd’hui une équipe extrêmement soudée parce que l’équipe existe toujours. Et elle travaille sur un nouveau projet. »

Ce genre de décisions a forcément un impact sur le long terme. Ici, selon Pierre Clément, l’impact est territorial : « On s’est ancré sur le territoire dijonnais qui, à l’époque, manquait cruellement de festivals. Maintenant je crois qu’il y a un autre projet de festival, je ne le connais pas précisément mais c’est l’ancrage territorial, c’est toute la confiance, le maillage que l’on crée sous une région depuis 4-5 ans, qui se trouve radicalement freiné. Et pour nous c’est une perte immense que de perdre la confiance au niveau local. Donc selon le projet sur lequel on va travailler à Dijon ou même ailleurs, il va falloir prendre les rames pour renouer la confiance. » 

 

La Magnifique Society

© A.THOME

Lucas Vionnet (de la Magnifique Society) voit les choses de la même manière : « En fait, c’est une perte morale, parce qu’on a une équipe qui travaille sur le projet depuis 6 ans et que, évidemment, on a envie de poursuivre l’aventure. Pour rebondir, on va proposer un autre événement sur le mois de juin, avec notre salle [La Cartonnerie] et sur ses abords. Ça prendra une dimension multiforme, avec des activités musicales et sportives. » Sans pour autant se laisser abattre, les directeurs de festivals travaillent déjà à la mise en place d’autres évènements qui permettront au moins de garder cette présence territoriale, nécessaire pour le public.

 

 

 

Tous ces bouleversements posent finalement plusieurs questions quant à la durabilité de ce genre d’évènements. Ces questions, Aurélien Djakouane et Emmanuel Négrier se sont les sont -entre autres- posées : « Comment imaginer un festival plus inclusif, où public et organisateurs participeraient ensemble à la construction d’une offre dans laquelle ils se reconnaissent, où ils pourraient revendiquer la légitimité de leurs goûts et de leurs pratiques ? » Ils expliquent également que la grande majorité des festivals sont contraints de s’en sortir seuls, tandis qu’ils font face à des « réductions des financements des pouvoirs publics, assorties d’un fléchage de plus en plus précis sur des objectifs politiques et territoriaux ; conditionnement des aides au respect d’obligations environnementales qui engendrent des coûts de transition hors de portée des petits événements ; effondrement des actions culturelles des organismes de gestion collective ; réorientation des fonds de mécénat vers les causes environnementales ; montée en puissance des coûts d’organisation des événements (sécurité, hygiène) »…

Ajoutez à cela, les goûts du public qui changent et même si les habitués continuent de venir malgré l’augmentation des prix au vu du contexte, cela ne suffit pas. Ce sont donc de nombreuses interrogations sur le futur et une organisation colossale que représente ces perturbations.

 

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