Malvina : « La musique m’a littéralement sauvé la vie » | INTERVIEW
Cheffe d’orchestre, compositrice de musique savante, de musiques de films, pole dancer, chanteuse, productrice, domina et bête de scène. Malvina est tout ça à la fois. Après une incroyable release party au Point Ephémère, elle a sorti Mercedes (comme son deuxième prénom), un album d’une densité et d’une intensité assez rare. Chronique et interview.
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Malvina – Mercedes (Pop Noire)
De la composition orchestrale à l’hyperpop façon punk qui s’invite en club BDSM, il n’y a parfois qu’un pas. Pour le prouver, Malvina livre Mercedes, album d’une densité folle qui ne laisse que peu de moments de repos. Dans ces douze chansons, elle incarne donc Mercedes, son perso de dominatrice. Les textes sont directs, efficaces et cinglants. Côté musique ça se transcrit par de la violence nécessaire, de l’hyperpop avec quelque chose d’emo, des incursions électroniques et ça tend parfois même vers le métal… Un disque construit avec le multi-instrumentiste Joachim Baumerder et signé chez Pop Noire, label de Jenny Beth.
Coups de cœur pour ‘Forever’, le très fort ‘Sorry Not Sorry’, ‘BRAT’ et ‘Whip It’. On a parfois l’impression de se faire rouler dessus, et ce n’est pas pour nous déplaire.
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Tsugi : En dix ans de carrière tu es ou a été chanteuse, productrice, arrangeuse, compositrice, cheffe d’orchestre, pole dancer, compositrice de musiques de films… L’une de ces casquettes prédomine-t-elle sur les autres, aujourd’hui pour toi ?
Malvina : Non, j’ai vraiment besoin de tout ça ensemble pour fonctionner. Sinon je me sens triste.
Triste, carrément ?
Malvina : Ah oui, clairement. J’adore la scène, mais pour moi elle n’a pas de sens si je ne peux pas avoir de moments de studio. J’adore faire des arrangements pour les autres, je crois que c’est là où je prends le plus de plaisir. J’adore travailler avec des orchestres… La pole dance c’est vital : si je n’en fais pas tous les deux jours, je suis en PLS…. Oui, tout est très important.
Le fait d’être plurielle et d’avoir posé des pierres un peu partout, fait qu’aujourd’hui tu peux être tout ça en même temps ?
M : Oui ! J’ai l’impression d’avoir construit la profession ultime : j’essaie de tout mettre en place depuis plusieurs années, là je fais enfin tout en même temps. L’impression d’être arrivée à mon but.
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[[Ici, s’en est suivie une discussion autour du travail titanesque de Malvina sur Saisons, projet orchestral de Pomme. Même si on est fans de ce projet, de sa construction ; même si on a fait partie des quelques privilégiés à assister aux Zéniths orchestraux (voir ici) + au ciné-concert unique au début du printemps (voir ici)… On a préféré aller à l’essentiel, pour se concentrer sur Malvina et sur l’excellent disque qu’est Mercedes]]
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Si on peut revenir rapidement sur ton parcours de musicienne : si j’ai bien compris, tu commences par le Conservatoire à 6 ans ?
M : Oui, d’abord par le piano -exclusivement- pendant des années. Puis une parenthèse où j’ai appris l’orgue, que je faisais en plus du piano pendant un an. J’ai commencé à composer assez tard, enfin… À 19 ans.
Pourquoi as-tu ressenti l’envie de composer à ce moment-là ?
M : J’ai toujours eu envie de le faire. Depuis toute petite, je savais que j’allais être compositrice, c’était mon goal ultime. J’ai pris le temps pour le faire. Je me suis sentie prête à un moment donné, et je me suis lancée. Ce que je suis aujourd’hui, c’était le projet depuis que j’ai commencé le piano. Je savais déjà tout ce que je voulais. C’était clair, très clair dans ma tête.
« Ce que je suis aujourd’hui, c’était le projet depuis que j’ai commencé le piano » Malvina
Un premier disque sort en 2012, The Wise One. Qu’en retiens-tu aujourd’hui, qu’est-ce que tu en gardes ?
M : Je ne sais pas si ça m’a apporté quelque chose. En revanche, ça m’a enlevé un poids énorme. Déjà, parce que je me suis sentie capable d’écrire des morceaux, ce qui est déjà énorme à 19 ans (quand je l’ai commencé). Je me suis rendue compte que c’était presque l’équivalent d’une séance de psy. Ça m’a vraiment libérée. Et ce n’était que le début.
En tout cas, je pense que si je n’avais pas eu ça, ma vie aurait été un drame absolu. Ça m’a littéralement sauvé la vie.
Pourquoi tu dis que ça t’a sauvé la vie ?
M : Littéralement, en fait. Je ne vais pas rentrer dans le drama de ma vie à ce moment-là, mais je vivais des violences au sein de mon foyer. (cf la chanson ‘Sorry Not Sorry’, ndlr) Et je crois que j’avais besoin d’un exutoire. Besoin de sortir des trucs, d’un média pour m’exprimer d’une autre façon.
