Plus de coquille. Après une longue réflexion autour de son identité hybride, le DJ et producteur français vient de délivrer l’EP qui semble être son disque le plus personnel à ce jour, The Skin Between Us Part I et II. Né d’une mère française et d’un père béninois, François X matérialise en cinq morceaux ses questionnements intimes quant à ses racines mixtes et son métissage culturel. Il y explore aussi son héritage musical, nourri par la scène dance noire américaine et les clubs techno européens. Rencontre.
Cela fait déjà plus de 15 ans que François X, le nom du CEO — Cowboy Executive Officer — du label XX LAB, s’affiche sur les programmations de nombreux festivals et soirées en France ainsi qu’à l’international. Cette année, il dévoile The Skin Between Us, un EP en deux parties à travers lesquelles il développe une profonde réflexion sur l’hybridité de ses racines et sur son héritage musical électronique entre grooves chaleureux et textures industrielles. En résumé, François X a un pied à Chicago, l’autre au Berghain. On l’a rencontré pour en savoir un peu plus sur ce disque — et, de manière intrinsèquement liée, sur lui.
The Skin Between Us parties I et II racontent une histoire : l’histoire de ton identité, de tes racines, de ton métissage culturel… Comment as-tu mûri cette réflexion ?
C’est une longue histoire qui commence quand je suis devenu un adulte un peu plus mûr. Quand tu grandis, tu prends du recul sur ton expérience de vie et tu comprends le monde qui t’entoure. On se fait nos propres points de vue, nos propres opinions… Et je me suis vraiment rendu compte de l’hybridité de mon identité. Je suis métis, mon père est originaire du Bénin et ma mère était française. Alors j’ai vraiment grandi dans un milieu très mixte, mais aussi très protégé, plutôt aisé même.
Côté musique électronique à Paris, j’ai commencé avec des personnes comme DJ Deep ou encore Laurent Garnier. Et pour ces mentors, cette culture électronique venait de personnes noires américaines entre Detroit et Chicago. Alors, indirectement, j’ai toujours baigné dans un univers qui était le mien. Malheureusement, quand j’ai commencé à partir en tournée, je me suis retrouvé dans un paysage où je ne voyais pas d’écho, j’étais souvent le seul noir, métis. C’était un paysage toujours très européen, très occidental. Ça m’a interpellé.
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Pendant le COVID, on a tous eu le temps de réfléchir : tu te comprends un peu mieux, ton identité se forge… Et arrive la mort de George Floyd aux États-Unis. Ça m’a encore plus poussé à me questionner : qui suis-je ? Je suis l’enfant de deux cultures différentes… Et à ce moment-là, les Inrocks ressortent une interview de moi par Azzedine Fall. Elle avait initialement été publiée en 2016 quand Juan Atkins avait dénoncé le classement de DJ List dans lequel il n’y avait presque aucune personne racisée. Je devais répondre à des questions autour du thème : « pourquoi la musique électronique est-elle de plus en plus blanche ? » Je répondais avec des postulats très logiques. Pourtant, les commentaires étaient lunaires : « pour qui il se prend, de toute façon c’est un bourgeois » (rires).
Oui, je jouais au tennis, j’ai fréquenté des écoles privées, j’ai fait de la finance de marchés, j’aime les belles choses, la mode, je gagne de l’argent et je vis dans le 8e. Pour beaucoup de gens, je suis un glitch dans la matrice. Comme je suis métis, on s’imagine que je suis en galère.
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The Skin Between Us, c’est très imagé comme titre, il y a l’idée d’une séparation. Qu’as-tu voulu transmettre à travers cette phrase ?
Oui, il y a du racisme dans ce monde, et je le sais depuis toujours. Mais il y a aussi une sorte de prédestination sociale. Sur mon EP Ceo (2023), il y a un morceau que j’ai appelé « The Wonderlightskin Condition », c’était le début de mon processus mental qui a amené The Skin Between Us. De toute façon, à la fin de la journée, que ce soit stigmatisant, réducteur, blessant : il y a toujours une histoire de peau. C’est le premier trait d’identité que l’on voit.
