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© Lawrence Fafard
1 décembre 2023

Pomme célèbre les saisons dans un album orchestral | INTERVIEW (1/2)

par Corentin Fraisse

Une tournée ponctuée de deux lives orchestraux au Zénith de Paris, un premier rôle pour son premier film au cinéma… Et aujourd’hui l’album Saisons, dont la première partie est sortie ce 1er décembre, comme un cadeau de Noël avant l’heure. On a parlé avec elle, plutôt en longueur, de cette triple actualité. Si bien qu’on scinde cet entretien en deux. Voilà la première partie, la deuxième viendra dans quelques jours. 

Pomme est dans un moment extatique de sa carrière. Après un premier album intitulé À peu près où elle n’avait pas pu contrôler grand chose, elle a sorti deux merveilles de galettes -assez logiquement- saluées par la critique : Les Failles puis Consolation. Elle a conquis un public de plus en plus large, de plus en plus varié.

Alors qu’elle vient de remplir Forest National en Belgique, puis deux soirs de suite le Zénith de Paris avec le même live orchestral (elle et son groupe étaient accompagnés par 18 musiciens classiques), elle est à l’affiche de son premier film La Vénus d’Argent et vient tout juste de sortir un album-concept, centré sur les saisons. C’est sorti ce 1er décembre et ça s’appelle Saisons. Tout simplement.

Alors au milieu de tout ça, on a eu un peu de temps avec elle pour une interview, dans les locaux d’Universal à Paris. Malheureusement, à force d’enchaîner les concerts, Pomme a fini par tomber malade mais a tenu à maintenir l’entretien. Si bien que depuis, elle a été arrêtée par son médecin et a été contrainte de reporter deux dates. Donc pour cet entretien, on se sent quelque part un peu coupable, mais surtout reconnaissant.

 

D’abord, comment ça va ?

Pomme : Malade comme tu vois (rires) mais contente de sortir cet album, de faire de la tournée et de sortir un film en même temps ! Je suis overwhelmed, donc je pense que c’était assez naturel que je tombe malade. C’est le revers de la médaille mais je suis hyper fière de tous les projets du moment.

 

J’aime la réponse honnête, pas juste un « ouais ouais ça va »

Quand les gens te demandent si ça va, soit tu dis ‘oui’ par habitude, soit la réponse est complexe. Je pourrais répondre là-dessus toute l’interview, mais je me sens heureuse… Et en K.O. technique.

 

La première fois qu’on s’est parlé en interview c’était à Marseille au Silo, en 2017. Tu jouais en première partie d’Asaf Avidan et tu venais de sortir ton premier album À peu près. Tu me disais « Je pense que j’ai du mal à me rendre compte de mes accomplissements et d’être satisfaite de ce que je viens de faire ». Tu en es où par rapport à ça ?

Ça donne de l’espoir : en 2016-2017 j’avais vingt ans et donc 7 ans plus tard, je me sens plus fière de moi, ce qui n’était pas trop le cas avant. Par contre, j’ai du mal à m’arrêter de travailler : si j’étais vraiment satisfaite de moi, je pourrais m’octroyer plus de pauses. Même si j’ai accompli des choses, je garde un sentiment d’inassouvi, un réflexe de productivité. Alors même que je suis dans une branche où tu as le droit de prendre un peu le temps, mais en fait je ne le fais pas et j’ai l’impression d’avoir plutôt un rythme de rappeuse que de meuf qui fait de la folk.

 

Tu arrives à finir des choses que tu entreprends et à en être contente ?

Oui, mais je recommence tout de suite autre chose après. Quand on me demande « c’est quoi ton ambition ? », je n’ai pas la réponse. Mais je suis vraiment satisfaite de plein de trucs et depuis À peu près, il y a eu Les Failles, puis Consolation. Et puis ce film que j’ai fait, et cet album qui parle des saisons…

 

Cet album justement : il est construit comme un opéra, en quatre mouvements. Comment est venue l’idée de faire cet album ? Tu y pensais depuis longtemps ?

Je n’y ai pas du tout pensé depuis longtemps. C’était après avoir fait Consolation, un peu sur le même modèle que Les Failles : résidence d’écriture toute seule, écriture de chansons en guitare-voix, piano-voix, ensuite studio avec des musiciens qui jouent live comme dans les années 1960, dans des studios qui ressemblent à des châlets (au Canada ou en France)… Et puis sortir l’album et encore après faire la promo, puis faire une tournée… J’avais le sentiment d’être allée au bout de cette méthode. Et donc, que si je refaisais un album avec le même processus, j’allais sûrement m’ennuyer. Ça allait être moins intéressant pour moi et pour les gens.

pomme automne

© Lawrence Fafard

D’où est venu le déclic, alors ?

