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© Yohann Cordelle
4 juin 2024

Le Rosa Bonheur vu de l’intérieur

par Tsugi

Seize ans déjà que le Rosa fait le bonheur, toute l’année du jeudi au dimanche, des familles comme des fêtards. Un lieu atypique où se croisent gamins et drag-queens, DJ-sets et engagement, pizzas et boissons maison, et qui a organisé son tout premier festival du 23 au 26 mai derniers ! 

Par Clémence Meunier 

 

Article issu du Tsugi Mag 170 : Rebeka Warrior et les pionnières

Quel drôle d’endroit que le Rosa Bonheur. Posé au sommet des Buttes-Chaumont – la maison mère, alors que trois autres Rosa ont depuis vu le jour dans Paris –, le bar-guinguette-club aurait pu être une simple buvette. Le cadre est superbe, la terrasse suffisamment grande: pour que l’affaire tourne, servir des bières suffirait amplement. Mais c’était sans compter sur celles et ceux qui font le Rosa au quotidien.

Lancé en 2008, tout juste un an après la fermeture du Pulp, par Michelle Cassaro (alias Mimi, la fondatrice du culte club lesbien parisien) et Céline Auzou (alias Zouzou, qui y officiait au bar), épaulées par Christophe Vix-Gras (ancien directeur artistique de Radio FG, entre autres) et le producteur de cinéma Pascal Caucheteux, le Rosa des Buttes, aujourd’hui uniquement géré par Zouzou tandis que Mimi officie au Port des Invalides, à Asnières et à Vincennes, empile les ambitions : offrir un refuge festif, bienveillant et accueillant aux communautés LGBTQIA+ (traditionnellement, le jeudi est plutôt dédié aux lesbiennes, quand le dimanche, qui attire toujours beaucoup de monde, est une soirée gay), importer à Paris l’ambiance guinguette chère aux Sudistes Mimi et Zouzou, inviter une vingtaine de DJ résidents à jouer à peu près tous les styles de musiques électroniques…

Et, surtout, utiliser ce lieu qui tourne bien pour défendre de nobles causes plutôt que de s’en mettre plein les poches. Après des collectes de jouets à Noël, la vente du muguet au 1er mai et autres soirées caritatives, le Rosa des Buttes a passé la seconde et organisé un festival de quatre jours au profit du Secours Populaire. On a eu l’occasion de rencontrer celles et ceux qui font le Rosa au quotidien, et découvrir un clan d’amitiés, de fête et de travail, le casting essentiel pour créer un tel espace de liberté en plein Paris.

Rosa Bonheur

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Sergio
• Assistant manager bar nuit
• 6 ans de Rosa 

Quand le Rosa m’a embauché, je venais d’arriver d’Argentine, je ne parlais pas français. J’ai appris au Rosa, avec les collègues. Le Rosa m’a tout donné: un travail, une famille, et surtout, le plus important pour moi, une liberté. Je suis né dans un tout petit village en Argentine, et les esprits étaient fermés là-bas. Ici, je n’ai pas peur de me déguiser, je n’ai pas peur du regard des autres, je me sens accepté.

 

Rosa Bonheur

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Cécile
• Directrice de salle
• 8 ans de Rosa

Je suis une enfant du Pulp: je connais Zouzou depuis vingt-cinq ans. J’ai fêté mes 40 ans au Rosa Bonheur. En voyant ce lieu un peu bucolique, cet esprit familial hérité du Pulp, avec des équipes hyper sympas en forme de colonie de vacances, alors que j’étais un peu pompette, je suis allée voir Mimi en demandant si elle ne cherchait pas une extra. Elle m’a prise tout de suite, j’ai fait extra, assistante manager, manager, puis aujourd’hui directrice de salle, bras droit de Zouzou. Ici, les fêtards côtoient les enfants, les sportifs, les personnes âgées, en bonne entente. On organise d’ailleurs des événements intergénérationnels : on invite les Ehpad, ou les seniors célibataires, isolés dans leur petit appartement, à participer à des ateliers avec les écoles du quartier, pour apprendre aux enfants à cuisiner, à peindre… À la suite d’un atelier comme ça, il y a un senior, Bernard, 90 ans, qui vient nous voir et nous dit: « Ces ateliers, c’est génial, j’adore les mômes, mais j’aimerais aussi pouvoir draguer! » Du coup on organise un bal des seniors chaque année. On a eu deux cents seniors la dernière fois, et je peux te dire que ça pécho!

En plus de l’inclusion et du mélange des générations, on porte un intérêt tout particulier à l’écoresponsabilité. On travaille notamment avec les Alchimistes, qui valorisent nos biodéchets. Depuis janvier 2024, c’est une obligation de faire collecter les déchets organiques, mais on a fait appel aux Alchimistes bien avant. Aujourd’hui, notamment grâce à cette collaboration et au fait que l’on travaille avec des produits de saison, que l’on a arrêté d’utiliser de la vaisselle jetable, ou que l’on recycle correctement, on a décroché un macaron « éco-table ».