Tu as imaginé The Skin Between Us comme un diptyque, pourquoi ça ? Quelle est la progression entre les deux parties ?
J’ai fait ce disque parce que j’arrivais un peu au bout de ma réflexion autour de la peau. La partie I, c’est métaphorique bien sûr, mais ça représente mon questionnement : « on en vient toujours à cette histoire de peau ».
Et la partie II, c’est l’acceptation que la peau soit une anicroche dans nos relations sociales. Mes réflexions arrivent à maturation : qui suis-je ? Pourquoi cette peau est-elle toujours un sujet ? C’est la prise de conscience de mon ADN : désormais, je vais incarner ce que je suis, et je trace ma route.
Comment as-tu matérialisé l’hybridité de ton identité à travers ta musique, en termes de sonorités ?
Déjà, ça passe par le groove. J’ai besoin que mon groove fasse écho à toute cette culture dance noire américaine, il faut qu’il y ait des sonorités chaudes. Et en même temps, des éléments qui viennent de mon héritage européen. Je pense au son du Berghain du début des années 2000 à travers Marcel Dettmann ou encore Ben Klock. C’est très froid et industriel dans la texture.
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Je pense que c’est le mariage entre ces deux influences qui représente ma musique. Mais à la fin, dans cette partie II de l’EP, il reste quelque chose de chaud, de l’ordre de la soul. Pour moi, la musique, c’est le corps et l’esprit. Je trouve que, dans la techno européenne, il y a ce côté très intellectuel. On la qualifie d’hypnotique, de mentale… Mais ce qui est important pour moi aussi, c’est le groove, la danse. J’essaye de faire la synthèse de ces deux visions dans cet EP.
Comme l’indique le titre « No more shell », tu te livres entièrement dans les deux parties de ce nouvel EP ?
C’est un peu le morceau qui vient se placer entre les deux parties de l’EP. Dans mes disques, il y a beaucoup de titres qui servent de « self-motivation » et qui m’aident à accepter qui je suis. Ce sont aussi des messages pour moi-même.
C’est mon disque le plus personnel à ce jour. Même si j’avais déjà essayé avec Straight Edge Society (2025) — parce que oui, en plus d’être un glitch, je ne bois pas, je ne prends pas de drogue et je ne fume pas —, mais j’ai eu peur d’être moralisateur en parlant de ma propre situation. Alors « No more shell », « Plus de coquille », c’était pour me pousser à dire ce que j’avais envie sur ma propre vie. Je ne me cache plus et je ne fais pas les choses pour plaire aux gens.

Comment réussis-tu à faire passer des messages à travers la techno ?
Alors, ils sont cryptiques les messages (rires). C’est extrêmement difficile (il réfléchit en marquant une pause). Typiquement, si je prends les titres en exemple : toi, journaliste, tu vas y porter attention, mais la plupart du temps, ce n’est pas le cas.
Mais à part faire passer des messages à travers les titres, c’est dur. Je pense qu’en 2025, la techno est une musique ultra populaire. Et en même temps, elle se perd un peu dans ses codes d’origine : de subversion, de protestation, d’anticapitalisme… Aujourd’hui, à moins de faire des visuels chocs, c’est compliqué de faire passer des messages. Il faut compléter avec une certaine communication.
Ce disque, c’est aussi un hommage aux clubs que tu sillonnes depuis tant d’années, quel est le rapport que tu entretiens avec ces lieux de fête ?
Quand je fais de la musique, je m’imagine constamment la nuit, dans un petit club, seul. C’est une vision très solitaire. Et en même temps, le club représente pour moi un moment d’évasion collectif, un moment de transe — si possible sans drogue (rires) — où on abandonne son esprit à la rêverie. Je t’avoue que je ne sors plus, car je mixe beaucoup et c’est fatigant. Mais je conserve cette vision du club.
Quand on va dans un club, on se souvient quand on y allait très jeune, en bande. On partageait une communion. Je t’ai donné cette image du petit club parce que, quand j’ai commencé à sortir, j’allais aux Bains Douches, il y avait la soirée « React » tous les samedis. On était 300 jeunes et on se connaissait tous. On faisait la fête de minuit à sept heures, et après, la moitié d’entre nous se retrouvait pour manger des crêpes à Châtelet. C’est ça le club pour moi : c’est un groupe entier uni par la musique. C’est partager une émotion commune dans un instant présent. Ce qui est très utopique évidemment.
