© Jacob Khrist

On était à la première soirée du club La Nuit, on vous raconte

Une entrée plus que remar­quée par­mi les clubs de Paris. Avec une iden­tité et un engage­ment fort : créer un dance­floor pour tous et toutes, en plein cen­tre de la cap­i­tale. Débrief de la toute pre­mière soirée de La Nuit.

 

Ven­dre­di, 23h30, boule­vard de la Madeleine. Au milieu des com­merces qui ont bais­sé le rideau depuis main­tenant quelques heures, quelques irré­ductibles s’échauffent devant le “huit”. Face aux regards curieux des pas­sants qui foulent le pavé à une heure tar­dive, une file d’une dizaine de per­son­nes prend forme. Tous con­ver­gent vers les portes de La Nuit, qui s’ouvrent pour la toute pre­mière fois ce soir. En par­lant de pre­mière fois, c’en est aus­si une pour moi : je fais par­tie de cette jeune pop­u­la­tion qui s’est — à tort ? — quelque peu dés­in­téressée des clubs. Mais qu’importe, il faut que je l’écrive ce papi­er, alors je fonce tête bais­sée. Et ça com­mence mal. Bon­nie, qui tient la porte, entourée de plusieurs gars de la sécu­rité, ne trou­ve pas mon nom sur sa très longue liste. Faux départ. Quelques min­utes plus tard, c’est Fab­rice Desprez, l’une des trois têtes fon­da­tri­ces de La Nuit, en charge de la com’ et de la pro­gram­ma­tion, qui me fait entrer. 

On est en rodage ce soir, tout le monde décou­vre”, glisse-t-il au moment de descen­dre les escaliers, recou­verts de miroirs aux murs et de leds rouges du sol au pla­fond. Plus rien à voir avec le Key, ancien locataire ori­en­té rap, qui louait le huit boule­vard de la Madeleine depuis trois ans. Il faut dire que la DA n’est pas passée à la trappe. C’est l’artiste Eti­enne Bardel­li, graphiste et ancien du label parisien Insti­tubes, qui a habil­lé les lieux. Il est presque minu­it et les clients entrent au compte goutte, “vu qu’on a ouvert à 22 heures on est déjà bien plein”, pour­suit Fab­rice, sur le pont toute la nuit. Les quelques groupes qui parvi­en­nent à se gliss­er dans les murs immor­talisent le moment, le temps d’un “self­ie miroir” dans les escaliers, que cer­tains galèrent d’ailleurs à descen­dre — les leds au sol et l’obscurité n’y sont pas pour rien. Quelques enjam­bées plus tard et un petit tour du côté du bar, le dance­floor est à nous.

 

Une vraie réunion de famille”

 

À la manœu­vre pour faire vivre ce nou­veau venu dans la famille des clubs parisiens, situé en plein cen­tre de la cap­i­tale, trois per­son­nal­ités. D’abord Gui­do Minisky, co-fondateur d’Acid Arab et ancien de la nuit parisi­enne, (il a été DA Chez Moune il y a quelques années) et armé d’un riche car­net d’adresses pour assur­er les soirées de La Nuit. Pour l’accompagner dans cette aven­ture et col­la­bor­er sur la direc­tion artis­tique, il fait appel à Themis Belkhadra, jour­nal­iste pour le média Nylon, avide de sonorités hyper­pop et des récentes ren­con­tres entre rap et musiques élec­tron­iques, qui par­ticipe aus­si à inclure la com­mu­nauté queer sur le dance­floor de La Nuit. “C’est une vraie réu­nion de famille, je con­nais Gui­do et Fab­rice depuis un cer­tain temps et c’est trop bien de voir nos trois univers soci­aux se rassem­bler” sourit Themis, qui par­ticipe pour la pre­mière fois à la direc­tion artis­tique d’un club. Avant d’ajouter “À 18 heures, il y avait encore des pots de pein­ture partout, des échafaudages lit­térale­ment dehors et à l’intérieur du club. Lim­ite on a passé le dernier coup d’aspirateur à 22h10”.

 

La Nuit

Lucky Love © Jacob Khrist

 

Tout ça paraît loin à mesure que le pub­lic rem­plit l’espace de la piste de danse. Tout est plein pour le show déli­rant de Lucky Love, inon­dant le pub­lic d’un mélange entre var­iété et teintes électro-pop, du haut de la petite scène. Un moment de live plutôt intimiste pour un artiste habitué à la foule des fes­ti­vals, qui a même récem­ment assuré la pre­mière par­tie de Louise Attaque. En coulisse, on prof­ite du spec­ta­cle pour s’affairer sur les derniers pré­parat­ifs avant une suc­ces­sion de DJ sets. En guise de tran­si­tion, une drag queen fait irrup­tion sur scène, clope géante à la main et boa jaune autour du cou. “Moi aus­si, je sais être DJette” envoie-t-elle à la foule, imi­tant le bruit des touch­es de la table de mix­age. Sourires et applaud­isse­ments unanimes. De quoi don­ner le ton pour le reste de la nuit. Entre-temps, Gui­do change briève­ment de cas­quette, et passe de directeur artis­tique à ambianceur, le temps d’un DJ set éclair bien effi­cace. His­toire de met­tre dans le bain les nou­veaux venus avant de pour­suiv­re la nuit.

