© Florian Leroy // Emma Picq

Live report : Zaho de Sagazan, 23 ans, illumine le Trianon en toute modestie

Après un pre­mier album excel­lent, Zaho de Sagazan con­tin­ue d’é­pa­ter. Au Tri­anon en ce soir d’avril, elle s’est démar­quée par son sens du show, son autodéri­sion et surtout un naturel qui lui con­fère tout son charme.

Devant le Tri­anon, la queue des gens sur “liste” est aus­si longue que l’attente de voir enfin jouer Zaho de Sagazan seule à Paris. On l’a déjà vue fouler les planch­es de célèbres salles, mais tou­jours en pre­mière par­tie : celle de Hervé à l’Olympia, de Mansfield.TYA au Tri­anon ou de Juli­ette Armanet au Zénith. C’est une pre­mière pour la jeune artiste de 23 ans et pour­tant le con­cert se joue à guichet fer­mé. Depuis la sor­tie de son pre­mier album La Sym­phonie des éclairs, Zaho de Sagazan est l’artiste du moment. Mais elle est bien plus. C’est une voix et des textes qui vous feraient pleur­er sur com­mande, col­orés par un élec­tro directe­ment tiré d’une machine à rêves ‑le syn­thé modulaire- qui peu­vent aus­si bien accom­pa­g­n­er un dimanche plu­vieux, qu’un début de ven­dre­di soir.

Sur scène, elle appa­raît toute de noir vêtue, couleur qui fait divine­ment ressor­tir ses cheveux blonds per­ox­y­dés, sont devenus sa mar­que de fab­rique. “Aspi­ra­tion” reten­tit et on ne peut s’empêcher de penser que c’est dom­mage de ne pas réserv­er ce tube pour plus tard, lorsque le pub­lic sera bien échauf­fé. Avant que le refrain ne com­mence, les musi­ciens mar­quent une pause, ce qui per­met à Zaho de mimer une “dernière” cig­a­rette qu’elle porte à ses lèvres. Pas besoin de plus pour nous hyp­no­tis­er. Tout le long du con­cert, elle s’économise de choré­gra­phies extrav­a­gantes et se con­tente de laiss­er son corps tout entier s’animer, tan­tôt pour tra­vers­er la scène dans des mou­ve­ments lanci­nants, tan­tôt pour sautiller lorsque le rythme le permet.

Le rythme, ce sont son fidèle ami Tom Gef­fray et ses per­cus­sions qui le tien­nent. Alex­is Delong, un artiste qu’on a déjà vu s’illustrer sur les pro­duc­tions hyper­pop de l’EP Chan­sons Tristes de Yoa, a rejoint ce duo. Sur scène, il est aux manettes du fameux syn­thé­tiseur mod­u­laire, cette imposante machine qu’on voit sur la pochette de La Sym­phonie des éclairs. Avec ses sons cos­miques, cet instru­ment donne une touche futur­iste à la musique de Zaho. L’illustratrice de la pochette l’a poé­tique­ment retran­scrit en faisant se con­fon­dre le clig­note­ment de ses bou­tons avec les étoiles. Mais ramen­er un syn­thé mod­u­laire au Tri­anon, ce théâtre emblé­ma­tique aux moulures dorées et aux fresques qui col­orent le pla­fond, il fal­lait oser.

 

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Change­ment d’ambiance pour les deux prochains morceaux. La lumière se tamise, la jeune femme s’assoit der­rière son clavier. Les pre­mières notes de “Dis-moi que tu m’aimes” reten­tis­sent. Avec ses yeux mi-clos et son vis­age qui s’éteint pour se recen­tr­er sur ses émo­tions, Zaho sem­ble tout droit sor­tie d’un film expres­sion­niste alle­mand. Elle ne badine pas avec l’amour. La fin du morceau per­met à sa voix de déploy­er toute sa puis­sance et sur une même phrase “dis-le moi que tu m’aimes”, elle oscille entre notes graves qu’elle est allée chercher au plus pro­fond de son cœur et les aigus, qui traduisent toute sa fragilité. Les applaud­isse­ments la sor­tent de sa transe. Elle s’y rep­longe rapi­de­ment, pour enton­ner “La dérai­son”, le morceau qui l’a fait con­naître. C’est au tour du pub­lic de pren­dre une mine grave tant les paroles tran­spirent le manque “Mon monde, est immonde sans toi”

C’est au tour de “Dansez” de faire ses preuves, morceau qui com­mence avec un rythme tech­no cryp­tique. Des lumières indi­go tamisent le Tri­anon, on se croirait presque dans une cave berli­noise “Per­son­ne ne vous voit, d’ailleurs per­son­ne ne vous regarde. Alors dansez. Dansez, qu’est-ce que vous atten­dez ?” Un coup de cym­bale charleston donne le top départ à une pluie de notes élec­tron­iques qui s’abattent sur la foule ‑quasi- en délire. “Bon dieu, dansez !” Tes désirs sont des ordres (désor­dre ?) Zaho. Ce morceau ne fait pas par­tie de l’album et franche­ment, on s’en mord les doigts.

Zaho clôt son con­cert par une reprise de Brigitte Fontaine, un de ses mod­èles. Pas sim­ple, puisque son choix se porte sur une chan­son de niche, bien que sub­lime “Ah que la vie est belle”. Elle entame le pre­mier cou­plet avant que deux de ses com­pères de Saint-Nazaire ‑sa ville d’origine- ne la rejoignent. Ils ont en mains des pan­car­tes, avec les paroles du refrain inscrites dessus. C’est d’un naturel décon­cer­tant, on s’amuse lorsque les paroles ne cor­re­spon­dent pas aux écriteaux. Mais qu’est-ce qu’on s’en fout, puisque “la vie est belle” non ? C’est ça Zaho de Sagazan : une artiste avec un univers com­plexe et sin­ueux, mais qui prend tou­jours par la main ‑ou plutôt par un regard- son pub­lic. Pour l’emmener avec elle dans ses péré­gri­na­tions vocales.

Le Tri­anon se désen­gorge peu à peu. Zaho de Sagazan décide de finir sa soirée, non pas dans un des très nom­breux lieux hup­pés du 9ème arrondisse­ment de Paris mais dans un PMU. Un bar peu­plé des gens qu’elle aime. Ses fameuses “bonnes étoiles”, qui emprun­tent leur nom à la chan­son de M qu’elle a reprise sur scène, accom­pa­g­née de sa meilleure amie Ségolène. Une fête à l’image de Zaho de Sagazan qui, mal­gré une tournée de fes­ti­vals prévus et deux zéniths de pro­gram­més, demeure sans prétention.

Et si vous êtes vrai­ment d’at­taque, quelqu’un dans le pub­lic a filmé tout le con­cert au télé­phone. (Prof­itez de la vidéo avant qu’elle ne soit supprimée)

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