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Mara © Juliette Miglierina
3 octobre 2024

Mara : Shatta, drum’n’bass et ‘foulamerde’ | INTERVIEW

par Corentin Fraisse

‘Magali, qu’est-ce que tu fais ?’ Du ‘Bon son‘, de toute évidence. Mara, jeune DJ, chanteuse et productrice, mêle électronique (essentiellement drum’n’bass et garage) à des influences caribéennes avec une énergie aussi solaire que dévastatrice. Tsugi a discuté avec elle dans un café parisien. Entretien avec une artiste pleine d’humour et d’assurance.

« J’ai pris des a cap’ de shatta et de bouyon, j’ai mis ça sur des prod drum n bass… C’était mes premières tentatives en tant que DJ ». Le virus DnB l’a emportée très tôt. C’est dans un café du 18e arrondissement de Paris qu’on a retrouvé Mara pour une interview autour d’un verre (entre pinte de blonde et Orangina). Vous la connaitrez sans doute, soit pour ses sets survitaminés, soit pour ses chansons aux paroles droites et crues sur instru shatta.

On l’avait vue en live ‘chansons’ sur la scène du Greenfloor à Cabaret Vert, on l’a entendue sur Mouv’ (où elle occupait le créneau afro-caribéen pendant 4 ans), ou encore sur Rinse où elle est résidente (voir la vidéo-ci dessous). Mais ce qui a terminé de nous intriguer chez Mara, ce sont aussi et surtout ses mixes, où elle marie à merveille la drum’n’bass avec de grosses influences caribéennes et jamaïcaines. Tout pour nous plaire : il nous fallait une interview.

 

Tout le monde ne sait pas que tu es d’abord DJ, avant même de composer tes titres les plus connus (comme ‘Point Cue’ ou ‘Bon son’). C’est quoi ton rapport au DJing ? 

J’ai d’abord été DJ, j’ai commencé autour de 2017. Et c’est vrai que mes chansons ont dépassé ma carrière de DJ. Le fait que je sois DJ a fait connaître mes chansons, et le succès de mes chansons a poussé ma carrière de DJ.

J’ai commencé par pure passion, parce que je me suis rendue compte que c’était vraiment ce qui m’animait le plus, c’était la musique. J’étais tout le temps front row dans les soirées. Un jour, un de mes amis DJ m’a demandé « mais pourquoi tu ne mixes pas ? » Et je ne savais pas quoi lui répondre. Il m’a dit « Tu t’achètes un contrôleur, en plus maintenant ça ne coûte pas trop cher. Et tu vas aller mixer ! »

 

Tu as été très vite convaincue, pour le coup.

Oui ! J’ai été piquée par la fièvre du DJing. En plus c’était une période où je ne trouvais pas de travail, j’étais en Suisse au chômage. Alors je n’ai fait que mixer. J’ai commencé à économiser, à accepter tous les petits gigs dans des bars, boîtes de nuit… jusqu’à me retrouver à Paris à mixer. Je m’en suis toujours sortie, je vivais avec peu. J’ai trouvé un studio parisien, 450 euros pour 13 mètres carrés, le coup classique. C’était tout petit, mais pour moi c’était un univers. J’étais tellement heureuse. Quand on fait ce qu’on aime, on est bien et c’est tout.

 

Il y a un mantra très direct qui est devenu le tien : c’est quoi exactement, l’esprit ‘foulamerde’ ?

L’esprit « foulamerde » est arrivé à un moment de ma vie où j’avais l’impression d’avoir toujours tout bien fait… Mais ça ne suffisait jamais et je n’étais pas plus heureuse.

C’est là où j’ai commencé à mixer. Et je me suis dit « mais en fait, ‘Foulamerde’ c’est le mot. On s’en fout, soyons nous-même ». Dans la vie il faut être qui on est, sans constamment écouter les autres ou se voir dans leur regard. C’est aussi parfois déranger, mais tant qu’on est bien avec nous-même et qu’on respecte les autres, c’est OK. C’est comme ça que ‘foulamerde’ s’est installé.

 

Tu as lancé les soirées « Foulamerde » by Mara. Comment est venue l’envie de lancer ça, de mettre en avant plus… Enfin, de mettre en avant cette facette-là de ton travail ? 

De base, les soirées « Foulamerde » existent déjà depuis quelques temps. J’en avais fait des premières en 2018 avec Petit Piment, qui était mon acolyte du moment. Elle mixait déjà des musiques lusophones et moi des musiques caribéennes. Il y avait déjà une volonté de mélanger les styles. J’ai continué à développer le projet artistique Mara et je n’avais pas forcément le temps d’organiser des soirées à côté. Donc, j’ai mis ce projet entre parenthèses. Et puis, ponctuellement, cette envie revenait en moi.

