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© Maksim Zhashkevych / via Unsplash
6 juin 2024

Rave ou pas rave ? On a tenté de clarifier le terme

par Léa Crétal

Qu’est ce qu’une rave aujourd’hui ? Pour trouver la réponse, mieux vaut éviter d’aller chercher sur Instagram ou Tiktok, où la multitude de contenus catalogués #rave a de quoi brouiller l’esprit des curieux. Alors, pour y voir plus clair, on a interrogé les acteurs de la scène électronique. 

Après épluchage sur les réseaux sociaux, le constat tombe rapidement : bien que répertoriées sous un même ‘hashtag’, les vidéos relatives aux raves mettent en scène des évènements hétérogènes. Sur l’une d’entre elles, un public danse sur du gabber à 190 BPM, devant un système son installé à la shlag à l’arrière d’une camionnette. Puis, changement de vidéo : cette fois-ci, une foule frétille au rythme d’une techno indus’ dans un lieu fermé type hangar. Sur d’autres encore, les fêtards dansent sur de la tech-house, dans un complexe aux allures de festival. Où est la rave là-dedans ?

Une confusion qui atteint également la sphère médiatique, où les termes de ‘rave-party’ et ‘free-party’ (aussi dite ‘teuf’) font parfois l’objet d’une utilisation aléatoire. Comme s’ils désignaient un même phénomène, ou qu’ils étaient interchangeables. Un petit coup de plumeau n’était donc pas de refus. Alors pour tenter de clarifier tout ça, on a demandé aux acteurs et actrices de la scène électronique, leur définition de la rave. 

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© Aleksandr Popov / via Unsplash

La rave, un modèle lucratif

Pour Martin, 23 ans, teufeur endurci et habitué des free-parties ardéchoises, la différence entre rave et free passe d’abord par un aspect financier. Alors qu’en rave, le passage en caisse est obligatoire (via des systèmes de billetterie en ligne ou à l’entrée), la free-party repose sur un système de donation libre. « Même si c’est mal vu, si tu ne veux pas payer, tu ne paies pas » précise Martin. Commercialisée, la ‘rave’ engendre alors une « différence culturelle » qui la distingue encore davantage de la teuf : « Pour aller en rave, il suffit de se tenir au courant sur Instagram, puis tu te pointes, et tu paies. Ça fait partie de la culture urbaine, des classes moyennes et bourgeoises. Tandis que la teuf, c’est beaucoup plus mixte. Même si ça ne revendique rien, l’ambiance est ultra contestataire, voire ‘hardcore’ pour les profanes. C’est illégal. Les gens sont prêts à se taper pour teufer », affirme-t-il.

De son côté la DJ Maoui, 30 ans, entrevoit deux manières distinctes de construire un line-up. Tandis qu’en club et en rave, les DJs seraient invités selon leur renommée, afin d’attirer un maximum de public (logique, si le profit réalisé grâce à la soirée dépend du nombre de billets vendus), la free-party priorise quant à elle des DJs peu -voire pas- connus. « Personnellement, j‘ai du mal avec le côté star-system, car pour moi la teuf est sensée être un espace libérateur », explique Maoui. Elle décide alors de co-fonder le collectif Fausse Sceptique en 2020, organisateur de free-parties à Paris. L’objectif ? « Faire un pied-de-nez » au culte des DJs vedettes en club/rave et proposer un format de fête gratuite, plus anarchiste et alternative, où tout est communiqué de manière discrète (par bouche à oreille ou canaux privés en ligne, ndlr).

 

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Pour d’autres, le format rave est apparu comme un compromis : à mi-chemin entre club et free-party. C’est le cas du collectif 767, initialement issu de la free-party et désormais spécialisé dans l’organisation de raves en région parisienne. Selon Baptiste (le prénom a été changé), 25 ans et membre de l’organisation, le passage d’un modèle gratuit à payant est né d’un besoin de gagner sa vie. « Chez 767, on vient de la free. Mais au bout d’un moment, on s’est rangés pour commercialiser notre activité, et que chacun puisse en vivre. Personnellement, je n’avais plus envie de prendre des risques gratuitement, sans rien y gagner en retour. Je sais que cet aspect commercial gêne le mouvement free », avoue-t-il.

