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©Capture d'écran YouTube
3 septembre 2021

đŸ€” Que penser du comeback d’ABBA ?

par Antoine Gailhanou

Le 2 septembre, ABBA a fait son retour en grande pompe. AprĂšs 39 ans de sĂ©paration, et trois ans de teasing, les SuĂ©dois ont annoncĂ© un nouvel album Voyage pour le 5 novembre, et une sĂ©rie de concerts de grande ampleur Ă  Londres au printemps prochain. De quoi rĂ©jouir les fans, c’est certain, mais au fond, quel est le sens d’une telle reformation, aprĂšs tout ce temps ?

Jusqu’oĂč aller pour la nostalgie ?

Depuis sa sĂ©paration en 1982, la popularitĂ© d’ABBA, dĂ©jĂ  Ă©norme, n’a fait que croĂźtre. En particulier depuis les annĂ©es 90, oĂč le groupe s’est imposĂ© non plus comme une simple icĂŽne d’euro-disco, mais une vĂ©ritable rĂ©fĂ©rence pop culturelle, traversant les gĂ©nĂ©rations. Kitsch pour les uns, savants songwriters pour les autres, il en reste surtout qu’avec 380 millions de disques vendus, le quatuor suĂ©dois est un des groupes les plus populaires de l’histoire. Naturellement, les pressions pour se reformer ont Ă©tĂ© nombreuses, et finalement, malgrĂ© les promesses, les deux ex-couples se sont retrouvĂ©s en 2018 pour enregistrer deux nouveaux morceaux. Ceux-ci doivent sortir Ă  la fin de l’annĂ©e, accompagnĂ©s d’un concert avec des clones virtuels du groupe, judicieusement nommĂ©s « ABBAtars ». Finalement, le projet prend de l’ampleur, est repoussĂ© plusieurs fois, le Covid venant ajouter une touche finale.

Arrive donc cette date du 2 septembre, et l’annonce officielle du projet ABBA Voyage durant un livestream d’une heure. Au programme, donc, un nouvel album de dix titres, et une sĂ©rie de concerts dĂ©butant le 27 mai, dans une salle crĂ©Ă©e spĂ©cialement pour l’occasion Ă  Londres. Et autant dire que le groupe voit grand : pour crĂ©er les fameux avatars, il a fallu pas moins de 850 techniciens d’ILM, l’une des (si ce n’est la) plus grande boĂźte d’effets spĂ©ciaux d’Hollywood, crĂ©Ă©e par George Lucas pour le premier Star Wars. Le groupe a Ă©galement prĂ©sentĂ© les deux premiers titres enregistrĂ©s, « Don’t Shut Me Down », et « I Still Have Faith In You ». Ce dernier est accompagnĂ© d’un titre mettant en scĂšne les avatars, au rĂ©sultat Ă  la fois impressionnant, sans Ă©chapper totalement Ă  la vallĂ©e dĂ©rangeante.

Avec maĂźtrise, mais sans magie

Mais au final, que penser de ce retour ? Pour ce qui est des deux titres, d’abord, on ne peut qu’ĂȘtre frappĂ© par leur aspect immĂ©diatement familier : c’est bien du ABBA. Les voix des chanteuses, notamment, sont restĂ©es parfaitement prĂ©servĂ©es. Mais une fois passĂ© l’effet nostalgique (ou les mauvais souvenirs, pour ceux qui dĂ©testent dĂ©jĂ  le groupe), force est de constater que ces titres sont bien en dessous de leurs plus grands succĂšs. La production, certes modernisĂ©e et de trĂšs bonne facture, manque de l’inventivitĂ© qu’avaient les deux songwriters. Tout sonne moins brillant. Au point de poser une question : le public a-t-il vraiment envie de nouveaux morceaux d’ABBA ?