Parce qu’en tant que DJ, on mixe tout le temps dans des soirées. Je trouvais ça intéressant de faire résonner mon univers un peu particulier dans un format de soirées. Et c’est là que j’ai tout simplement repris l’expression, que j’utilise le plus souvent possible : ‘foulamerde’. Je me disais que ça représentait bien cette idée de soirée, où on vient avec une idée de lâcher prise, de « venez comme vous êtes ». Un parti pris de faire ce qu’on veut.

 

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Comme une démarche anti-puriste/snob finalement ?
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Carrément. Je pense que dans tous les styles de musique, il y a des soirées ‘puristes’. On peut avoir des soirées purement rap, ou purement caribéennes, purement drum’n’bass. Perso, il y a plein de choses qui font qui je suis. Et ça se ressent dans les soirées ‘foulamerde’. Je me suis dit que j’allais reprendre ces soirées-là, inviter qui je veux, composer mon petit menu.

Moi j’ai fait la HEAD à Genève en graphisme, donc je me suis occupée de travailler la DA. C’était un challenge assez gros. C’est aussi pour ça que l’orga de ces soirées prend du temps, si tu veux une bonne communication et faire les choses bien. Le projet est toujours là, je prépare (doucement) la prochaine édition.

 

Comment sont venues les compositions, en format ‘chansons’ ?

J’ai toujours voulu faire des sons. J’ai commencé à en glisser timidement dans mes mixes. Je ne disais à personne que c’était moi. Le premier son, c’était « Bon son ». C’est vraiment un son vu par une DJ : ce n’est pas fait pour de la radio, ce n’est pas un couplet-refrain-couplet. C’est un sample de voix, même plutôt inspiré de la musique électronique, avec de grosses basses, une transition, un changement de rythme… Les gens venaient me demander « C’est qui, c’est quoi ? » Et je disais que c’était moi. C’était la première étape.

 

Et ensuite, le public voulait que tu chantes ces tracks-là, quand tu les jouais ?

Mais oui ! Donc je les chantais. Les gens m’ont poussé à les mettre sur les plateformes, alors je l’ai fait ! Ça a pris comme ça. J’ai fait des clips, ça m’a créé tout un nouveau public, qui d’ailleurs ne venait pas forcément en soirées. Mais à la base, c’est né sur le dancefloor et dans le club.

À ce moment-là d’ailleurs, il n’y avait pas beaucoup de paroles en français qui parlaient de sexe frontalement. Ça paraît bête, mais on a tendance à l’oublier. En 2018, personne ou presque ne connaissait le shatta, par exemple. Ce n’était pas répandu. J’en jouais et… personne ne connaissait. Aujourd’hui, ça a bien changé. Et je pense y avoir aussi un peu contribué d’ailleurs.

 

Dans tes sets, tu mêles donc des influences créoles, du shatta/bouyon avec des musiques électroniques, essentiellement drum’n’bass. D’où c’est venu ? Ce sont des influences qui existent chez toi depuis toujours ?

J’ai grandi à Genève, c’est une ville internationale faite de mélanges culturels : il y a 40% d’étrangers à Genève. Là-bas, j’ai gravité entre le milieu reggae, dub, dancehall, donc des musiques jamaïcaines, et les soirées dubstep/drum’n’bass. J’allais aussi en soirée house/french touch. J’ai beaucoup écumé de soirées électroniques, où ça jouait dubstep, drum’n’bass et des sons jamaïcains. En mixant j’ai découvert le shatta, sur YouTube, et j’en suis tombée amoureuse. C’est génial ! C’est du dancehall mais en français, en créole. En plus c’est du deux-notes, avec de grosses basses qui sonnent électroniques.

Je me suis donnée cette mission et cette envie de faire découvrir ce style. Parce qu’en Suisse on a moins de communautés antillaises qu’ici en France. Et aussi, c’était encore un moment où je savais qu’il fallait faire un choix, être DJ hip-hop ou être DJ électro. Et je me suis dit « Je ne peux pas faire les deux ? »

 

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Donc tu es partie en mission, pour faire connaître le shatta ?

J’avais trop envie de jouer du shatta, et de le faire découvrir à tous ceux qui ne le connaissaient pas. Pareil pour l’afro. Quand je suis arrivée à Paris, c’était la trap. Il y avait de la trap, de la trap à tout va, Travis Scott partout, et moi j’étais là : « rien à foutre. » Il y avait moi, Carla Genus aussi et après d’autres s’y ont mis, et bien sûr il y avait des DJs antillais!

 

Mais l’arrivée de la drum’n’bass dans tes sets, c’est assez nouveau ? Le shatta seul ne te suffisait plus ?

L’an dernier, j’ai pris une pause. Parce que niveau shatta, les Antillais font ça très bien alors qu’est-ce que je pourrais amener, moi, comme valeur ajoutée ? En 2023 je n’ai vraiment pas fait grand-chose parce que je voulais revenir au coeur, à la spontanéité. Quelque chose qui me nourrisse sans être trop mental, sans trop anticiper. J’ai recommencé à sortir à Genève, je me suis souvenue de qui j’étais, de toute cette scène hyper électronique et de la culture drum’n’bass… Je me suis repris une flèche dans le coeur. Parce que le style permet le croisement des genres, aussi.

