🤔 Que penser du comeback d’ABBA ?
Le 2 sepÂtemÂbre, ABBA a fait son retour en grande pompe. Après 39 ans de sĂ©paÂraÂtion, et trois ans de teasÂing, les SuĂ©Âdois ont annonÂcĂ© un nouÂvÂel album VoyÂage pour le 5 novemÂbre, et une sĂ©rie de conÂcerts de grande ampleur Ă LonÂdres au printÂemps prochain. De quoi rĂ©jouir les fans, c’est cerÂtain, mais au fond, quel est le sens d’une telle refÂorÂmaÂtion, après tout ce temps ?
Jusqu’où aller pour la nostalgie ?
Depuis sa sĂ©paÂraÂtion en 1982, la popÂuÂlarÂitĂ© d’ABBA, dĂ©jĂ Ă©norme, n’a fait que croĂ®tre. En parÂtiÂcÂuliÂer depuis les annĂ©es 90, oĂą le groupe s’est imposĂ© non plus comme une simÂple icĂ´ne d’euro-disco, mais une vĂ©riÂtaÂble rĂ©fĂ©rence pop culÂturelle, traÂverÂsant les gĂ©nĂ©raÂtions. Kitsch pour les uns, savants songÂwritÂers pour les autres, il en reste surtout qu’avec 380 milÂlions de disÂques venÂdus, le quatuor suĂ©Âdois est un des groupes les plus popÂuÂlaires de l’histoire. NaturelleÂment, les presÂsions pour se reformer ont Ă©tĂ© nomÂbreuses, et finaleÂment, malÂgrĂ© les promessÂes, les deux ex-couples se sont retrouÂvĂ©s en 2018 pour enregÂistrÂer deux nouÂveaux morceaux. Ceux-ci doivent sorÂtir Ă la fin de l’annĂ©e, accomÂpaÂgÂnĂ©s d’un conÂcert avec des clones virtuels du groupe, judiÂcieuseÂment nomÂmĂ©s “ABBAtars”. FinaleÂment, le proÂjet prend de l’ampleur, est repoussĂ© plusieurs fois, le Covid venant ajouter une touche finale.
Arrive donc cette date du 2 sepÂtemÂbre, et l’annonce offiÂcielle du proÂjet ABBA VoyÂage durant un livestream d’une heure. Au proÂgramme, donc, un nouÂvÂel album de dix titres, et une sĂ©rie de conÂcerts dĂ©buÂtant le 27 mai, dans une salle créée spĂ©ÂcialeÂment pour l’occasion Ă LonÂdres. Et autant dire que le groupe voit grand : pour crĂ©er les fameux avatars, il a falÂlu pas moins de 850 techÂniÂciens d’ILM, l’une des (si ce n’est la) plus grande boĂ®te d’effets spĂ©ÂciÂaux d’Hollywood, créée par George Lucas pour le preÂmier Star Wars. Le groupe a Ă©galeÂment prĂ©senÂtĂ© les deux preÂmiers titres enregÂistrĂ©s, « Don’t Shut Me Down », et « I Still Have Faith In You ». Ce dernier est accomÂpaÂgÂnĂ© d’un titre metÂtant en scène les avatars, au rĂ©sulÂtat Ă la fois impresÂsionÂnant, sans Ă©chapÂper totaleÂment Ă la valÂlĂ©e dĂ©rangeante.
Avec maîtrise, mais sans magie
Mais au final, que penser de ce retour ? Pour ce qui est des deux titres, d’abord, on ne peut qu’être frapÂpĂ© par leur aspect immĂ©ÂdiÂateÂment famÂiÂliÂer : c’est bien du ABBA. Les voix des chanteuses, notamÂment, sont restĂ©es parÂfaiteÂment prĂ©servĂ©es. Mais une fois passĂ© l’effet nosÂtalÂgique (ou les mauÂvais souÂvenirs, pour ceux qui dĂ©tesÂtent dĂ©jĂ le groupe), force est de conÂstater que ces titres sont bien en dessous de leurs plus grands sucÂcès. La proÂducÂtion, certes modÂernisĂ©e et de très bonne facÂture, manque de l’inventivitĂ© qu’avaient les deux songÂwritÂers. Tout sonne moins brilÂlant. Au point de posÂer une quesÂtion : le pubÂlic a‑t-il vraiÂment envie de nouÂveaux morceaux d’ABBA ?
Comme nous le disions il y a plus d’un an, l’impressionnante longĂ©vitĂ© du groupe se base sur des morceaux dont les audiÂteurs ne se lassent pas. Et ce sont bel et bien ces vieux sucÂcès qui vont attirÂer le pubÂlic. D’un autre cĂ´tĂ©, avec un sucÂcès ausÂsi Ă©norme, les SuĂ©Âdois ne peuÂvent se perÂmeÂtÂtre de prenÂdre des risques en sorÂtant de leur style. VoilĂ donc un rĂ©sulÂtat en demi-teinte, singeant le passĂ© avec maĂ®trise, mais sans magie.

