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© Ajla Salkic
13 juin 2022

Sarajevo, la trentaine… l’interview de Hector Gachan, voyageur bedroom pop

par Juliette Soudarin

Sarajevo, Alan Watts, crise de la trentaine… À l’occasion de la sortie de son second album, Care 2 Share, on a discuté, voyagé et grandi avec Hector Gachan. Entretien.

Le temps passe et on se rapproche inévitablement de l’âge où nos parents avaient déjà démêlé le bazar dans leurs têtes. Trente ans et une vie d’adulte bien installée : maison, boulot, enfants. Et lorsqu’on réalise notre introspection, on se rend compte que l’on est bien loin de ce que la société attend de nous. C’est quoi d’avoir 30 ans, dans ce monde qui va si vite que l’on n’a même pas le temps de respirer ? Où en Occident les gens n’ont pas les moyens d’acheter une maison ? C’est ce que se demande Hector Gachan dans son second album Care 2 Share, sorti ce 10 juin.

Avoir trente ans

Dans son premier opus Untitled ‘91, qui l’a révélé au public, le bonhomme creusait son passé entre l’Australie – pays où il est né et a vécu son enfance – et la Bosnie-Herzégovine, terre natale de ses parents, qu’il a rejoint adolescent. Cette fois-ci c’est le présent qui l’interpelle. « Ce deuxième album traite de ce que j’ai vécu dernièrement, de ce que je vois et de ce qui m’intéresse », explique le trentenaire. « J’essaie de questionner ces impératifs sociétaux et de montrer comment certaines choses peuvent être insignifiantes. Peut-être vaut-il mieux élargir nos perspectives ? », continue-t-il, avant de lancer en rigolant :  « Je ne sais pas, je suis un peu hippie ! »

Ainsi, aux côtés de titres abordant la période charnière qu’est la trentaine dans l’imaginaire collectif, Hector Gachan parle de solitude, de la toxicité d’Internet sur nos relations, des entreprises qui utilisent toutes les opportunités pour escroquer les gens, mais aussi de santé mentale. «  »Tell me I’m here » est le titre où je suis le plus vulnérable. Je ne suis certainement pas exempt de problèmes de santé mentale », confie l’artiste. Un sujet qui fait largement écho à la pandémie mondiale que nous continuons de traverser et qui a révélé à quel point la société capitaliste nous rend zinzin•es. Et puis, au milieu de ce torrent de réflexions il y a « Seven 45 » , une chanson de pur love. Gachan dévoile sa relation à distance avec la personne qu’il aime, entre Sydney et Edimbourg, et la joie de la retrouver. « Certains morceaux de l’album sont assez simples comme celui-ci », expose-t-il.

 

Alan Watts et influences beat génération

« Pour moi, les paroles sont la partie la plus difficile du processus d’écriture d’une chanson », souffle-t-il. Sur Care 2 Share, le Bosnien invoque alors comme influence Alan Watts et son livre The Wisdom of Insecurity: A Message for an Age of Anxiety. Alan Watts est une figure beat génération. Écrivain et philosophe britannique expatrié en Californie, Hector Gachan croise ses écrits, alors qu’il n’a que 20 ans. « Il avait une émission de radio entre les années 50 et 70. Il parlait de bouddhisme et traînait avec des personnes plutôt connues comme Aldous Huxley. Et il m’a juste rendu plus à l’aise avec la vie. Son approche de l’anxiété et des pensées excessives, c’est ce qui a vraiment fait naître mon intérêt pour lui », raconte Hector avec l’envie que nous nous plongions, à la suite de cette entrevue, dans les centaines d’heures d’audio book disponibles sur YouTube. « Je suis tombé amoureux de lui », finit-il par déclarer.

Musicalement, Hector Gachan brasse les inspirations et les cultures. Aux côté des albums Ram de Paul et Linda McCartney et Little Dark Age de MGMT, principales influences, il cite le Bosnien Dino Merlin, le Nigérian Fela Kuti, les Brésiliens Jorge Ben Jr et Gilberto Gil ou encore le groupe japonais Yellow Magic Orchestra.

Grandir à Sarajevo

Mais d’où lui vient cette curiosité insatiable ? L’artiste évoque son adolescence à Sarajevo. « Je ne pense pas que j’aurais été aussi curieux et appris autant sur mes racines et le monde si ma famille était restée à Sydney. La Bosnie est elle-même un lieu peu connu. C’est dommage, car Sarajevo est considérée comme le Jerusalem européen en raison de son histoire religieuse et multi-ethnique. J’ai grandi dans un immeuble qui est un ancien ensemble d’habitations communistes. Juste à côté il y avait une mosquée, et juste à côté une magnifique église. Et puis vous savez, cette ville a vraiment traversé l’enfer. Je n’ai pas vécu la guerre mais j’ai pu voir mon peuple se reconstruire après celle-ci. Quand je dis « mon peuple » je parle de gens de toutes religions et toutes ethnicités. Pas seulement des bosniaques, des musulman·es », médite Gachan. Il finit par conclure par une phrase qui pourrait sortir tout droit d’un film contemplatif : « Si je dois vieillir, je ferais mieux de grandir spirituellement, émotionnellement... »

De partout et de nulle part

Si Sarajevo, n’est plus une source d’inspiration majeure dans ce second album, elle réapparaît de temps à autre au détour de paroles. « Bullet holes on the graffiti on every single concrete building, a choir of street dogs howling night after night after night / Des impacts de balles sur les graffitis de chaque bâtiment en béton, un chœur de chiens de rue qui hurlent nuit après nuit… après nuit », peut-on entendre sur « Silence is golden ». Hector Gachan décrit ainsi la ville dans laquelle il a grandi. C’est d’ailleurs de retour d’un séjour dans la capitale bosnienne qu’il répond à nos questions. « Je suis à Sarajevo », nous écrivait-il, photo à l’appui.

Aujourd’hui, l’artiste a déménagé à Edimbourg pour être avec sa  « girl » , sa « partenaire », comme il l’appelle. C’est donc un album réalisé au quatre coins du monde – Edimbourg, Sydney, Sarajevo – mais toujours dans une chambre, que délivre le musicien. « C’est un vrai album international. C’est là que ça devient intéressant », déclare Hector fièrement. Et il déroule tout le procédé de conception. L’album a été mixé à Sydney, puis masterisé à Paris, il est sorti via Nice Guys, une maison de disque bordelaise, et l’artwork de l’album a été réalisé par une artiste basée au Chili… « Et moi je suis Bosnien ! », s’exclame-t-il en rigolant, « c’est un album qui ne connaît pas les frontières ! » Finalement, Hector Gachan reste fidèle à lui-même en réalisant un second album à la fois de partout et de nulle part.

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