Au beau milieu de mai qui était mon mois de pause, j’ai commencé à écrire des chansons, sans penser à un projet en particulier. C’était le printemps au Québec et là-bas c’est vraiment spécial, les gens ont un attachement et une euphorie au printemps. Parce qu’il vient après des mois de froid polaire à -35°C, c’est vraiment une célébration. Il y avait des fleurs partout et cette sensation de renaissance de toute une nature.

J’ai commencé à écrire la chanson du printemps à ce moment-là : je n’avais plus envie d’écrire sur moi ou mes émotions. Si je m’inspire de ce qui m’entoure, si je vois plus grand et que je me remets à ma place d’humaine, petite entité dans un espace immense, ce n’est plus à propos de moi. L’idée est venue comme ça.

 

Vous aviez déjà réuni l’orchestre qui, depuis, a joué avec vous au Zénith de Paris ? (On vous conseille les photos de ces lives)

Oui, en mai je le savais déjà, on a prévu ça il y a un an. Un orchestre de 16-17 personnes, qu’on ‘utiliserait’ seulement pour 3 concerts, ça n’avait pas de sens. Je me suis dit que cet album des saisons devait avoir son orchestre. Et que chaque personne qui participe à cet album puisse interpréter les saisons à sa façon. Que ça devienne un truc collectif, à l’inverse de ce que j’avais fait sur Les Failles et sur Consolation, où j’ai eu besoin de récupérer le narratif, l’écriture, la composition… Parce que sur À peu près justement [son premier album, on rappelle] je n’avais pas pu contrôler toutes ces choses-là.

 

Tu as laissé un peu de place aux musicien-nes et à la cheffe d’orchestre, autant sur l’album que pour les Zénith ?

pomme hiver

© Lawrence FAFARD

Malvina, la cheffe d’orchestre, a fait les arrangements pour l’orchestre de Consolation. Et je lui ai proposé de faire cet album avec moi ! En lui décrivant mon projet : 12 chansons divisées en 4 mouvements, divisés en 3 actes à chaque fois. C’est une ode aux saisons, un moyen pour moi de changer ma façon de travailler. Un moyen de reconnecter à un rythme plus lent, d’arrêter de courir en fait. Il y a cette idée de naturalisme, où je suis observatrice plus que personnage principal. Malvina a été tout de suite partante.

 

C’était quoi le but de cet album ?

Comme j’ai vraiment voulu tout contrôler pendant les 7 dernières années. L’expérience hyper violente de mon premier album; de ne pas me sentir respectée artistiquement, je l’ai réparée avec Les Failles et Consolation. Je crois que je suis arrivée à un moment où je sais que plus personne ne va me faire faire des choses que je n’ai pas envie de faire. Là, de pouvoir réouvrir les perspectives en co-composant avec d’autres artistes, ça m’a fait beaucoup de bien. J’en avais besoin. J’ai travaillé avec des gens en qui j’ai confiance comme Flavien Berger, mais j’ai quand même bossé avec Aaron Dessner, que je ne connaissais pas du tout qui a co-composé avec moi tout l’hiver.

 

 

Par-dessus tout ça, il y avait aussi l’envie de célébrer une partie de ce qui m’a fabriquée en tant qu’artiste : la musique classique et la musique de dessin animé. Et aussi inconsciemment, tourner l’attention vers la nature.

 

C’est une façon de célébrer la nature, qui a souvent eu sa place dans ton travail comme dans ton engagement ?

Oui, ce n’est pas une défense de la nature active mais il y a cette idée de célébrer la nature. Je suis très contente de sortir cet album maintenant. Parce que je trouve que le contexte social est hyper violent, tout ce qui se passe partout dans le monde… Ça m’aurait mise mal à l’aise de sortir un album intime, sur mes petits problèmes de blanche d’Occident.

 

Cet album c’est un choix différent, où ta voix est aussi moins centrale.

Exactement, j’ai voulu regarder vers l’extérieur, faire un album centré sur les saisons. En effet ma voix n’est plus au centre, il y a l’orchestre et plein d’éléments apportés par tous ceux qui ont composé sur l’album. L’idée c’était que chacun et chacune puisse interpréter intimement les saisons. Que ce soit ma pote Melody pour le stylisme sur les pochettes, Malvina aux arrangements, Safia Nolin au graphisme. Avec à chaque fois une allégorie de la saison, pour l’automne j’ai des oreilles de chèvres… (Voir ci-dessous) C’est hyper naturaliste.