D’ailleurs, la question qui fâche, c’était mieux avant ?
Non, c’est impossible que ce soit mieux avant, et ça, depuis la nuit des temps. Le mieux avant c’est quoi ? C’est toi qui es plus jeune, plus insouciant, qui as toute la vie devant toi au sens numérique du terme. Je pense qu’un jeune qui a 16 ou 17 ans et qui va dans un club aujourd’hui vit sa meilleure vie. Ce sont ses premiers instants d’autonomie. Il est libre, le monde est à lui. Et quand tu vieillis, tu es indépendant, mais cette liberté-la, tu l’as déjà mainte et mainte fois goûtée. Donc tu sais ce que c’est. Je pense que le « mieux avant » c’est toi qui, naturellement, es nostalgique. Moi aujourd’hui j’aimerais bien avoir 18 ans et faire la fête en 2025, mais ça n’est plus possible.
Ceux qui disent que c’était mieux avant sont des rageux qui ne veulent pas admettre leur nostalgie.
Qu’est-ce que tu écoutes en dehors de la musique électronique ?
C’est marrant parce qu’avant j’écoutais beaucoup de rap, je décriais la musique électronique. Mais vers les années 2010, j’ai tellement été absorbé par la techno très intellectuelle, à la frontière de l’expérimental, que le rap était devenu une musique trop commerciale à mes yeux. Et en même temps, tout ce qui était populaire était fondamentalement mainstream, donc par essence, nul. Et donc, je me suis extrait de tout un pan de la musique, d’influences, de richesses…
Aujourd’hui, c’est tout le contraire. Je suis complètement fou de producteurs de musique pop. Je pense à Noah Goldstein sur le nouvel album de Rosalía, Mike Dean qui a fait la musique de Travis Scott, de The Weeknd à l’époque, Jack Antonoff. J’adore aussi FKA twigs, Thom Yorke, Billie Eilish… J’ai une approche complètement différente, je me suis retrouvé à être un artiste qui écoute de la musique. Je me suis aussi remis à fond dans le rap. Ça me donne une richesse et une créativité superbe : ça redistribue toutes les cartes. Si ces artistes sont au top des charts, ça n’est pas pour rien.
La techno est-elle toujours la musique du futur ?
(Sans hésitation) Nooooon. Non. Non ? Non. C’est devenu une musique parfois sectaire et tellement codifiée. Pendant le COVID, toute une nouvelle génération a débarqué et a complètement rebattu les cartes… Il y a eu des édits pop, des remixes… Et beaucoup de gens y étaient opposés et codifiaient la techno en disant : « la techno ça n’est pas ça, mais c’est ça ».
Et puis même, toute la musique populaire aujourd’hui est électronique. Je pense que la notion de futur passe par les artistes novateurs et non le style musical. En fait, pour moi, la techno est même devenue rétrofuturiste.
D’ailleurs, un certain futurisme imprègne ta direction artistique, dans ton label XX LAB surtout. Quelles sont tes références visuelles ?
XX LAB, je l’ai pensé comme une corporation privée. J’adore la science-fiction, mais je n’aime pas les étoiles. J’aime quand elle est réelle, quand elle est dystopique, quand elle est d’anticipation. Et donc, XX LAB, c’est un peu une corporation comme tu peux en retrouver dans Terminator avec « Cyberdyne Systems », dans Alien ou bien dans Blade Runner et « Tyrell Corporation »… Ce sont des entreprises futuristes qui résonnent avec notre présent, qui opèrent dans tous les secteurs d’activité et qui ont une vision très prophétique de la vie. Il y a aussi une forme d’autorité qui se met en place.
J’imagine que, dans le monde de XX LAB, les gens sont des clones et qu’il y a de grands buildings. J’avais fait un clip dans une tour de La Défense. C’était très corporate mais aussi très SF, à la frontière du cynisme. Et évidemment, j’en suis le CEO (Chief Executive Officier, ndlr).
