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© Mel Mougas
29 novembre 2023

Portrait/Report: Disco Makrout illumine le théâtre Chaillot

par Tsugi

Au cœur de Paris, dans l’enceinte mythique du Théâtre national de la danse de Chaillot, s’activent Ahlem et Nesrine, le duo dynamique de Disco Makrout, une heure avant leur set. Elles incarnent ce soir l’essence même du programme “Algérie, ici et maintenant” – une célébration sur cinq jours dédiée à la scène artistique algérienne et sa diaspora. Une occasion unique de plonger dans l’univers de ce duo créatif, dont la renommée ne cesse de croître.

 

Un article de Mel Mougas

 

Dame et Dames de fer

Le 17 novembre dernier, la Tour Eiffel n’était pas la seule Dame de fer près du Théâtre Chaillot. Ahlem et Nesrine, le duo derrière Disco Makrout, étaient aussi de la partie. Arpentant le bar éphémère installé dans le majestueux Foyer de la Danse, lunettes de soleil posées sur la table, elles affichent des sourires radieux. Avec une allure humble mais empreinte de professionnalisme, elles dominent l’espace. Ahlem, dans son costume de velours noir, affiche une élégance discrète, tandis que Nesrine, parée de boucles naturelles, d’un haut étincelant et d’un collier khamsa imposant, annonce la couleur. Ce soir, elles s’apprêtent à conquérir le Chaillot en clôture du troisième jour de “Algérie, ici et maintenant”. Depuis avril 2022, leur voyage en tant que Disco Makrout a capté l’attention. Un nom en hommage à leurs racines algériennes mêlé à leurs influences musicales diverses. Sous la lumière de la Tour Eiffel, elles se préparent à éclipser l’éclat du monument avec leur énergie résolument contagieuse.

 

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Harmonie des contraires

Le duo Disco Makrout est une rencontre de personnalités : Ahlem, énergique et spontanée, est souvent emportée par un “tourbillon d’émotions”, tandis que Nesrine, avec son calme olympien, apporte une assurance rassurante. Leur rencontre en France, loin de leur Algérie natale, a été un tournant décisif. Dès leur première soirée ensemble, “une connexion s’est créée autour de [leur] passion commune : la musique.” Leur dialogue musical s’est étendu des rythmes électro de Daft Punk aux mélodies des divas arabes, révélant un spectre d’influences aussi riche que leur héritage amazigh. “Dès mes cinq ans, j’entendais déjà ma mère chanter du Warda et du Oum Kalthoum” exemple Nesrine. Pourtant, c’est à Berlin, la capitale européenne de la musique électronique, qu’elle développe un amour pour le genre, un amour qui allait devenir le socle de leur collaboration artistique.

Leur synergie s’est concrétisée rapidement : quelques jours seulement après s’être familiarisées avec un contrôleur DJ, elles ont osé se lancer dans leur premier set à l’Alimentation Générale. Cette première expérience a été “une révélation, [leur] donnant le courage de poursuivre cette voie”. Leur présence sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok, a été un moyen ludique et stratégique de documenter leur parcours, marqué par une progression constante et une “volonté de ne pas se prendre trop au sérieux”. Malgré les critiques et les obstacles, elles ont persévéré, cherchant à exprimer leurs identités multiculturelles à travers leur art.

 

Disco Makrout, créatrices d’univers

Ahlem et Nesrine ne se limitent pas à mixer de la musique électronique. Leur vision artistique va bien au-delà, cherchant à créer des expériences musicales hybrides, mêlant chant, danse et instruments traditionnels. “On a tout le temps cette volonté, quand on prépare nos set, de faire passer un message, de raconter une histoire. On ne fait jamais un set sans avoir une intention derrière” explique Ahlem. Chaque performance est une exploration multidimensionnelle, où la musique n’est qu’une composante d’un univers plus vaste. “Par exemple, lors d’un set, on a simultanément organisé un défilé de mode et une exposition photographique, pour créer une expérience immersive et narrativement riche pour le public” précise Nesrine. Cette approche innovante reflète leur désir de ne pas être enfermées dans une catégorie musicale, mais plutôt d’être reconnues pour l’univers unique qu’elles créent.