Comme nous le disions il y a plus d’un an, l’impressionnante longĂ©vitĂ© du groupe se base sur des morceaux dont les auditeurs ne se lassent pas. Et ce sont bel et bien ces vieux succĂšs qui vont attirer le public. D’un autre cĂŽtĂ©, avec un succĂšs aussi Ă©norme, les SuĂ©dois ne peuvent se permettre de prendre des risques en sortant de leur style. VoilĂ  donc un rĂ©sultat en demi-teinte, singeant le passĂ© avec maĂźtrise, mais sans magie.

Capture d’Ă©cran du site abbavoyage.com

Des outils futuristes pour recréer le passé

En rĂ©alitĂ©, il est clair que ces morceaux reposent avant tout sur la nostalgie. Les paroles des nouveaux titres ont un sens meta Ă©vident et assumĂ©, en particulier « Don’t Shut Me Down ». Évoquant la sĂ©paration et le retour, il semble s’adresser directement au public : « Tu te demandes pourquoi je suis lĂ  aujourd’hui, [
] j’ai appris Ă  lutter, Ă  aimer et espĂ©rer, c’est pourquoi je suis lĂ . [
] Je ne suis plus celui que tu as connu, je suis maintenant et hier combinĂ©s ». Le message est clair : tout est redevenu comme avant. Et s’ils revendiquent une rencontre entre passĂ© et prĂ©sent, il faut comprendre que ce prĂ©sent se veut trĂšs similaire au passĂ©. Au fond, la sortie de l’album est bien plus lĂ  pour crĂ©er l’évĂ©nement qu’autre chose. Ce qui ne veut pas dire que l’écriture a Ă©tĂ© faite par-dessus la jambe. Mais l’étincelle ne semble plus vraiment ĂȘtre lĂ .

La communication est du mĂȘme tonneau. LĂ  aussi, le groupe veut ĂȘtre de son temps, notamment Ă  travers un partenariat avec la plateforme TikTok. GrĂące Ă  la comĂ©die musicale Mamma Mia et ses deux adaptations au cinĂ©ma, ABBA a su conquĂ©rir la jeunesse. En intĂ©grant leur catalogue Ă  la plateforme, elle leur permet ainsi de crĂ©er du contenu promotionnel Ă  moindres frais, et surtout d’entretenir la flamme. Les quatre musiciens ont Ă©galement adoptĂ© les moyens de communication modernes, notamment Ă  travers l’emploi de messages Ă©nigmatiques : quelques jours avant leur grande annonce, ils publiaient une simple image de quatre planĂštes alignĂ©es, et un renvoi vers le site abbavoyage.com et la date du 2 septembre. Certes, tout ceci est parfaitement rĂŽdĂ©, mais lĂ  encore, il n’y pas d’inventivitĂ© : ces Ă©lĂ©ments de com sont presque devenus la norme pour toute production de cette ampleur. Durant sa pĂ©riode d’activitĂ©, ABBA dĂ©tonnait, notamment avec ses costumes (employĂ©s en premier lieu pour permettre de pouvoir dĂ©duire leur achat des impĂŽts).

Au final, la seule partie innovante du projet se situe au niveau technique, avec les avatars. La technologie de l’hologramme n’a rien de nouveau, mais les choses semblent avoir Ă©tĂ© faites avec un niveau d’exigence redoublĂ©. Faut-il s’en rĂ©jouir pour autant ? Ce type d’expĂ©rience ne cherche qu’à crĂ©er une boucle de nostalgie sans fin. En prĂ©sentant ces icĂŽnes, pourtant vieillissantes, dans une Ă©ternelle jeunesse, ABBA prouve dĂ©finitivement qu’ils ne sont pas orientĂ©s vers le futur, mais bien vers le passĂ©, et ce sur tous les plans. Au lieu d’utiliser les moyens actuels pour imaginer le futur, ils se servent d’outils futuristes pour recrĂ©er le passĂ©. Autrement dit : la frĂ©nĂ©sie rĂ©tro semble se mordre la queue, et faire comme si rien n’avait changĂ©. EntraĂźnant la disparition de toute forme de surprise. Mais au fond, cette absence de surprise, cette familiaritĂ© renouvelĂ©e, n’est-elle pas ce que les fans voulaient le plus ?

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