 

Au-delà du club

Mais si 767 finit par s’éloigner du modèle gratuit de la free-party, les soirées organisées restent en marge des clubs traditionnels. Dans des lieux privés et souvent illégaux, sur la base d’arrangements avec les propriétaires. « Aucune mairie n’accepte qu’un hangar industriel, initialement prévu pour du stockage, accueille des centaines de personnes pour une soirée techno. Donc on joue sur la discrétion. Sauf qu’en conséquence, on peut prévoir d’aller sur un lieu, et bifurquer sur un autre au dernier moment, car la préfecture est passée ou que le propriétaire n’est plus d’accord. Là-dessus, on reste proche du fonctionnement des free-parties », raconte Baptiste.

Avantage : ces accords discrets permettent aux organisateurs de raves d’accéder à des lieux insolites, avec l’aval des propriétaires. Inconvénient : ces mêmes propriétaires ont bien compris que les raves… C’est un business qui roule. En conséquence, ces derniers réclament une part du gâteau de plus en plus grande, ce qui oblige les équipes à augmenter le tarif des entrées. Au point que certaines raves finissent par coûter le même prix qu’une soirée club en plein cœur de Paris. Baptiste (de 767) explique : « Les propriétaires se sont rendus compte qu’ils pouvaient faire de l’argent, donc les prix de location des lieux s’enflamment. On se retrouve à devoir proposer des évènements à un tarif similaire à celui du Glazart (club du XIXème arrondissement de Paris, ndlr), car on est obligé d’accepter ces tarifs excessifs. Ce n’est pas parce qu’on veut s’en mettre plein les poches, mais pour couvrir nos frais. »

© Aleksandr Popov / via Unsplash

Quel intérêt, alors, d’encourir les risques de la rave ? Pourquoi flirter avec l’illégalité et organiser des fêtes dans des lieux non-conformes aux normes de sécurité, pour finalement proposer le même tarif qu’un club parisien ? Pour Baptiste, le jeu en vaut la chandelle, notamment parce que la rave offre une qualité sonore et une liberté artistique bien plus grandes qu’en club : « Dans un club, la sono n’est pas aussi impactante. Les clubs sont limités au niveau sonore et en matériel. En plus, en tant que collectif, on ne peut pas agencer le lieu. On n’a pas notre mot à dire sur la scénographie. On t’impose l’identité du club. Alors que ce qui nous intéresse dans la rave, c’est de pouvoir créer une identité et proposer une qualité supérieure en terme de système son », nous dit-il.

 

« Chez 767, on vient de la free. Mais au bout d’un moment, on s’est rangés vers la rave pour commercialiser notre activité, et que chacun puisse en vivre » Baptiste* Membre du collectif 767

 

Alors bien souvent, pour ne pas lésiner sur les décibels, les raves se tiennent dans des lieux désaffectés, en zone périurbaine : anciennes friches, usines, hangars… Format qu’a expérimenté Yenkov il y a quelques années, lors de ce qu’elle considère être sa première expérience de rave en tant qu’artiste. Contactée par un label, la DJ marseillaise de 25 ans a été invitée à jouer dans un hangar abandonné en périphérie de Bordeaux. Sur place, pas de porte d’entrée ni de toilettes : « Il fallait rentrer par un trou dans le mur et si besoin, aller faire pipi dans les buissons, même pour les artistes. » Malgré l’inconfort, l’illégalité du lieu et les coupures de courants régulières, Yenkov rappelle avec vigueur qu’il ne s’agissait pas là d’une free : « En tant que DJ, j’ai signé un contrat et j’ai été rémunérée. Il y avait même un accueil artiste, qui nous a récupérés à la gare et on m’avait réservé un hôtel pour la nuit. C’était comme l’organisation d’une soirée club classique, mais dans un lieu atypique et illégal », insiste-t-elle. 

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© Aleksandr Popov / via Unsplash


Une définition mouvante

Mis bout à bout, ces témoignages mènent à une définition moderne de la rave : celle d’une soirée payante et lucrative qui calque son fonctionnement sur le modèle conventionnel du club, tout en investissant des lieux insolites, de façon illégale, pour des raisons de liberté sonore et artistique. De quoi y voir un peu plus clair, certes. Impossible pour autant, de négliger l’effet générationnel qui influence les conceptions de la rave par les jeunes et plus anciennes générations. Yenkov l’admet elle-même naturellement : « Une rave, telle que ça existait dans les années 90, je ne sais pas ce que c’est. Ma conception se base uniquement sur les expériences que j’ai moi-même vécues. » Un phénomène évolutif qui fait l’objet d’un glissement sémantique, donc, mais dont l’héritage traverse les époques et les frontières.

 

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