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30 janvier 2020

Inter[re]view : Né dans la douleur, Aquarian sort un premier album noir et puissant

par Tsugi

Les meilleurs disques sont-ils ceux qui sortent dans la douleur ? Installé à Berlin depuis plusieurs années, le DJ et producteur canadien Aquarian sort enfin son premier album. Intitulé The Snake That Eats Itself, il est disponible depuis le 24 janvier en digital chez Bedouin Records, et sera publié en vinyle le 14 février. Ce disque succède à une première mixtape en 2016 ainsi qu’une série d’EP, dont deux en collaboration avec le Français Deapmash sous le nom d’AQXDM qui l’introduisaient dans le cercle restreint des artistes « chauds » du moment, playlisté par nombre de bons DJs (on se souviendra longtemps de cette bombe nucléaire « Ballad 002« ). Né d’un processus difficile, ce premier album est sûrement ce que l’artiste a sorti de plus introspectif et intime à ce jour, entre techno sombre et breakée et titres plus méditatifs.

Premier signe d’une genèse difficile, l’album aurait dû sortir bien plus tôt. « La majeure partie du travail était terminée en trois ans, et l’album devait sortir début 2017. Mais le label qui devait le sortir m’a ghosté », nous raconte Aquarian au téléphone. Le disque se retrouve ainsi mis au placard pendant deux ans, durant lesquels le musicien sort sa mixtape (où figure déjà l’intro de The Snake That Eats Itself, « End Credits »), et s’installe à Berlin. Il finit par proposer au label thaïlandais Bedouin Records (qui avait publié le premier EP d’AQXDM, Aegis, en 2018) de publier ce travail : il écrit un dernier track, « Sketch 2 (Song For D.O.U.G.) », et achève le mixage.

 

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Difficile à sortir, mais difficile à écrire également. Cinq ans plus tôt, quand il habite encore Brooklyn, Aquarian se remet en question, a l’impression de stagner artistiquement et côté cœur, ça ne va pas fort non plus. Il hésite à se lancer dans la musique. Toute cette frustration s’infuse dans le travail de composition : « L’album est comme une lettre de rupture avec New York », avoue le musicien, « je me sentais pris au piège, j’essayais de trouver comment surmonter cette situation. »

C’est de là que vient le titre du disque, référence au symbole universel de l’Ouroboros, le serpent qui se mord la queue. Ici, il représente « la nature cyclique du processus créatif et de [s]es sentiments du moment ». Pendant ces trois années de composition, Aquarian a l’impression de toujours revenir sur les mêmes idées, de répéter les mêmes actions, en studio comme en dehors. « L’Ouroboros symbolise l’éternité, et je me suis senti coincé à New York pour ce qui m’a semblé être une éternité » précise-t-il.

En résulte un disque couvrant une large palette d’émotions : « Beaucoup de morceaux sont empreints de frustration, de colère. » En effet, les basses sombres et les textures lourdes, inspirées de la techno industrielle, rendent le disque abrasif, et certains titres comme le très réussi « Tarp 2 » (joué par Aphex Twin) font que la tension ne faiblit jamais. Mais le disque comporte aussi de larges plages ambient, comme les titres « End Credits » ou « New York, an Eternity », qui nous font reprendre notre souffle. Par ailleurs, « la dernière piste, « 365 Days and Counting », est plus optimiste, tournée vers le futur » : les rythmes se libèrent et le titre est sans doute le plus dansant du LP.

« Le but de cet album était aussi de m’éloigner de la musique de club et la culture DJ, de me forcer à sortir des contraintes de BPM et de style », ce qui se vérifie très vite. Il ne faut pas croire pour autant que l’objet est uniquement cérébral : il propose des structures plus narratives, certes peu adaptés aux DJ sets, mais comportant des moments de pure intensité. Un titre comme « Blood Sugar » avec sa progression lente, mentale et ses ruptures rythmiques est potentiellement redoutable dans une configuration live. « Bien que la club music soit indissociable de ma personnalité musicale, la majorité de cet album n’est pas vraiment faite pour être jouée en DJ set », précise-t-il. On attend plus qu’une chose : le voir l’interpréter en live, pourquoi pas accompagné de l’artiste sino-américaine Sougwen Chung, spécialisée dans la création hybride homme/machine, qui a réalisé tous les visuels de l’album. En attendant, on pourra toujours aller le voir mixer au Mutek Festival le 4 mars à Barcelone, ou au Dekmantel d’Amsterdam le 29 juillet.

L’album d’Aquarian, The Snake That Eats Itself , est disponible sur toutes les plateformes.

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