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© Instagram Lana Del Rey @honeymoon // Beyoncé, 16 CARRIAGES artwork // Taylor Swift, credits Universal Music
27 février 2024

La country, (nouveau) futur de la pop mondiale ?

par Tsugi

De Lana Del Rey à Beyoncé, pas mal de grandes popstars se tournent actuellement vers la country. Comment expliquer ce retour en force des santiags et du banjo ?

 

Tout le monde veut être un cowboy 

Nous sommes en 2018. ‘Old Town Road’, premier single de Lil Nas X fait exploser les charts. Surprise : il s’agit d’un morceau country. Rejoint par Billy Ray Cyrus sur un remix, Lil Nas X accède au rang de superstar, opère un virage vers la pop et suscite la colère des puristes. Peu importe, le message est passé : le genre est de nouveau cool.

En 2017 déjà, Miley Cyrus sortait Younger Now, un album aux influences country prononcées. Récemment, pas moins de trois artistes orientés pop ont annoncé la sortie d’un album country : Post Malone, apparu l’an dernier aux Country Music Awards ; Lana Del Rey et son projet Lasso ; et Beyoncé qui, durant le Superbowl, a fait sensation en révélant ses singles ‘TEXAS HOLD’EM’ et ’16 CARRIAGES’. Impossible également d’oublier le succès de Taylor Swift, au départ chanteuse de country, qui continue de rendre hommage au genre qui l’a vue naître.

Au premier abord, dur de comprendre ce qui motive ce regain d’intérêt. Dans l’imaginaire culturel, le est encore associée à ce que le sud des États-Unis a de pire : les rednecks, les tracteurs et le bigotisme. « Jusqu’à peu, la musique country était perçue comme dépassée stylistiquement, de la musique conservatrice pour les Etats conservateurs » note la journaliste Sasha Frere-Jones. « Mais la vérité est plus complexe ». Storytelling puissant, richesse musicale, looks archi-identifiables ; la country, ‘trois accords de guitare et la vérité’ selon l’adage, a en réalité de nombreuses raisons de plaire. 

 

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Hommage ou opportunisme ?

Ce tournant n’est pas sans susciter une vague d’indignation dans une partie de l’industrie country, qui crie au blasphème. « Impossible pour les gauchistes de l’industrie du divertissement de laisser le moindre genre musical tranquille, n’est-ce pas ? » a ainsi déclaré l’acteur et musicien John Schneider* à propos de Beyoncé. La radio country KYKC en Oklahoma, elle, a refusé de jouer le single de la chanteuse, sans même l’avoir écouté

((*ayant joué dans Shérif, fais moi peur ; Smallville ; et bon nombre de 14èmes rôles dans des téléfilms Républicains-friendly))

Certains notent aussi que le regain d’intérêt pour le genre concorde avec le retour à une esthétique WASP (pour ‘White Anglo-Saxon Protestant’) dans la pop culture, après des années d’intérêt pour la culture noire. Alors que des musiciennes comme Ariana Grande et Miley Cyrus abandonnent leur faux bronzages et leurs dreadlocks, la migration de stars du RnB, comme Beyoncé vers des genres de musique perçus comme blancs, apparaît pour ses détracteurs comme une réorientation malvenue. « Certaines personnes profitent du moment pour accuser Beyoncé d’appropriation culturelle inversée » rapporte le compte Instagram The Darkest Hue. La country serait-elle vraiment en passe d’être dénaturée ?

 

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N’est pas country qui veut

Face à la méfiance des fans, certains artistes justifient leur incursion dans la country de par leur héritage : Miley Cyrus, filleule de Dolly Parton, est avant tout la fille de son père Billy Ray, star du genre, et Beyoncé, ne l’oublions pas, a grandi au Texas. La country tolère par ailleurs la reconversion de ses propres enfants dans d’autres genres, comme Shania Twain ou Taylor Swift. Mais si les country girls ont le droit d’aller vers la pop, l’inverse n’est pas tout à fait vrai.