« Si je n’avais pas eu la musique, ma vie aurait été un drame absolu. Ça m’a sauvé la vie » Malvina
Quelques changements ont l’air de s’opérer dans ta musique avec l’album Home et surtout les EP qui suivent, Corpus et Anima. C’est à ce moment que tu commences à aborder des thèmes qui reviendront plus tard : relations entre esprit et corps, sexualité, quelques percées électroniques. Tu peux en parler ?
M : C’est le moment où je traînais avec les équipes de Midnight Special Records. Je découvrais la MAO, je voyais des gens autour de moi travailler sur des ordis… C’était un monde étranger pour moi, ça m’a fascinée. Je me suis rendue compte que je n’étais pas obligée de travailler avec des instruments « naturels » : je pouvais aller trifouiller des synthés, chercher des sons moi-même, en fabriquer.
Corpus et Anima ont été construits dans un moment où j’avais enfin compris comment ça fonctionnait. Cet album, c’était une grosse expérimentation pour moi. Je n’avais pas forcément envie d’en faire quelque chose de très particulier, ou que ça plaise. Je voulais voir jusqu’où je pouvais aller avec un ordinateur entre les mains. Expérimenter, et rien d’autre.
« Je voulais voir jusqu’où je pouvais aller avec un ordinateur entre les mains.
Expérimenter, et rien d’autre » Malvina
Comment en es-tu arrivée à Mercedes ?
M : Je vois ça comme un album totalement à part. Déjà, parce que c’est la première fois où je suis en collaboration avec quelqu’un d’autre : Joachim Baumerder, avec qui j’avais déjà fait le track ‘Death’ sur un précédent EP. J’ai vraiment opéré un gros reboot de mon projet et je ne travaille plus du tout de la même façon qu’avant.
Qu’es-ce qui est différent ?
M : La différence, c’est déjà cette collaboration. C’est aussi le fait de ne plus du tout écrire dans la souffrance. Ce projet a été écrit dans la joie et la bonne humeur (rires). Ça a été une énorme partie de plaisir, l’écriture de ce disque : on était morts de rire tout le temps. Toutes les conneries qu’on faisait, on les mettait dans le disque et on était content.
C’est la première fois de ma vie que j’arrive à me définir plus clairement musicalement. Même si l’album part dans plein de styles différents, il y a une ligne directrice qui me ressemble. Première fois que je trouve vraiment mon identité, aussi bien en tant qu’artiste qu’en tant que personnage/performeuse.
Justement, tu parlais de Joachim Baumerder : comment a été conçu l’album ?
M : J’avais quelques maquettes écrites seule avec Joachim, mon meilleur pote. Je savais que ce disque, je voulais le faire en trippant un max, que tout soit drôle. Je lui ai dit « mec, viens on fait un album ensemble, je t’envoie des maquettes et c’est parti ». Puis il y a eu le Covid, donc on a beaucoup travaillé à distance : on s’envoyait des choses et on a avancé comme ça, chacun dans notre coin.
« On a bossé majoritairement dans une chambre, en slip sous la couette » Malvina
Puis on a pu se retrouver, squatter un peu. On a bossé majoritairement dans sa chambre, en slip sous sa couette (rires) Il y a des superbes photos de nous d’ailleurs, hyper schlag, où j’ai un mic’ sous une couette. C’est pas du tout professionnel, mais c’est comme ça qu’on a rec l’album. Evidemment, d’autres morceaux ont été faits plus sérieusement, dans les studios de Pop Noire. Quand on avait vraiment besoin d’une voix hyper propre, on allait là-bas.
Tu disais que l’album part dans pas mal de directions. Dans quoi as-tu puisé pour le composer ?
M : C’était une époque où j’écoutais beaucoup de choses différentes. Ado, j’écoutais autant de rock que de pop, metal, R&B… Plein de styles différents. J’ai voulu mettre toutes mes références d’ado dans l’album. Je me suis beaucoup inspirée de Poppy, de Ghostemane, Charlie XCX, Cobrah, SOPHIE, FKA Twigs, Selena Gomez, Deftones, IDLES.
Pour moi, tout ça faisait référence à l’adolescence, avec un côté punk et chanson grand public en même temps, ‘à la Nirvana’. L’idée, c’était de garder le fil directeur de l’album : il fallait que ce soit punk. L’esprit punk est la glue de l’album.
Peut-on dire que la domination, de manière générale, est une des actrices de l’album ?
M : Ce disque parle des rapports humains. Beaucoup des relations hommes-femmes, mais pas que. Ce qui était important pour moi dans le disque, ce n’était pas d’établir un niveau de valeur entre dominants et dominés. Je ne voulais pas que ce soit binaire, ou banal. Je voulais raconter les nuances, dans des rapports consentis ou des rapports qui le sont moins.
Je voulais parler de toute leur complexité, sans forcément émettre un jugement de valeur. C’était le moment où je lisais beaucoup de bouquins sur le sujet. Ça me permettait d’avoir un jugement nuancé.
Que ce soit dans le texte ou dans la musique, l’album est direct, sans détour. Ça s’est fait naturellement ? Ou bien c’était une volonté appuyée ?
