Molécule, quand le bruit devient musique | INTERVIEW
Romain De La Haye alias Molecule, repousse les limites de la musique électronique en transformant le bruit en une expérience sonore immersive.
Après avoir enregistré les sons du Groenland avec -22,7° ou ceux des vagues géantes avec Nazaré, il s’est lancé dans une aventure inédite aux côtés du skipper Thomas Ruyant. À bord de son voilier pendant le Vendée Globe 2020-2021, il a capté l’essence de cette course autour du monde en enregistrant le quotidien du marin au cœur de l’océan. De cette expérience est né ‘29 173 NM’, un film immersif où l’artiste signe une bande-son inédite, intensément océanique, puisée directement au cœur des mers. À travers ses projets, Molécule nous invite à réinventer notre perception du son et de la musique. Dans cette interview, il revient sur ses méthodes, ses inspirations et sa vision unique.
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Qu’est-ce qui vous a conduit à transformer les sons de l’environnement en musique dans votre démarche artistique ?
Cela s’est fait de manière assez naturelle. En 2013, j’ai embarqué sur un bateau avec tout mon matériel pour capter les sons de la tempête. Mon idée était de faire en sorte que les sons de l’environnement deviennent le cœur même de mes compositions. Je ne me suis pas lancé là-dedans avec un plan précis, mais j’avais cette conviction que les sons bruts pouvaient raconter quelque chose d’authentique et puissant.
Ce processus, instinctif au départ, a fini par se structurer en une sorte de dogme artistique que j’applique aujourd’hui à presque tous mes projets. Chaque environnement que j’explore devient le point de départ, la base sonore qui nourrit ma musique, et c’est en plongeant au cœur de ces lieux extrêmes que je trouve la matière première de mes compositions.
Comment choisissez-vous les sons que vous souhaitez enregistrer et intégrer dans vos créations ? Avez-vous un processus particulier ?
Tout commence avec une intuition, une envie d’explorer un lieu spécifique sans idée préconçue. Je ne pars jamais en sachant exactement ce que je vais enregistrer, c’est plutôt une quête où l’inattendu prend toute sa place. Par exemple, lorsque je suis allé à Nazaré, je voulais capter un son particulier que je n’avais jamais entendu, mais je n’avais aucune idée de ce que ce serait. Je prépare alors mes outils de captation, mes micros, et je me laisse surprendre par les sons que je rencontre.
Le lieu se révèle à travers le son : c’est par cette approche sonore que j’ai découvert le Groenland ou les tempêtes de l’Atlantique. Une fois que j’ai capté les sons, le processus ne s’arrête pas là. Le soir, dans mon petit studio improvisé sur place, je réécoute les enregistrements et je commence à les sculpter. C’est un peu comme révéler les multiples facettes d’un diamant brut. Le terme « sculpture » convient bien, car je façonne le bruit pour en faire ressortir la musicalité, et à mesure que j’avance, le bruit et la musique se confondent, créant une symbiose unique.
À quel moment un bruit « ordinaire » devient-il un élément musical selon vous ?
Parfois, le moment magique se produit dès l’enregistrement. Il m’est arrivé de capter une fréquence particulière du vent qui semblait « chanter ». Je l’ai tout de suite notée mentalement et, en studio, je l’ai isolée pour m’y plonger. Ce processus implique d’utiliser divers outils : on peut allonger le son (stretching), le découper en fragments, traiter sa dynamique… Je considère chaque son comme une matière première à travailler, et j’essaie de faire ressortir son potentiel musical. Une fois que le bruit est travaillé, je le connecte à mes synthétiseurs et passe à la phase suivante, où la musique commence à se construire autour de lui. C’est un jeu entre le brut et le traité, une exploration permanente des possibilités.
Le bruit a souvent une connotation négative ou dérangeante. Comment arrivez-vous à le sublimer pour en faire de la musique ?
