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3 avril 2024

PORTRAIT | syqlone : cyber-chaâbi, le genre mutant

par Léa Formentel

Auriez-vous envisagé voir fusionner ces deux termes « cyber » et « chaâbi » un jour ? L’un, qui n’est autre que l’association de « cybernétique » et « punk » et l’autre, un genre musical né en Algérie et qui signifie « populaire ». À priori, difficile d’y trouver des liens. C’est cependant ce que réussit Sarah alias syqlone, que l’on a rencontré chez elle, un soir de février. Ici, un seul mot d’ordre : la mutation.

Récemment mise en lumière sur l’émission d’Arte, Tracks intitulé ici « Amazigh du futur« , syqlone y présentait son projet singulier et bigarré. On y découvre un tout nouveau genre : le cyber-chaâbi, inventé par ses soins. Accrochez-vous car rien ne ressemble à ce que propose la musicienne : s’entremêlent des samples de musique marocaine ou algérienne qu’elle réécrit en MIDI, ajouté à des percussions électroniques. C’est ce qui frappe entre autres sur son titre phare « Habibitch ».

Le projet artistique de Sarah (syqlone) naît en 2022, alors qu’elle explore l’idée d’expérimenter avec des échantillons de chaâbi et de reggada (un style musical et une danse guerrière du Nord-Est du Maroc). À ça s’ajoute également parfois de la Phonk, ainsi que des styles plutôt qualifiés de « musiques d’internet » —comme le Breakcore.

syqlone

© Théo Goupil

Cette exploration ludique l’amène à repenser les structures rythmiques, en les fusionnant avec des éléments de drum&bass, créant ainsi ce qu’elle décrit comme une « bass chaâbi » avec un résultat à la fois intrigant et séduisant : « Je venais prendre les structures rythmiques en les remplaçant par des snares de dub ou des snares drum&bass. Et du coup, on ça faisait de la drum&bass, mais rythmé comme du chaâbi. Je me suis dit que c’était marrant, ça sonne comme de la ‘bass chaâbi’. » Ce qui frappe ici, c’est l’alliance entre son héritage et musiques actuelles.

Rafik Sahbi, musicien et spécialiste du chaâbi algérien indique la diversité du chaâbi en soulignant ses différentes incarnations, autant sur l’utilisation des instruments, que le contexte dans lequel celui-ci est joué. Selon lui, le chaâbi algérien, de tradition orale et est basé sur des chants religieux ou de la poésie, repose sur une transmission verbale et une sensibilité musicale pointue. Le chaâbi marocain se distingue, entre autres, par ses instruments tels que le bendir, la derbouka, le violon (qui se joue différemment), le luth et le guembri, ainsi que l’ajout plus récent de la guitare électrique et le clavier : « On retrouve beaucoup le chaâbi marocain dans les mariages, en réalité ça se rapproche plus du raï« .

D’une formation classique au conservatoire, Sarah (bientôt syqlone) pratique le violon étant jeune. Plus tard, elle apprend la musique traditionnelle marocaine en autodidacte, grâce aux instruments que son cousin lui envoie depuis le Maroc : « Je n’en joue pas très bien, mais j’aime les avoir sur scène » dit-elle en me montrant le Tbal, qu’elle utilise principalement —un instrument de percussion maghrébin, ancêtre de la timbale.

 

syqlone, l’étrange comme nouveau genre
Syqlone

©DR

En parallèle, Sarah raconte sa passion pour les jeux vidéo et la science-fiction. Il était donc évident que ce projet musical aurait un univers et une esthétique en lien avec deux inclinations. Ce qui l’a amené au cyber-punk, plus particulièrement à ses aspects futuriste et dystopique. syqlone part du constat qu’elle ne voyait pas assez de diversité/représentation dans ces univers : « Je ne voyais jamais les communautés arabes ou maghrébines dans la science-fiction ou même dans l’univers des jeux vidéo et ça m’agaçait. J’adore ça et les seules représentations réelles qu’on a c’est Dune, ce genre de choses…« .

Pour Sarah, le chaâbi est synonyme de fête. Elle raconte d’ailleurs qu’elle peut utiliser certains codes du raï, pour autant, sa musique reste expérimentale, en « mutation » comme elle aime à le définir. Ses références musicales étaient enracinées, aussi, dans les musiques maghrébines et où les rythmiques sont, de fait, difficilement transcriptibles. La difficulté intervient lorsqu’elle doit composer sur le logiciel Ableton et qu’elle se retrouve avec des boucles de dix mesures ou quand elle intègre les instruments traditionnels en tentant d’éviter d’ « écraser » les fréquences des autres instruments : « Celui qui s’intègre le mieux, c’est le darbouka parce que c’est le plus chirurgical en terme de fréquences, ça n’écrase pas les autres. »

 

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Lorsqu’on demande comment elle arrive à mêler ces genres, très éloignés et qui font partie de sa culture, elle dévoile sa manière de composer, avant tout instinctive : « Je fais ce que j’ai envie de faire. Je ne compose pas en me disant qu’il faut que je mette de la musique traditionnelle maghrébine forcément. C’est simplement le mélange de musiques que j’ai écouté dans ma vie. »

 

Génération mutante

Toute la beauté et l’attrait du projet syqlone et de ce nouveau genre particulier, c’est de pouvoir mixer ce qui de prime abord paraît non-mixable, comme pourrait l’être le reggaeton-métal, par exemple.

Pourtant, la musicienne y trouve ici des liens : « J’ai beaucoup associé la technologie au Maroc parce que quand j’y allais enfant, c’est l’image que j’avais d’eux, dans les cybercafés ou quand ils crackaient des logiciels par exemple. Mon expérience du Maroc, c’était la technologie, tu trouvais des logiciels crackés certes, mais que tu ne trouvais pas en France. Et selon moi il y a une liaison évidente qui se fait entre la technologie et l’aspect plus traditionnel, ne serait-ce que dans le raï, l’autotune était déjà présent il y a une trentaine d’années. Finalement la musique marocaine avait déjà un côté très électronique. »

 

Au cours de ses années d’études au conservatoire, elle a souvent été critiquée pour son interprétation, en particulier pour ses lacunes en matière de rythme. Elle avait tendance à jouer des syncopes ou des contretemps. C’est là qu’elle prend conscience que ses interprétations rythmiques étaient plus en accord avec des traditions musicales non-occidentales. Elle ajoute : « Je pense aussi que je suis en train de ‘réparer quelque chose’ dans ma vie, le fait qu’on m’a toujours dit que j’étais nul en rythme. Je pense que quand, tu es une mutation comme moi, enfant d’immigré, tu n’arrives pas à te reconnaître dans les représentations musicales existantes. »

De là naît l’idée de nouvel organisme, aussi bien en tant qu’individu, que musicalement. Le cyber-chaâbi trouve son origine là-dedans : « J’ai l’impression que ça n’a même plus de sens qu’il y ait un genre musical tellement les gens font des trucs trop différents, par exemple hier j’écoutais de la reggaeton métal, le délire. » Côté influences, elle cite entre autres Fitnesss, Death Grips et évoque même un autre genre mutant : le Breakcore marocain. Tous ces ingrédients, on les retrouve dans ses morceaux aussi bien « Habibitch » que sur « BARBAR » en collaboration avec Le Kaiju ou encore plus énervé « IN MY QUEENDOM ». Un assemblage surprenant, étrange et fascinant à la fois, à l’image de cette société, elle aussi en mutation.

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