Skip to main content
©Khris Cowley pour Here & Now
17 avril 2020

Inter[re]view : Pour son premier LP, Hodge n’a pas pu s’empêcher de mettre des kicks dans son ambient

par Tsugi

Le Bristolien Hodge publie le 17 avril son premier album, Shadows In Blue sur le label affilié au club Fabric Houndstooth. Loin de l’agitation du club à laquelle il nous habituait, le producteur de UK bass qui sortait sur Berceuse Heroique ou Livity Sound nous plonge dans un univers de science-fiction utopique où la nature a repris ses droits. Mais rassurez-vous : on y danse quand même.

Artwork de Shadows In Blue

La nature a repris ses droits. Les immeubles sont couverts de végétation, des plantes poussent à même le goudron. Partout, on entend le chant des oiseaux. Pourtant, la clameur des percussions continue de nous faire danser. Cet univers est celui du premier album du DJ anglais Hodge, Shadows In Blue, sorti le 17 avril sur le label Houndstooth. De son vrai nom Jacob Martin, il s’est imposé comme l’un des meilleurs DJs de la bouillonnante scène de Bristol depuis son premier EP en 2011, à la suite de ses études d’ingénieur du son. Hyperactif, il passe d’un style à l’autre, du UK garage à la techno ou la noise, en passant par la house via son duo Outboxx. Son énergie l’a toujours poussé hors de la solitude du studio, l’amenant à multiplier les collaborations avec Shanti Celeste, Laurel Halo, ou Peder Mannerfelt, parmi d’autres. Au total, ce sont pas moins de 23 singles et EPs qui ont été publiés sous le nom de Hodge, seul ou en duo, chez des labels aussi prestigieux que Berceuse Heroique et Livity Sound. Avant de passer le pas du premier album, à l’âge de 33 ans.

Lui qui avait jusque-là toujours composé de la musique directement pour le club, il élargit encore son spectre pour aller vers une musique plus introspective. Son déménagement dans une maison avec une serre il y a deux ans lui a fait découvrir une passion pour le jardinage, le plongeant dans un tout autre état d’esprit. « C’est très apaisant de regarder tout ça pousser. C’est un concept fascinant : il suffit de planter une graine et ajouter de l’eau, y revenir tous les jours, et ça va croitre et même produire de la nourriture. Et on peut appliquer ça à d’autres parties de sa vie, dont la musique : si tu vas en studio et que tu y mets un peu de travail chaque jour, au final, cela donnera un gros projet, potentiellement un succès. Cette idée a fonctionné comme un antistress pendant l’écriture de l’album, quand j’avais besoin d’une pause. »

© Khris Cowley

« Un univers où la nature reprend ses droits dans un monde futuriste et technologique, quelque chose de positif et plein d’espoir. »

En parallèle, Hodge est fasciné par la ville de Singapour où une large place est laissée à la végétation, allant jusqu’à recouvrir les immeubles. Grand amateur de science-fiction, il n’en avait jusque-là tiré que son versant le plus froid, des dystopies torturées de l’écrivain William Gibson à la saga cinématographique Alien, lui inspirant son titre de 2018 « Xenomorph », sombre et tendu. Cette nouvelle sérénité l’amène à imaginer un univers plus utopique, « où la nature reprend ses droits dans un monde futuriste et technologique, quelque chose de positif et plein d’espoir ». Il troque ainsi sa UK bass nerveuse pour une musique lorgnant carrément vers l’ambient. « J’ai tellement mixé en club, ces dernières années, que j’ai écrit de la musique en réaction à cette musique là. Parfois, j’étais en club le vendredi puis le samedi, et en voyage tout le dimanche pour arriver épuisé. Après ça, le lundi, je me réveille, et je ne veux plus faire de musique de club. Mais j’ai toujours besoin de faire de la musique. » En résulte les morceaux les plus sereins jamais composés par l’Anglais, tel le très réussi « The World Is New Again ».

À lire également
Otherliine (George FitzGerald x Lil Silva) reviennent sur leur bijou d’album entre house et pop

 

Le travail des textures sonore marque par son aspect très immersif. Pour matérialiser le caractère organique de son univers, Hodge a enregistré de nombreux sons, que ce soit en invitant des musiciens à improviser en studio ou en allant directement enregistrer dans la rue. « Mes synthétiseurs et logiciels m’ennuyaient, je voulais manipuler des sons humains, enregistrés avec un micro. Donc il y a beaucoup de violoncelle, clarinette, saxophone, et beaucoup de chant aussi. Parce que ma science-fiction préférée est humaine. » Dans cette démarche expérimentale, on retrouve aussi de nombreux chants d’oiseaux, et des percussions naturelles, qui rendent cet univers très concret.

« J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire de l’ambient. Mais mon obsession, c’est la musique de danse. Et c’est ça le truc avec les obsessions : on ne s’en sort pas. »

Très vite, cependant, on se rend compte que Jacob ne compte pas purement et simplement renoncer à sa musique de danse pour livrer un album conceptuel et cérébral. « J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire de l’ambient. Mais mon obsession, c’est la musique de danse. Et c’est ça le truc, avec les obsessions : on ne s’en sort pas. »

Il ne faut pourtant pas s’y tromper : on ne passe pas brutalement de titres ambient à de la UK bass. Les deux genres s’entremêlent tout au long du disque, l’équilibre basculant lentement de l’un à l’autre. Même les titres les plus dynamiques, comme « Ghosts Of Akina » conservent la même légèreté et l’optimisme des premières pistes. Se délaissant de toute étiquette, comme il le fait depuis ses débuts, l’artiste mélange ces deux genres, qui deviennent ainsi les deux faces du concept utopique du disque : la nature nous apaise autant par la contemplation que la danse.

C’est après avoir fait la fête au sein de cet univers végétal qu’arrive le moment des adieux, avec le bien nommé « One Last Dance », basé sur un solo de saxophone enregistré par hasard en pleine rue, au lendemain d’un mix qui avait ravi le DJ. Après un traitement le superposant à lui-même, comme en écho, il obtient un court titre à l’ambiance onirique. « Je me suis dit que c’était parfait pour finir l’album : j’avais passé une nuit fantastique, et c’est ce sentiment que je voulais retranscrire à la fin de l’album. »

Hodge nous a ainsi transporté dans son univers, démarrant sous le soleil de son utopie verte, avant de nous faire découvrir l’improbable club nichant au cœur de cette végétation. Fatigué d’y avoir dansé toute la nuit, nous le quittons au petit matin sur cet adieu mélancolique mais réjoui. Et surtout apaisé.

Le premier album de Hodge Shadows In Blue est disponible sur Bandcamp

Visited 18 times, 1 visit(s) today