CapÂture d’écran du site abbavoyage.com
Des outils futuristes pour recréer le passé
En rĂ©alÂitĂ©, il est clair que ces morceaux reposent avant tout sur la nosÂtalÂgie. Les paroles des nouÂveaux titres ont un sens meta Ă©viÂdent et assumĂ©, en parÂtiÂcÂuliÂer « Don’t Shut Me Down ». ÉvoÂquant la sĂ©paÂraÂtion et le retour, il semÂble s’adresser directeÂment au pubÂlic : « Tu te demanÂdes pourquoi je suis lĂ aujourd’hui, […] j’ai appris Ă lutÂter, Ă aimer et espĂ©rÂer, c’est pourquoi je suis lĂ . […] Je ne suis plus celui que tu as conÂnu, je suis mainÂtenant et hier comÂbinĂ©s ». Le mesÂsage est clair : tout est redeÂvenu comme avant. Et s’ils revendiquent une renÂconÂtre entre passĂ© et prĂ©sent, il faut comÂprenÂdre que ce prĂ©sent se veut très simÂiÂlaire au passĂ©. Au fond, la sorÂtie de l’album est bien plus lĂ pour crĂ©er l’évĂ©nement qu’autre chose. Ce qui ne veut pas dire que l’écriture a Ă©tĂ© faite par-dessus la jambe. Mais l’étincelle ne semÂble plus vraiÂment ĂŞtre lĂ .
La comÂmuÂniÂcaÂtion est du mĂŞme tonÂneau. LĂ ausÂsi, le groupe veut ĂŞtre de son temps, notamÂment Ă traÂvers un parteÂnarÂiÂat avec la plateÂforme TikÂTok. Grâce Ă la comĂ©die musiÂcale MamÂma Mia et ses deux adapÂtaÂtions au cinĂ©Âma, ABBA a su conÂquĂ©rir la jeunesse. En intĂ©Âgrant leur catÂaÂlogue Ă la plateÂforme, elle leur perÂmet ainÂsi de crĂ©er du conÂtenu proÂmoÂtionÂnel Ă moinÂdres frais, et surtout d’entretenir la flamme. Les quaÂtre musiÂciens ont Ă©galeÂment adopÂtĂ© les moyens de comÂmuÂniÂcaÂtion modÂernes, notamÂment Ă traÂvers l’emploi de mesÂsages Ă©nigÂmaÂtiques : quelques jours avant leur grande annonce, ils pubÂliÂaient une simÂple image de quaÂtre planètes alignĂ©es, et un renÂvoi vers le site abbavoyage.com et la date du 2 sepÂtemÂbre. Certes, tout ceci est parÂfaiteÂment rĂ´dĂ©, mais lĂ encore, il n’y pas d’inventivitĂ© : ces Ă©lĂ©Âments de com sont presque devenus la norme pour toute proÂducÂtion de cette ampleur. Durant sa pĂ©riÂode d’activitĂ©, ABBA dĂ©tonÂnait, notamÂment avec ses cosÂtumes (employĂ©s en preÂmier lieu pour perÂmeÂtÂtre de pouÂvoir dĂ©duire leur achat des impĂ´ts).
Au final, la seule parÂtie innoÂvante du proÂjet se situe au niveau techÂnique, avec les avatars. La techÂnoloÂgie de l’hologramme n’a rien de nouÂveau, mais les choses semÂblent avoir Ă©tĂ© faites avec un niveau d’exigence redouÂblĂ©. Faut-il s’en rĂ©jouir pour autant ? Ce type d’expĂ©rience ne cherche qu’à crĂ©er une boucle de nosÂtalÂgie sans fin. En prĂ©senÂtant ces icĂ´nes, pourÂtant vieilÂlisÂsantes, dans une Ă©terÂnelle jeunesse, ABBA prouÂve dĂ©finiÂtiveÂment qu’ils ne sont pas oriÂenÂtĂ©s vers le futur, mais bien vers le passĂ©, et ce sur tous les plans. Au lieu d’utiliser les moyens actuels pour imagÂinÂer le futur, ils se serÂvent d’outils futurÂistes pour recrĂ©er le passĂ©. Autrement dit : la frĂ©nĂ©sie rĂ©tro semÂble se morÂdre la queue, et faire comme si rien n’avait changĂ©. EntraĂ®Ânant la disÂpariÂtion de toute forme de surÂprise. Mais au fond, cette absence de surÂprise, cette familÂiarÂitĂ© renouÂvelĂ©e, n’est-elle pas ce que les fans voulaient le plus ?