 

Également sur tsugi.fr : Pedro Winter et sa bande en DJ set de Noël pour les plus précaires

 

Chef Damien
• Chef cuisinier, créateur de la marque Necense
• 1 an de Rosa

Necense, c’est une nouvelle génération de sodas, solides. C’est une poudre composée de sucre, de plantes, et d’un peu d’acide citrique: zéro bouteille plastique, zéro déchet, très peu de stockage, moins de transports en camion, et des ingrédients naturels. Le Rosa nous a fait confiance dès nos débuts, alors qu’il y a une véritable mafia des représentants en boisson: si le Rosa voulait refaire sa toiture gratuitement, Coca pourrait le financer en échange d’un engagement sur vingt ans. Comme ils ont énormément d’argent et ne payent pas beaucoup d’impôts en France, ils ont les moyens d’acheter le monde entier et s’installent dans les lieux les plus hype. Mais cette recherche de goût, de cohérence avec le fait de proposer des produits naturels, et cet enjeu militant écologique ont convaincu Zouzou.

Rosa Bonheur

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Christophe
• Assistant manager bar journée
• 5 ans de Rosa

C’est mon premier job, je suis un pur produit du Rosa Bonheur. Je suis arrivé à 18 ans, et j’ai grandi ici. Zouzou, les collègues, m’ont tout montré. Le staff a tendance à rester longtemps, certains comme Mamadou en cuisine sont là depuis le début. Les gens partent en général au bout de sept ans, ce qui est super long dans ce genre de métier. On est tellement bien qu’on n’arrive pas à partir.

 

Alexandre
• Assistant manager bar nuit
• 8 ans de Rosa

J’ai commencé comme extra, en journée. J’ai gravi les échelons, d’abord assistant‑manager en journée, puis j’ai demandé à passer de nuit il y a deux ans. Quand je travaillais la journée, je restais le soir pour faire la fête, donc c’était plus sain pour moi de directement venir la nuit! Et c’est chouette pour l’équipe du soir: on travaille énormément, mais on arrive à profiter en même temps. La moyenne d’âge est peut-être plus élevée que dans d’autres établissements qui passent de la musique. S’il y a une majorité de clientèle de 35, 40 ans, on a aussi des jeunes qui viennent échanger avec les moins jeunes, et ça se passe très bien.

Rosa Bonheur

Yohann Cordelle

Gaël
• Agent de sécurité
• 10 ans de Rosa

On a très peu de problèmes de violence ici. Le dimanche il y a toujours beaucoup de monde, mais on n’a jamais aucun souci, et c’est la clientèle la plus sympa! Ils sont nombreux mais très respectueux. On est surtout là pour rassurer les gens. On fait particulièrement attention au comportement des hommes vis-à-vis des femmes, s’il y a un mec trop lourd ou tactile. On travaille différemment au Rosa que dans d’autres lieux de nuit: vu que les clients sont cool, on l’est aussi, on n’a pas l’air méchant, on discute, on fait leur fait la bise… C’est franchement agréable.

 

Rosa Bonheur

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Barbara Butch
• DJ, créatrice des soirées «La Patchole»
• 6 ans de Rosa

La Patchole, c’est la récréation. Trois fois par an, je ne vais passer que de la musique des années 1990 et 2000, des chansons de la honte, des plaisirs coupables, mais vraiment très coupables : on va sur du Maître Gims, Loana, Diam’s… Tout ce que je peux trouver dans la collection de CD deux-titres que j’ai dans mes toilettes. Ce n’est pas du tout la musique que je joue d’habitude, qui est plutôt house et disco-house. Je ne fais ça qu’au Rosa.

C’est une ambiance un peu différente des autres dimanches. On a même invité Lââm ou Larusso! Et il y a souvent des drag-queens qui viennent performer. C’est la soirée où on n’a pas honte de chanter « Les Rois du monde » ou du K-Maro, même si on n’a jamais honte de rien au Rosa Bonheur. Le nom de la soirée vient de « pachole », de l’argot marseillais pour dire « vagin ». Mais je l’ai écrit avec un ‘t’ la première fois que j’ai fait l’event sur Facebook. C’est resté. Et c’est rentré dans le langage courant des personnes qui viennent à la soirée et qui fréquentent le Rosa. « Ah, c’est hyper patchole », ça veut dire que c’est un peu cagole.

La Patchole, c’est aussi voir le staff habillé tout en léopard, Zouzou en cagole, avec sa machine à bulles, ses chaînes en or de marques… Et elle comme moi, qui avons vécu à Montpellier, retrouvons notre accent du sud. Le Rosa, ce n’est pas Paris, c’est la chaleur, la convivialité, l’odeur du pastis… Pas besoin de se barrer dans le sud pour trouver des gens plus sympas, suffit d’aller au Buttes-Chaumont, ça coûte moins cher comme voyage!

 

 

« Ici, les fêtards côtoient les enfants, les sportifs, les personnes âgées, en bonne entente. » Cécile

 

Abdelsem Ghazi et HélèneGrob
• Secrétaire général et Responsable des événements du Secours populaire de Paris
• 10 ans de Rosa

Cela fait dix ans que l’on travaille avec Zouzou sur différentes initiatives, différents événements. Et il y a six ans, le Rosa a organisé la première « La Mère Noël est un amour » avec Pedro Winter, une soirée où les gens sont invités à ramener un jouet ou un don pour assister aux DJ-sets, et accueille la vente du muguet, chaque 1er mai, dont les bénéfices sont reversés au Secours Populaire. On ne travaille pas avec d’autres lieux festifs qui ont cette volonté de s’engager avec nous à long terme. Il arrive que des lieux nous proposent des mises à disposition, mais le Rosa va plus loin que ça: Zouzou nous met en relation avec son réseau, propose des DJ de qualité, amène des idées. Le seul challenge, c’est de réussir à la suivre!

Rosa Bonheur

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