 

Cohabitation

 

Aux alen­tours d’une heure et demie, c’est l’heure de pointe. Sur le dance­floor tout comme dans la file d’attente, il y a foule. Mais “les gens sont hyper patients, ça gueule pas, ils ne sont pas relous, per­son­ne n’est bour­ré, et surtout il y a un bon melt­ing pot” ras­sure Bon­nie, habituée des portes des gross­es soirées queer parisi­ennes. Et à l’instar de toutes les pre­mières fois, il y a quelques couacs. Prob­lème de sono, un sys­tème de lights qui plante pen­dant la soirée et réparé en urgence… Pas suff­isant pour­tant pour rompre l’énergie des danseuses et danseurs, qui n’ont même pas eu le temps de ressen­tir ces petits soucis tech­niques. “C’est vrai­ment la soirée 0, un bap­tême du feu, et pour le moment tout roule” con­clut Fab­rice, le temps d’une pause rapi­de dans les escaliers du club avant de retourn­er au char­bon sur la piste. Sur scène, c’est le duo élec­tron­ique Château Flight qui a pris le relais, enchaî­nant depuis une demi-heure un DJ set à la fois puis­sant et sophis­tiqué. La foule, qui s’est répar­tie autour des Djs — la par­tie scène est ouverte au pub­lic, l’occasion de se déhanch­er au plus près des artistes, on se croirait dans un Boil­er Room — est ultra récep­tive, l’énergie monte encore d’un cran. Sur des sonorités down­tem­po boost­ées à de la house, Gilbert Cohen et Nico­las Chaix, alias Gilb’R et I:Cube, déchainent le public. 

 

La Nuit

Château Flight © Théo Lilin

 

Parlons-en du pub­lic. Out­re l’ambiance plus que bien­veil­lante qui règne en maître, sans prise de tête appar­ente, c’est la diver­sité de la foule qui sur­prend. Fab­rice, Bon­nie et Themis tirent le même con­stat, sans appel : “on est heureux parce que le mes­sage de dance­floor pour tous et toutes, qu’on a voulu met­tre en avant, a été com­pris. Et donc on a plein de gens qui vien­nent de milieux et de mon­des dif­férents”. Car c’est aus­si ça, La Nuit, un lieu où se rassem­blent jeunes, vieux, hétéros, queer, pour créer une atmo­sphère de partage. Une belle cohab­i­ta­tion qui donne de l’espoir. “Le fait que tout le monde soit mélangé, ça crée une atmo­sphère de respect mutuel. Les gens se ren­dent compte qu’autour d’eux tout le monde est dif­férent. C’est bon signe pour la suite” con­clut Themis.

 

La Nuit

Dacty­lo et Malaise Vagal © Jacob Khrist

 

La diver­sité der­rière et devant les platines. Château Flight rem­balle pour laiss­er place à Dacty­lo. Elle qui a d’ores et déjà ani­mé les plus gross­es soirées queer des quinze dernières années — Jeud­is OK, Pos­ses­sion, Flash Cocotte -, tien­dra même une rési­dence tous les jeu­di à La Nuit. Et ce soir encore, elle n’est pas venue pour plaisan­ter. À grands coups de tech­no et de beats fréné­tiques sur­voltés, Dacty­lo met le feu à la foule qui l’entoure. Der­rière elle, le pub­lic fait un cer­cle autour d’un groupe de tech­ni­ciens, qui instal­lent pro­gres­sive­ment une barre de pole dance. Ce n’est que quelques min­utes plus tard que débar­quent, en plein DJ set, deux danseuses, qui se lan­cent dans un show com­plète­ment fou, s’accrochant même au pla­fond, sus­pendues aux bar­reaux des lights. Grand moment quand elle passe le titre “Dónde esta la dis­cote­ca”, de Canelle Dou­ble­kick. Plus tard, la plu­part du pub­lic s’est rassem­blé sur scène autour de la DJ et pro­duc­trice Malaise Vagal, qui assure la suite jusque sur les coups de cinq heures. Pour les dernières heures, l’une des pro­tégées de Gui­do Minisky a trans­for­mé le club en four­naise, sur de la house tein­tée de trance-oriental-funk. No lim­it, à l’im­age de cette pre­mière vrai­ment réussie. On retient La Nuit..