Max Romeo, roi du roots et parrain du dub, s’est éteint
Le 11 avril 2025, Max Romeo, la voix mystique de « Chase the Devil », s’est éteinte à l’âge de 80 ans. Il laisse derrière lui une empreinte indéniable dans l’histoire du reggae et de la musique électronique. Max Romeo est autant un prophète roots qu’un saint patron du sample. Son histoire commence à Kingston, mais elle plane encore dans les clubs de Londres et les open airs de Berlin.
Maxwell Livingston Smith naît en 1944 à Kingston. On l’appellera Max Romeo, parce que Bunny Lee, producteur génial et parieur fou, a le sens du surnom. Très vite, Max n’est pas là pour amuser la galerie. Ses premières chansons parlent de la rue, du ghetto, des rudes boys. En 1968, « Wet Dream », chanson grivoise qui fait rougir la BBC, explose sur les ondes — quand elle n’est pas censurée. C’est cru, c’est culte, c’est Romeo.
Max Romeo, c’est le reggae « conscious » dans sa version la plus prophétique, le son roots gravé dans les sillons du dub, et – fait plus rare – un des artistes fondateurs de la musique électronique sans jamais avoir touché à un séquenceur.
Parce qu’avant même que le mot « électronique » soit popularisé, les machines tournaient déjà dans ses disques, trafiquées par un certain Lee « Scratch » Perry, gourou du mix et père du dub. Ensemble, ils ont créé une matière sonore qui, des décennies plus tard, allait devenir l’ADN de toute une galaxie musicale – du big beat au dubstep, en passant par le trip-hop, la techno minimale et le UK bass.
Et au centre de cet univers en expansion, il y a un morceau : “Chase the Devil”, sorti en 1976.
« Chase the Devil », sortilège envoutant tous les genres
« I’m gonna put on an iron shirt, and chase the devil out of earth… »
Dès les premières secondes, »Chase the Devi » sonne comme une incantation. Max Romeo y chante comme un prophète et Perry habille tout ça d’un groove brumeux. En une chanson, ils tentent de chasser le Mal, oui, mais surtout, ils inventent un template éternel pour les beatmakers du futur.
Max Romeo était le médium parfait pour ces manipulations futuristes. Sa voix profonde, lentement posée, se prêtait à toutes les mutations. Elle survivrait à tous les remixes.
De Kingston aux raves anglaises : l’héritage électronique
1992, Royaume-Uni. Un gamin de l’Essex nommé Liam Howlett sample « Chase the Devil » pour le morceau « Out of Space » de son groupe The Prodigy. Résultat : un son électro-rave explosif, joué à fond dans les entrepôts de Manchester comme dans les radios pirates.
« I’m gonna send him to outer space / To find another race... » devient un cri de guerre post-Thatcherien, un appel au trip cosmique pour toute une jeunesse. Et ce n’est que le début. Le sample circule : Kanye West l’utilise pour « Lucifer » de Jay-Z en 2003. Tal dans « Out of Stress » aussi. Il s’invite dans GTA. Et il finit par résonner dans les clubs berlinois et dans les sound systems de Tokyo sur des tracks de The Qemists ou Coki.
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La voix de Max Romeo traverse les genres. Elle se transforme en texture électronique. Sans le vouloir, il devient un des artistes les plus samplés de l’histoire du reggae, aux côtés de Sister Nancy ou de Horace Andy.
Son influence dépasse les samples : dans l’UK garage, la bass music, le dub techno, ou même les productions ambient les plus vaporeuses, on sent encore l’écho de ses incantations.
Des chansons hot à la chasse aux démons
Après « Wet Dream » et ses textes censurés, Max s’est radicalisé – musicalement et religieusement. Son album Revelation Time (1975) est une charge mystique contre le système. Avec War Ina Babylon l’année suivante, il entre dans le Panthéon. Les chansons y sont plus que des morceaux : ce sont des psaumes, des armes, des visions.
Plus tard, il part aux États-Unis, collabore avec Keith Richards, revient, se perd, se retrouve, tourne sans cesse, toujours entouré de ses enfants et d’un public fidèle. Jusqu’à la fin, il demeurait ce rasta à la voix grave et posée, fidèle à son reggae roots, celui qui ne triche pas, qui prêche l’espoir dans un monde en feu. En 2022, lors d’une dernière tournée en France, il confiait à Télérama :« My Way de Frank Sinatra, c’est ma vie. J’ai tout fait à ma manière. » Il avait raison.
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Si Max Romeo est mort, sa voix est immortelle. Pas seulement parce qu’elle est suave, grave ou émotive. Parce qu’elle a traversé le vinyle, les synthés, les platines, pour s’inscrire dans la grande mémoire musicale mondiale.
Sans Max Romeo, pas de “Out of Space”. Pas de remix de “Lucifer”. Pas de dubstep qui fait trembler les murs. Pas de revival roots dans les clubs berlinois. Il a chanté le Diable, l’a chassé, l’a mis en orbite. Une très belle raison pour lui rendre hommage.