Leur ambition est plus grande qu’une quête de célébrité. Elles aspirent à ce que leur art soit compris et apprécié dans sa globalité. Leur objectif n’est pas de se conformer à un style particulier, mais de partager un univers distinctif et authentique, en faisant toujours passer un message, social et politique. Alhem explique :  “On a grandi dans les années 2000 en Algérie. C’était post-décennie noire et il y avait beaucoup d’artistes, notamment Gnawa Diffusion, qui avaient des messages très forts. Ils et elles s’inspiraient d’ailleurs du reggae et de sa vocation contestataire. Je pense que c’est pour ça qu’on a aussi ce côté revendicateur. Et puis, déjà qu’on a du mal à exister, en vrai, c’est normal de vouloir s’exprimer.” Dans leur vie quotidienne, elles continuent de jongler entre leurs emplois de jour et leur passion pour la musique, un équilibre qui témoigne de leur dévouement et de leur réalisme. Ahlem, avec son désir insatiable de nouveauté et d’expérimentation, et Nesrine, avec son approche plus mesurée, trouvent leur équilibre en se produisant dans des espaces intimes comme la Flèche d’Or ou Le Sample. Néanmoins, leur apparition au Théâtre Chaillot représente une étape majeure, symbolisant leur acceptation et leur reconnaissance dans des cercles artistiques plus institutionnalisés. Ce jalon dans leur carrière illustre non seulement leur croissance en tant qu’artistes, mais aussi leur capacité à transcender les frontières conventionnelles de la scène musicale.

 

 

disco makrout

© Instagram @disco.makrout

Chaillot brille

Sous les coups de 22h30 pétantes, Disco Makrout s’empare de la scène. Leur présence, en osmose parfaite avec la majesté du lieu, marque le début d’une soirée électrisante. Elles initient leur set avec une douceur mesurée, égrenant des sonorités house enrichies par des percussions en live, réalisées avec brio par Ahlem. Le public, d’abord dispersé et timide, se laisse peu à peu captiver par cette entrée en matière, témoignant d’une observation attentive avant de plonger dans leur univers. La température monte d’un cran lorsque Lalla Moon et Jimmy Medina, deux icônes de la scène de la danse, rejoignent le duo sur scène. Leur prestation est un mélange fascinant de danse du ventre, de voguing et de wacking, un ballet qui se marie à la perfection avec les rythmes accélérés de Disco Makrout.

La musique évolue vers de la techno, teintée de sonorités Gnawa, un changement accueilli par un public agréablement réceptif. Cette synergie entre danse et musique engendre une métamorphose dans l’atmosphère : le Foyer de la Danse, d’abord lieu d’observation, devient un épicentre de libération et d’expression. Les lumières rouges de la scène, se mêlant aux rayons jaunes de la Tour Eiffel, créent une toile de fond féerique. Sur scène, Ahlem et Nesrine forment une entité unie et complémentaire : Nesrine, plus calme et concentrée, reste ancrée à ses platines, tandis qu’Ahlem communique plus facilement avec le public, partagent avec générosité sourires et gestes affectueux.

Le set de Disco Makrout, bien qu’éphémère, d’une heure seulement, laisse un souvenir indélébile. Le public est unanime dans son enthousiasme, les applaudissements et les acclamations fussionnent en un cri harmonieux : “Encore, encore !” Une preuve que la musique du duo, dans son ambition de transcender les frontières, atteint son but avec une éloquence incontestable. Alors que les lumières se rallument, signalant la fin de cette parenthèse de découverte musicale, une file de nouveaux fans se forme spontanément, chacun désireux d’exprimer son admiration pour le duo.

La soirée s’achève comme elle a commencé, dans une brasserie face au théâtre. Un cadre “différent de [leurs] habitudes” mais qui symbolise parfaitement la portée universelle et la richesse de leur art, un mélange de musiques traditionnelles africaines, afro-descendantes et de sonorités électroniques : un duo discret en apparence, mais indéniablement explosif dans son essence, affirmant leur place incontournable dans le paysage musical et artistique actuel.

Mel Mougas

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