XP Music Futures 2024, l’avenir s’écrit dans le désert | LIVE REPORT
Organisée début décembre à Riyad, la quatrième édition des XP Music Futures illustrait la métamorphose culturelle de la capitale saoudienne à base de rencontres, d’échanges et de concerts. L’occasion de faire connaissance, trois jours et trois nuits durant, avec un paquet de talents issus du monde arabe. Mais aussi d’avoir un aperçu du futur de son industrie musicale.
Par Julien Duez
Quand on a l’habitude d’un hiver froid et pluvieux, il n’est jamais désagréable de s’offrir une petite parenthèse en t-shirt sous un soleil radieux et un thermomètre qui grimpe à 25°C, sans forcer.
Au cœur de la cité nabatéenne de Hégra, près de l’oasis d’Al-Ula, ses lunettes d’aviateur bien vissées sur le nez, Emmanuel Macron en a été l’illustration à l’occasion de sa visite d’Etat de trois jours en Arabie saoudite, début décembre 2024. L’occasion pour le président français de s’offrir lui aussi une parenthèse loin de la crise politique qui secouait l’Hexagone, en signant un « partenariat stratégique » et neuf contrats de coopération culturelle avec le royaume wahhabite. Ça vous parait étrange et pourtant, l’état saoudien poursuit sans relâche ses efforts pour mettre en place une véritable politique d’après-pétrole baptisée Vision 2030.
Et cela passe, entre autres, par la culture. Quelques mois après l’ouverture de la première boîte de nuit du pays (voir Tsugi #172), Riyad organisait sa première Music Week, censée l’aider à se construire une place de leader culturel dans le monde arabe.
Watch and learn
Avant la première cérémonie des Billboard Arabia Music Awards et du grandiloquent festival Soundstorm (auquel ont participé cette année Eminem, Linkin Park, Muse, A$AP Rocky, DJ Snake ou encore Calvin Harris), MDLBEAST a lancé les festivités en grande pompe avec la quatrième édition des XP Music Futures. Trois jours et trois nuits de conférences, rencontres et concerts auxquels les acteurs de la musique networkent entre eux et avec le public, en particulier celui de demain, celui de la première génération pour laquelle le quatrième art n’est plus un tabou mais, au contraire, officiellement reconnu et dont la pratique est encouragée.
« Nous travaillons à l’acceptation culturelle de la musique, non seulement en Arabie Saoudite, mais dans toute la région », confirme Nada Alhelabi, directrice du mini-festival, en désignant à titre d’exemple un atelier d’initiation à l’oud, un instrument à cordes très populaire dans le monde arabe. « Si des parents ont un enfant qui montre un penchant pour la musique, nous voulons qu’il puisse réellement faire carrière avec sa passion et que ce choix soit pleinement accepté. Au cours des quatre dernières années, nous avons fait d’énormes progrès en ce sens, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. »
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Faire carrière. Pour toute une génération d’artistes en herbes, biberonnée à Internet et connectée comme jamais au reste du monde, ces deux mots n’ont plus rien d’illusoire. Et ça, les grosses boîtes de l’industrie musicale internationale l’ont bien compris, ce qui explique (logiquement) leur présence au programme de ces XP Days.
Ainsi, YouTube et Spotify organisaient-ils leur propre « talk » pour vendre les possibilités d’éclosion à travers leur plateforme. En parallèle, les organisateurs en remettent une couche à travers des tables rondes censées expliquer tant l’importance des réseaux sociaux que de l’intelligence artificielle dans la construction d’un projet musical solide.
« C’est précisément pour ça que je suis venu », confie Abdullah, 19 ans qui s’est récemment lancé dans le beatmaking mais est encore trop modeste pour oser partager son @. « Les réseaux, c’est un truc qu’on utilise au quotidien en Arabie saoudite. Donc si je peux en profiter pour réussir à faire le buzz avec ma musique, je prends ! », abonde le jeune homme, selon qui « la valeur des productions se mesure autant par le talent que par le nombre d’abonnés ». Leçon numéro 1 : bien garder en tête que la musique qui cartonne est avant tout une histoire de bling-bling.
L’arabe du futur
Peut-être Abdullah signera-t-il un jour chez MDLBeast Records, un label multi-genre lancé en 2020 avec le soutien du ministère de la Culture. Son manager, Edwin Harb, s’est en effet fixé pour mission-première de mettre en lumière les talents locaux, afin que l’Arabie saoudite les exporte à son tour, après les nombreux efforts (financiers) consentis pour son opération séduction en invitant de grosses pointures internationales à venir performer chez elle.
« On a déjà eu quelques noms qui se sont produits à Tomorrowland ou à l’Exit Festival. Quand je pense à une productrice comme Cosmicat, je me dis qu’elle a tout ce qu’il faut pour être reconnue dans le monde entier. Avec une structure comme la nôtre et le réseau que l’on construit, on lui donne les moyens d’y parvenir », pose le manager.
Le tout, en gardant une identité propre : « À nos débuts, on se concentrait beaucoup sur le style EDM classique qui cartonne à l’international, poursuit Tarek. Aujourd’hui, on met davantage l’accent sur le fait de combiner la musique électronique avec des éléments traditionnels de la région, ce qui donne un mélange très intéressant. L’ouverture progressive du pays le rend moins perméable aux genres occidentaux comme le hip-hop, mais en parallèle, on remarque qu’il y a une place pour la musique et la langue arabes qui dépasserait les frontières du Moyen-Orient. »
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De fait, en jetant un œil aux artistes les plus écoutés par les Saoudiens sur Spotify cette année, on remarque que les noms des chanteurs pop Ayed et Abdul Majeed Abdullah figurent dans le top 10 aux côtés de Taylor Swift, Billie Eilish et autres Travis Scott.
« Quand vous voyez ce qu’a réussi à accomplir Rosalia avec l’espagnol, pourquoi une chanteuse comme Zeyne ne pourrait-elle pas réussir à atteindre un nombre de streams équivalents ? », s’enthousiasme Tarek El Mendelek.
En attendant de la voir enflammer We Love Green ou Glastonbury, l’artiste palestino-jordanienne, souffrante, n’a hélas pas pu assurer son show aux XP Nites. Mais le programme nocturne n’en restait pas moins gargantuesque.
En plus d’un étonnant (et détonant) showcase 100% métal (dont on vous reparlera très bientôt en détail), le public, venu bien plus massivement après le coucher du soleil, a pu se régaler devant les performances du rappeur égyptien Marwan Moussa et de ses compatriotes du groupe d’indie folk fusion Luka Wel Bateekh, mais aussi du showcase enflammé d’un autre rappeur de dimension internationale, l’américano-soudanais Bas, du DJ set envoûtant du palestino-émirati Casa Vince qui mixe R&B et musique arabe, sans oublier la scène ouverte du collectif féminin NOORstudios, sur laquelle se sont succédé des talents venus de toute la région.
Autant de noms à retenir quand ils (re)viendront tourner en Europe. En attendant, l’Arabie saoudite leur a déjà servi de tremplin. Ou de caisse de résonance, c’est selon.
Le + : L’atmosphère ultra relax et ces espaces dédiés pour improviser un DJ-set, une jam ou karaoké à faire pâlir Colors
Le – : L’absence de notifications sur une application dédiée, en cas de changements de dernière minute dans la programmation. Dommage quand on a un talk ou un concert spécifique dans le viseur.
Par Julien Duez