On compare parfois mon travail à celui de la musique concrète, un courant musical que je respecte beaucoup, en particulier grâce à des figures comme Pierre Henry, avec qui j’ai eu l’occasion de collaborer après sa mort pour rendre hommage à son œuvre. Cela dit, ma démarche est différente : je ne me considère pas comme un compositeur de musique concrète. Mon objectif est de rendre chaque son musical en travaillant l’harmonie.
Pour moi, il s’agit de prendre ces bruits, de les transformer et de les intégrer dans des compositions où ils deviennent indissociables des instruments classiques. Parfois, cela donne des séquences rugueuses, parfois plus douces, mais l’idée reste de fondre ces éléments ensemble. Un bruit possède déjà une note, une harmonie intrinsèque ; il suffit de l’explorer pour le faire entrer dans le langage musical.
Où se situe, selon vous, la frontière entre le bruit et la musique ? Cette perception est-elle subjective ?
Pour moi, la différence réside dans l’agencement et l’intention. Dès que l’on commence à organiser des bruits, à les structurer, on est déjà dans la musique. Un bruit brut en lui-même n’est pas de la musique, mais il possède un potentiel musical que je cherche à révéler. Chaque son peut devenir musical s’il est travaillé, sculpté, transformé pour s’intégrer dans un ensemble cohérent.
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Pensez-vous que le public perçoit différemment une musique construite à partir de bruits par rapport à une composition traditionnelle ? Pourquoi ?
Je crée cette musique d’abord parce que c’est une nécessité personnelle, une quête qui fait sens dans ma démarche d’artiste et d’être humain. Chaque projet est une aventure en soi, un défi pour ne pas me répéter, pour rester dans l’exploration. Cela implique parfois de se mettre en danger, de sortir des sentiers battus. Le public, à mon avis, ressent cet engagement et l’énergie que je mets dans ces projets. Ils portent une certaine valeur, une force singulière.
Toutefois, si l’on fait un blind test avec un morceau de Molécule et un autre issu d’une création « traditionnelle », je ne suis pas certain que tout le monde percevra immédiatement la différence. Mais moi, je la sens profondément : cela ne sonne pas pareil, cela ne dégage pas la même émotion que de composer avec les sons de la mer, du vent, des lieux extrêmes.
Que souhaitez-vous transmettre au public à travers votre musique ?
Mon ambition est de créer un carnet de voyage sonore, un témoignage des émotions et des expériences vécues sur place. Chaque projet est comme un journal de bord sonore, avec des moments durs et intenses, mais aussi des instants de beauté pure. C’est une façon de rester au plus près de la réalité, de partager ce vécu avec une authenticité totale. Cela m’arrive de me replonger dans ces projets, de revivre les sensations, les émotions que j’ai ressenties pendant l’enregistrement. Mon objectif est de transmettre cette expérience au public, de l’immerger à travers un travail sonore spécialisé, parfois complété par des images ou des dispositifs immersifs.
« Parfois c’est juste le bruit en lui-même qui est fantastique, et parfois c’est parce que c’est un son signature d’une aventure. » Molécule
Avez-vous déjà eu une expérience où un bruit imprévu a changé la direction d’un de vos morceaux ?
Oui, et cela m’arrive fréquemment. Par exemple, lorsque j’étais au Groenland, j’ai capté un son très particulier : celui de la banquise qui « respire » : ce désert blanc qui bouge de manière presque imperceptible et qui fait un sorte de grincement comme des voix humaines. Ce son m’a marqué car c’était assez angoissant (rire). Ce bruit est à l’origine du morceau intitulé « Kivitok » sur mon album -22,7°. Ce sont ces moments d’imprévu, des découvertes sonores uniques, qui peuvent complètement changer la direction d’un projet. Dans chaque aventure, il y a des sons qui sont un peu emblématiques pour différentes raisons. Parfois c’est juste le bruit en lui-même qui est fantastique, et parfois c’est parce que c’est un son signature d’une aventure.
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Après L’Olympia et une tournée de Festivals, Molécule est à retrouver au Rex Club pour un live machines le Samedi 14 décembre 2024. Réservation vivement recommandée, ici !