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© Guido Borso
19 juillet 2018

Terraforma 2018: le petit festival italien où on a entendu les étoiles

par Estelle Morfin

Dans la proche campagne milanaise, sous un soleil d’été à l’aplomb bien italien, se déroulait il y a quelques jours la cinquième édition du Terraforma, ce genre de petit festival à la ligne musicale travaillée et à taille humaine, où l’on se sent bien.

En plus, il faut dire que la Villa Arconati –et surtout son parc– qui accueille l’événement a une sacrée gueule. De là à dire qu’on se croirait dans La Grande Bellezza de Sorrentino, il n’y a qu’un pas.

© Delfino Sisto Legnani

C’est en grande partie grâce à Ruggero Pietromarchi, le directeur artistique du festival qui connaissait les lieux, que le Terraforma a pu prendre ses quartiers dans les petites clairières du domaine, du 29 juin au 1er juillet. C’est aussi lui, avec toute une armada de passionnés, qui s’applique depuis son lancement à développer un line-up précis entre l’ambient, l’expe et la deep techno dans ce décor particulier. Cette année pourtant, on a eu l’impression que la programmation était beaucoup plus club qu’en 2017. Un choix assumé, un mood qui suivait le thème « interstellaire » de cette édition. Si déjà l’artiste Emanuele Marcuccio nous en avait donné un avant-goût avec l’artwork du festival, sa continuité trouvait place dans le planétarium installé à l’orée du petit bois, avec une installation sonore de Caterina Barbieri (qu’on avait déjà applaudie au Mutek Es). De ce point de vue là, on comprenait mieux aussi la venue de ce géant de la musique électronique, Jeff Mills, fraîchement sorti d’une collaboration avec la NASA sur NTS (The Outer Limit), venue qui nous avait un peu surpris au début. Pas de set insolite pour autant, mais une bonne techno puissante et deux heures de jam à la TR-909 pour clore le tout. Quand bien même, on a préféré s’émerveiller dans une des deux autres scènes : la circulaire « Labyrinth », avec l’installation fantastique de Plaid & Felix’s Machines, sorte de grande sculpture génératrice de sons contrôlée en live par le mythique duo anglais. Passée cette première soirée de vendredi qui nous a laissés un peu sur notre faim, d’autant que Lanark Artefax n’avait pas pu venir à cause d’un bête problème de passeport, on avait hâte de rentrer dans le vif du sujet et on ne s’est pas couchés trop tard.

© Guido Borso

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Et on a bien fait, car le lendemain il fallait être d’attaque dès 10h. Marco Shuttle, un des résidents historiques du Terraforma qui a aussi signé sur Spazio Disponibile -le label de Donato Dozzy– , ouvrait la journée avec un set de

© Delfino Sisto Legnani

trois heures : un de ceux qui s’apparente à une vraie rampe de lancement. Alors que le public sombre doucement dans une phase lysergique, les nappes colorées continuent de se déployer sur l’herbe verte aux abords de la scène, beaucoup sont assis et ressentent les vibrations à même le sol. Valentino Mora (qu’on connaissait avant sous son alias French Fries) renchaine avec une profondeur et une finesse qu’on ne lui connaissait pas. C’est peut-être une des interventions qu’on a préférée dans tout le festival… Et le Français en aurait presque éclipsé « Il Professore » aka Donato Dozzy, le grand manitou italien de la deep techno et de l’ambient, qui nous a pourtant rameuté sur la petite scène Carhartt avec un volume sonore crescendo, pour former une petite boule d’énergie compacte humaine. Passé ce moment, certains s’échappent pour expérimenter l’eau de la petite rivière en contrebas du site, où se battent d’ailleurs en duel quelques écrevisses, d’autres partent chercher des vivres au camping qui héberge 1500 personnes, dont plus de la moitié issue de l’international. Des génies ont épluché intégralement une pastèque et se la passent tel un totem rose et sucré. Notre dîner à nous sera servi par Byetone (Olaf Bender de Raster-Noton), avec un live toujours très pointu et  rempli d’explorations, et Batu qui passe du break au reggaeton pour un résultat parfois surprenant. On n’oublie pas la Japonaise Powder qui terminait cette journée de 48h, et qui nous a vidé de nos derniers pas de danses sur des accents acidulés et parfois housy, dans le bon sens.

© Guido Borso

Dimanche est plus laborieux : la fatigue s’accumule autant que les piqures de moustiques, les queues au bar/cashless semblent (sont ?) interminables, le staff est aussi lessivé que le public. Peut-être parce que le festival qui a accueilli 8000 ‘Terraformers’ durant tout le week-end était sold-out. A-t-on atteint sa capacité limite ? On regrette un peu l’usage de gobelets en plastique et l’absence de toilettes sèches pour un festival qui se veut « sustainable« … Alors que d’un autre côté par exemple, la gestion de l’électricité est très bien pensée avec l’utilisation d’une seule scène à la fois et pas trop de fioritures lumineuses poussives. On loupera les artistes du matin, pourtant de qualité : Rabih Beaini, Mino Luchena, Daniele de Santis et Paquita Gordon qui s’enchaînaient sur la petite scène. Mais on arrive à pic pour le live de Don’t DJ (Berçeuse Héroïque…) qu’on adore, presque autant que Vladimir Ivkovic, sans doute parmi les véritables temps forts du Terraforma 2018, avec un set rallongé : BPM bas, montées contrôlées, pointes acido-organiques, on n’en attendait pas moins de cette ancienne figure du Salon des Amateurs de Düsseldorf qui a fait remarquablement parler de lui au cours de ces deux dernières années. A juste titre, la piste de danse poussiéreuse ne désemplit pas et tout le monde se retrouve une énergie dissimulée. C’est le DJ et producteur de Berlin PLO Man qui finira par nous achever avec un set étendu, explorant plusieurs styles, alors qu’on nous a annoncé un peu plus tôt que Donato Dozzy, éreinté, ne ferait pas son fameux secret closing set cette année. La forêt respire, les derniers sons s’éteignent, les étoiles brillent toujours aussi fort et la transhumance reprend sur les graviers du grand jardin. C’est ça, le Terraforma.

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