 

Quelles sont les caractéristiques du shatta et du bouyon ? Et pourquoi ça fonctionne si bien avec les musiques électroniques ?

Alors, le shatta et le bouyon, pour faire simple, c’est une musique originaire des Antilles, des French West Indies, c’est des sons qui sont plus avec des sonorités caribéennes. Le shatta est un rythme assez lent qui vient de Martinique, qui ressemble à du dancehall et qui va tourner autour des 90-105 bpm. Le bouyon lui, vient plutôt de Guadeloupe et de Dominique, avec un rythme très rapide entre 140 et 160 bpm. Ça ressemble à un rythme techno, mais sur des instruments et des drums acoustiques/physiques.

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Depuis quelques temps tu es programmée dans pas mal de lieux et festivals. Tu passes chez Rinse, tu as fait Zenith avec Marc Rebillet… Fatboy Slim bientôt. Qu’est-ce que ça fait, tout ça ? Et comment se passe la relation avec le public, quand tu joues ?

Je suis très reconnaissante de toutes les choses qui m’arrivent. Ça me donne une énergie, une force, ça me nourrit. On m’a dit que quand je suis derrière les platines, j’ai une énergie communicative, j’enjaille les gens. Et je pense que si on m’appelle pour un gig, c’est parce que les gens savent qu’ils seront entre de bonnes mains.

Marc Rebillet, Fatboy Slim… Je suis hyper heureuse, ce sont des artistes inspirants que j’écoute depuis longtemps. Fatboy Slim, c’est mon enfance ! Je vais sûrement lui demander une photo, à mon avis. (NDLR : elle l’a eue, sa photo)

 

C’est qui ou quoi, tes plus grosses inspirations du moment ?

Evidemment Chase and Status, c’est des artistes qui ont réussi à rendre la Drum’n’Bass mainstream. Encore avec « Baddadan » ils ont fait un coup d’éclat magnifique ! Dans les inspis j’aime beaucoup Serum, un producteur de Londres… Y’a aussi Anais, une jeune productrice beaucoup trop forte, Charlotte Plank, Shy FX, mais aussi des anciens comme Rudimental, Benny Page ou Netsky que je kiffe toujours autant.

Et puis il y a Bou et HeDex qui me font bien délirer.

 

Quelles musiques on écoutait à la maison ? (Ta famille, tes proches…)

Mon père écoutait de la jungle, de l’acid house et ma mère de la techno, mes parents écoutent de tout et adorent la musique. Avec eux j’écoutais Moby, Faceless, Massive Attack, mais aussi beaucoup de rock (Hendrix-Led Zepp’-Black Sabbath) et de la musique funk. Mon grand frère fait du métal, avec lui j’aimais écouter par exemple Dream Theater… Mon autre frère est aussi DJ, et il est champion de Suisse de scratch ! Il mixe dans des soirées ragga-dancehall et est aussi fan de rap.

Je pense que tout ça fait partie de moi, que ça m’inspire sans que je m’en rende compte. La musique, c’est toute ma vie.

 

On retrouve de plus en plus de drum’n’bass en soirée… Et de manière générale, des productions plus nerveuses aux BPM plus élevées. Comment tu expliquerais ça, cette recrudescence ?

Je pense que la musique, c’est cyclique. Là, on arrive à la fin d’un cycle. Moi-même en tant qu’artiste, je l’ai ressenti alors les auditeurs doivent le sentir. J’ai cette envie de me libérer, de retrouver une intensité, une force et une liberté qu’on trouve dans la drum’n’bass. Ça vient de l’underground, mais je suis trop contente que ça arrive sur le devant de la scène. On a eu de la techno à fond, j’espère que c’est le tour de la DnB.

Je pense que les réseaux sociaux ont aussi aidé à diffuser le genre. Par exemple, ça a enfin percé aux Etats-Unis ! On dirait que les Américains la découvrent… Et ils pètent leur tête. Je pense qu’on n’a pas fini d’entendre parler de drum’n’bass.

 

Et les productions alors, c’est pour quand ?

Je suis en train de faire les miennes, je travaille avec un collègue de Genève que je connais depuis toujours et avec qui on allait en soirée DnB. Il produit très bien, il a le gout de la technique, on tente des blends, des mash-ups… On est en laboratoire ! Là, je travaille sur un son que j’aimerais sortir le mois prochain. Donc, assez rapidement. J’aimerais sortir des choses régulièrement.

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(en attendant ses productions, on tue le temps en écoutant, par exemple, le remix DnB de son « Foufoune » par Fisik)

Merci Mara pour l’interview

 

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