Pour les outsiders, il est encore très dur de se faire une place, tout particulièrement lorsqu’on ne ressemble pas au musicien country par défaut : c’est à dire, assez souvent, à un homme blanc de quarante ans (mais attention évidemment, pas que). Régulièrement épinglée pour son manque de diversité, la country confirme souvent les pires rumeurs à son sujet. Lors de sa performance avec les Dixie Chicks aux Country Music Awards en 2016 (vidéo ci-dessous), Beyoncé avait ainsi essuyé de nombreux commentaires racistes.

« Il y a des préjugés dans ce genre musical » note Shana Goldin-Perschbacher, autrice de l’ouvrage Queer Country. « Quand on regarde les statistiques des performances féminines ou les références au genre et à la race dans les paroles, on réalise que les plus grands hits country peuvent être racistes et sexistes ». 

 

Un genre à l’histoire complexe

Cet entre-soi a de quoi étonner lorsque l’on sait que l’histoire de la country est, avant tout, celle d’un dialogue entre plusieurs genres, tout autant que celle d’un constant renouvellement. Sa naissance, dans l’Amérique rurale et précaire des années 1920, résulte de la rencontre de la folk, de la polka et… du blues, musique des anciens esclaves noirs. « Comprendre l’histoire du genre, c’est comprendre qu’il fait autant partie de la tradition blanche que de la tradition noire » note la journaliste Andrea Williams dans le documentaire For Love & Country, consacré aux artistes noirs de l’industrie

Bien avant Taylor Swift ou Beyoncé, de nombreux artistes ont eu envie de moderniser la country. « Lord, it’s the same old tune, fiddle and guitar / Where do we take it from here? / Rhinestone suits and new shiny cars / It’s been the same way for years / We need a change » chantait ainsi le musicien Waylon Jennings sur son titre « Are You Sure Hank Done It This Way » en 1978. Dolly Parton, qui a sorti en 2023 son premier album rock, a elle-même quitté Nashville pour L.A. Bref, la country, comme la conquête de l’Ouest, ne cesse d’élargir ses horizons et de repousser ses propres frontières. 

 

Dépoussiérer ses santiags

Plus qu’une appropriation opportuniste, le retour en force de la country est surtout le marqueur de son évolution. Aujourd’hui, les stars de la country n’ont plus le même visage qu’il y a vingt ans. Elles incluent aussi Trixie Mattel, drag-queen et icône de RuPaul’s Drag Race, et ses deux albums de country ; Mickey Guyton, première femme noire nommée aux Grammys dans la catégorie ‘Meilleure performance country’ ; Orville Peck, cowboy masqué et figure assumée de la communauté queer ; Kelsea Ballerini, qui a s’est produite aux CMT Awards avec des drag-queens.

« [Nous écrivons] des chansons d’un point de vue qui n’a pas nécessairement sa place dans le genre » souligne Trixie Mattel. « Nous venons de la country, mais nous voulons que tout le monde puisse être soi-même »Ces artistes font valoir leur droit à exister au sein de l’industrie et n’hésitent pas à proposer leur version de la country. « Ce genre a fait beaucoup de chemin en peu de temps » analyse Breland, artiste country d’abord passé par le hip-hop.

« Si vous pouvez écrire une chanson de RnB, il n’y a rien qui vous empêche d’écrire une bonne chanson de country ». En parallèle, des émissions de téléréalité comme My Kind Of Country s’attachent à mettre en avant des artistes aux profils variés et font aussi bouger les lignes. Dans ce contexte, peut-on vraiment accuser Beyoncé ou Lana Del Rey de dévoyer la country en s’y intéressant ? « La country ne s’est jamais arrêtée à un style » conclut Vince Gill, star de la country depuis les 70s. « Elle a toujours englobé plusieurs genres. C’est ça, l’essence de la country. Chacun y ajoute sa patte ».

 

Par Lena Haque
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