Idles (Photo : Zelie Noreda)

Rock en Seine 2018 : nostalgie d’une fin d’été

Un doux par­fum de nos­tal­gie rég­nait sur le Domaine de Saint-Cloud pour le dernier grand fes­ti­val parisien de l’été. 90 000 fes­ti­va­liers (selon les autorités) avaient décidé de jouer les pro­lon­ga­tions en cette seiz­ième édi­tion de Rock en Seine, chaus­sant lunettes de soleil, porte-gobelets et chemis­es ouvertes pour la dernière fois de la sai­son. Prêts à s’ag­glu­tin­er devant les six scènes du fes­ti­val pour jeter leurs ultimes forces dans la bataille, juste avant la rentrée.

Il faut dire que bon nom­bre d’artistes ont su don­ner à leurs gloires passées un revival flam­boy­ant. Tal­ib Kweli et Yasi­in Bey (aka Mos Def) fêtent avec classe le vingtième anniver­saire de Black Star en invi­tant l’Hyp­not­ic Brass Ensem­ble sur la scène Cas­cade, ajoutant à leur rap East Coast la soul, la ron­deur d’une basse et la douceur des cuiv­res. Le sou­venir de Chester Ben­ning­ton plane au-dessus du con­cert de Mike Shin­o­da ‑de Linkin Park‑, qui offre un hip-hop élec­trique tout droit sor­ti des 90’s et une reprise de “In The End” for­cé­ment pleine d’é­mo­tion. Et neuf ans après la sépa­ra­tion d’Oa­sis ici à Rock en Seine (à la suite d’une énième bagarre), Liam Gal­lagher enterre la hache de guerre en con­sacrant une large par­tie de son con­cert aux hymnes du duo mag­ique for­mé avec Noel, jusqu’à lui dédi­cac­er ‑comme un symbole- “Cham­pagne Super­no­va”… Les fans frus­trés de 2009 ont eu droit à une ses­sion de rattrapage.

Black Star (Pho­to : Olivi­er Hoffschir)

Une Char­lotte Gains­bourg toute en jean et en fragilité ter­mine sur un “Lemon Incest” gavé de bass­es élec­triques et de syn­thés acides, et c’est toute émue qu’elle s’é­tale en remer­ciements avant d’achev­er son dernier con­cert de l’an­née. Et elle n’est pas la seule tête d’af­fiche du week-end dans ce cas : Jus­tice, Mack­le­more ou notam­ment PNL retour­nent la Grande Scène avant de tir­er leur révérence à 2018. On a d’ailleurs la sen­sa­tion d’avoir subite­ment vieil­li de cinquante ans quand les deux frères de Corbeil-Essonnes débar­quent, après un retard syn­di­cal d’une ving­taine de min­utes, alors qu’une armée de smart­phones et 20 000 voix s’élèvent pour repren­dre les refrains mar­mon­nés et vocodés de “Da”, “Le monde ou rien” et “Naha”… Il a fal­lu noy­er ce cha­grin dans 260 grammes de bon­bons ‑payés 10€- avant de retrou­ver la pop bub­blegum de Yelle sur la scène du Bosquet : une com­bi rose-paillettes, des chan­sons fausse­ment naïves tein­tées d’élec­tro acidulée et une énergie dévas­ta­trice pour que, dans une foule inten­sé­ment var­iée, se remet­tent à remuer les chevelures péroxydées.

(Pho­to : Zelie Noreda)

Dif­fi­cile de retenir du live de Thir­ty Sec­onds To Mars autre chose que les riffs vénéneux de Waxx, gui­tariste et Youtubeur parisien invité pour l’oc­ca­sion par Jared Leto. On grav­era plutôt dans nos mémoires l’élé­gance de Tamino et sa trou­blante ressem­blance avec un cer­tain Jeff Buck­ley, la soul lan­goureuse de Haute qui n’au­rait rien à envi­er à Jor­ja Smith, mais aus­si la folie de Die Antwo­ord avec leur bar­ils enflam­més, leurs dans­es macabres sur­voltées, leurs efforts pour impli­quer le pub­lic et lui faire scan­der “Oui-Oui mon ami, oui-oui”. D’ailleurs, on peut d’emblée arrêter de qual­i­fi­er de “Rap-en-Seine” cette seiz­ième édi­tion. Mal­gré des lives remar­qués de Black Star, Post Mal­one, Mack­le­more, Jos­man ou PLK, le rap n’a pas encore tout à fait sup­plan­té le rock dans les coeurs des fes­ti­va­liers. En témoignent la force bour­rine d’Idles, le rock rétro et boogie-woogie des 8 mem­bres de Fat White Fam­i­ly, la voix sur­puis­sante et le regard perçant d’El­lie Roswell (sous un make-up char­bon­neux) pen­dant le con­cert énervé de Wolf Alice, l’én­ergie impétueuse et com­mu­nica­tive de Mashrou’Leila ou encore la puis­sance grasse de King Giz­zard & The Lizard Wiz­ard, leurs cris stri­dents et leurs riffs sataniques à la lim­ite de la dis­so­nance, soutenus par deux bat­ter­ies en miroir ‑pour tou­jours plus de lourdeur- qui ont provo­qué quelques jolis pogos.

King Giz­zard & The Lizard Wiz­ard (Pho­to : Olivi­er Hoffschir)

Avant le con­cert de clô­ture par Jus­tice, une réplique de la Coupe du Monde cir­cule dans les rangs, un clap­ping est lancé et la Mar­seil­laise résonne aus­si fort qu’un soir de 15 juil­let… Alors on est for­cé­ment nos­tal­gique de cet été insou­ciant qui file douce­ment entre nos doigts, avant la dernière vio­lence cathar­tique fournie par Gas­pard et Xavier pour leur dernier show de l’an­née, porté par une instal­la­tion gar­gantuesque : lumières stro­bo­scopiques, tran­si­tions qui font mon­ter la pres­sion et quelques 36 amplis sur scène. Une dernière over­dose de ched­dar dans un “grilled cheese à la française”, un thé à la men­the pour faire gliss­er, une ultime attaque de guêpe, avant de quit­ter Rock en Seine. Il n’est pas encore minu­it mais c’est épuisé qu’il faut ren­tr­er dans ses pénates : les vacances, c’est (déjà?) fini.

Pire moment : la presta­tion de Nick Mur­phy, qu’on prend d’abord pour un flegme habité… Mais l’ex-Chet Fak­er ne partage finale­ment rien avec son pub­lic, trop pris par ses envolées lyriques inadap­tées à un live de fes­ti­val, avant un au-revoir éclair “On a joué trop longtemps, bye” qui laisse l’as­sis­tance dans l’incompréhension.

Meilleur moment : Le sourire gêné de Patrick Het­er­ing­ton, qui ne s’at­tendait pas à recevoir un tel accueil. Funk chaloupé, har­monies à qua­tre voix, bass­es acides et cols roulés… Inépuis­able, Parcels déploie une énergie folle pour gag­n­er les coeurs et les corps des fes­ti­va­liers, avec un con­cert ultra-efficace tout en humil­ité… N’go­lo Kan­té style.

Parcels (Pho­to : Olivi­er Hoffschir)

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