 

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Dans les chansons il y a un côté orchestral appuyé, cinématographique. On l’a d’ailleurs aussi très bien vu au Zénith. Comment es-tu partie dans cette direction ?

Je pense que c’est dans ma culture et dans la façon dont j’ai été éduquée. J’ai eu la chance de faire du solfège à huit ans et de jouer du violoncelle. Je ne l’ai pas trop mis en avant, parce que c’était une expérience à la fois hyper privilégiée. Mais sur le moment j’étais déjà perfectionniste et anxieuse de faire bien, d’être la meilleure dans tout. J’ai arrêté de faire du violoncelle et du solfège parce que je ne me trouvais pas assez bonne.

Quand tu rentres dans la théorie, le solfège devient des mathématiques, c’est rigide. La chorale dans laquelle j’ai été pendant dix ans, c’était incroyable. Là-bas j’ai appris à chanter et plein d’autres choses, mais toujours avec cette rigidité, cette rigueur… Je pense qu’ensuite j’ai énormément rejeté ça, pour m’y reconnecter dix ans plus tard et aller complètement ailleurs : vers la musique folk. J’ai fait des chansons françaises acoustiques minimalistes qui n’avaient rien à voir avec tout ça. La plupart du temps il y a quatre accords et peu de complexité, loin du conservatoire ou des écoles de musique. C’est encore une forme de réparation.

 

Pomme Automne

© Lawrence FAFARD

Tu veux dire que ça fait partie de toi, et qu’après l’avoir rejeté tu composes avec ?

Il y a de ça, c’est un peu comme mon rapport à la religion. D’avoir grandi dans la religion chrétienne pendant des années, je l’ai rejeté. Et puis il y a des choses notamment dans l’art, la musique, les vitraux, dans les choses plus visuelles ou sensorielles, qui sont belles et intéressantes à mettre dans ma musique aujourd’hui. Retrouver un peu de classique pour mes Zéniths, c’était important pour moi. Qu’il y ait des moments avec seulement l’orchestre, sans ma voix par-dessus, parce qu’il y avait aussi cette envie de démocratiser l’orchestre et la musique classique.

J’ai cette utopie de vouloir mélanger les genres. Être issu-e d’un endroit et devoir y rester, ça ne doit plus exister. Que ce soit pour moi ou pour les gens qui viennent à mes spectacles. Je ne veux pas que ma musique soit réservée à une catégorie de personnes, qui seront sans doute des gens qui me ressemblent.

 

Je vois ce que tu veux dire dans l’idée de vouloir démocratiser la musique classique, même s’il y a du mieux ces dernières années, avec des artistes qui font des ponts (Ibrahim Maalouf, Khatia Bunatishvili, Sofiane Pamart…)

Alors oui, mais dans l’expérience que j’en ai eu en tout cas, ça n’était pas encore si démocratisé. Même si j’étais dans une école de musique et pas un conservatoire, c’est réservé à une certaine classe sociale. Plein de gens ont l’impression qu’ils ne pourront jamais apprendre le solfège ou un instrument classique, ni même écouter de la musique classique.

Ce spectacle qu’on a joué au Zénith, on m’a proposé de le jouer à la Philharmonie de Paris. Je trouvais ça trop facile, attendu. Il y a plein de gens qui vont voir des concerts très variés au Zénith : musique pop, musique urbaine… Donc pour mes deux lives au Zénith de Paris, c’était essentiel que l’orchestre ait une place centrale pour cette raison-là.

 

Avoir l’orchestre avec vous pour quatre concerts, sans captation vidéo, c’était une volonté de ne pas les figer dans le temps ?

L’existence de cet album me console un peu : parce que c’est le même orchestre, la même arrangeuse que pour les dates à Fourvière cet été, à Bruxelles + les deux à Paris. En effet on n’a fait aucune captation vidéo. Je voulais que l’expérience soit éphémère. C’est comme accepter que l’automne, c’est le moment des deuils et qu’après viendra l’hiver…

Et puis finalement le printemps. Pour moi, le lien se fait : si tu vis des choses une seule fois dans ta vie, ça fait du bien de ne pas tout emboiter, de ne pas tout filmer tout filmer. Pour mon expérience sur scène, en sachant que je n’étais pas filmée, c’était forcément très différent ! C’est sans doute les concerts que j’ai le plus aimés, alors que c’était les plus gros et les plus stressants. Enfin si, un moment a été filmé : mon arrivée sur la première chanson, quand je descends du ciel.

(…)

La suite arrive dans quelques jours.
Au programme : on parle forcément de ces lives au Zénith, de musiques de dessins animés, et bien sûr du film d’Héléna Klotz, La Vénus d’Argent

 

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