M : Oui, c’était vraiment une volonté. J’avais une idée précise de ce que je voulais dès le début, comment je voulais que ça sonne.
Joachim me proposait des trucs, je disais « oui, non, ça ça dégage, ça ça reste ». Je voulais un truc très efficace, je ne voulais pas 10 000 phases dans les morceaux. Je voulais aller droit au but. Et du coup, il y a beaucoup de choses qu’on a épurées, qu’on a enlevées.
En termes de construction des titres, ou du nombre de pistes ?
M : Surtout dans la construction. Par exemple dans « For The Fun Of It », à la base, il avait une intro d’1 min 30. Au final, juste avant d’envoyer l’album au mix, j’ai dégagé toute l’intro. « En fait, non, on va commencer, bam, couplet, ça part. Je vois pas pourquoi on se fait chier ».
Il FAUT que ça enchaîne. J’ai l’impression que même moi, quand j’écoute l’album, j’ai l’impression que tu ne respires pas du début à la fin. La seule pause de l’album, c’est « Sorry Not Sorry ». Limite, c’est fatigant mais j’aime bien, c’est ce que je voulais. Ce que je trouve cool, c’est que l’album est éprouvant pour le corps et c’est une belle allégorie du BDSM : à la fin tu es essoufflé-e et tu te dis « qu’est-ce que je viens de prendre ? »
On voit régulièrement débarquer des artistes ayant eu une formation classique et qui, après, tentent de s’en affranchir. Toi, tu arrives à allier les deux. Tu te sens la même personne, la même artiste ?
M : Evidemment, ce sont deux parties de ma personnalité qui sont différentes et qui, je trouve, se répondent bien. C’est plein de petits bouts qui font que je me sens complète. Si je ne faisais que du punk, il me manquerait le côté classique. Et si je faisais seulement du classique, il me manquerait le punk. J’ai besoin des deux pour fonctionner correctement.
« Je voulais un disque efficace, aller droit au but » Malvina
Un son dans l’album s’appelle « Monogatari-X »
Malvina : Je crois que tu es la première personne à me parler de ce morceau.
Tsugi : Très honnêtement, je ne savais pas ce que c’était, puis je suis allé regarder. Tu peux expliquer ce que c’est, et comment ça se rattache à toi ?
M : Tu veux dire la signification de « Monogatari-X » ?
T : J’ai l’impression que c’est lié aux anime.
M : Oui ! Mais en fait, pour moi pas du tout. (AH, ndlr) À la base, ce morceau est une histoire d’amour. C’était hyper important pour moi, de montrer dans ce disque que j’ai aussi beaucoup d’amour pour les hommes.
Je leur défonce la gueule dans « Brat » ou « Incel », il y a beaucoup de choses à régler et les relations avec les hommes sont complexes, mais j’ai énormément d’amour pour les hommes qui m’entourent.
Enfin, je parle d’une personne en particulier dans le morceau. J’ai cherché un anagramme avec son nom et son prénom, pour en faire un titre. Je suis tombée sur « monogatari-x » et je me suis dit « P**ain, mais ça a une consonance japonaise ».
Donc tu ne connaissais pas le mot au départ, qui effectivement existe en japonais ?
M : Ah non, je ne savais pas ce que ça voulait dire ! « Monogatari », ça veut dire « histoire de », ou bien « conte ». Et le X, pour moi, ça faisait référence au porno. Du coup ça donnait « monogatari-x = histoire de cul » et c’est exactement ce dont je parle.
Je trouvais ça cool de faire fonctionner la relation amoureuse et le sexe ensemble. À la base c’est donc un anagramme heureux, pour un sens caché.
Dans « BRAT », tu répètes « I’m not just a mother, I’m not just a whore ». Tu peux développer ?
M : C’est cette dualité classique qu’on a toutes entendue de la maman et de la putain : si une femme n’est pas une mère, c’est une pute. Souvent, on colle ce mot de ‘pute’ aux meufs assez rapidement : à partir du moment où elles ont plusieurs partenaires sexuels, ou qu’elles ont une vie sexuelle libérée, ou qu’elles ne veulent pas d’enfants… À partir du moment où elles ont choisi d’être libres, en fait. Pour toutes ces femmes qui font des choix en dehors de ce qu’on attend d’elles.
Ce morceau parle des choses que les hommes projettent sur les femmes. Donc j’étais obligée d’évoquer cette dualité. Mais je ne suis pas du tout la première à en parler. Et pas la dernière, j’imagine.
Dernière question : tu as un feat. avec Jenny Beth, ‘Feelings’, c’était important pour toi ? Et pourquoi ce titre ?
M : Ah ben oui ! Je crois que je ne pouvais pas faire un disque sans la faire apparaître dedans, c’était trop important.
C’est sur un morceau un peu trap-metal. Je me suis dit que c’était l’idéal pour faire ça. Et elle a tellement fait partie de ma vie, j’étais en tournée avec elle quand j’écrivais l’album, on était ensemble h24… Donc c’était évident. Elle a aussi beaucoup participé à cet album. J’ai eu plein d’expériences de vie grâce à elle, et que j’ai racontées dans mon disque. Donc c’était important qu’il y ait un bout d’elle.