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© The Winstons - "Amen, Brother"
4 mars 2025

Amen Break, 6 secondes de beat qui ont changé le sampling

par Siam Catrain

Quand on parle de breakbeats légendaires, beaucoup pensent à « Funky Drummer » et à Clyde Stubblefield. Pourtant, ‘l’Amen Break’ a peut-être laissé une empreinte encore plus profonde dans l’histoire des musiques électroniques et urbaines. Ce break de batterie, capturé presque par accident en 1969, est devenu la fondation rythmique de genres entiers, du hip-hop à la drum & bass. D’après le site Who Sampled, l’Amen Break a, jusqu’aujourd’hui, été repris ou samplé 6 722 fois.

 

 

Une jam sans prétention, échantillonnée par la culture DJ

Enregistré en 1969 par The Winstons, groupe de R&B/funk, « Amen Brother » était la face B de leur single « Color Him Father », pour sa part, récompensé en 1970 d’un Grammy awards. Richard Lewis Spencer, leader du groupe, parlait lui-même d’un « morceau jetable », pondu à la va-vite, vaguement inspiré d’un groove joué par Curtis Mayfield et The Impressions. Pourtant, caché au cœur du morceau, se trouvait le break de 5.2 secondes joué par le batteur Gregory C. Coleman qui allait changer la face de notre patrimoine musical.

 

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Longtemps ignoré, l’Amen Break ressurgit à la fin des années 80. Grâce à la compilation « Ultimate Breaks & Beats » sorti en 1986, il devient un outil de choix pour les DJs de tous bords. L’échantillonneur mythique Emu SP-1200 vient de sortir et marque la démocratisation du sampling. Bidouillé, accéléré, ralenti, découpé ou recomposé, ce pattern de batterie devient une des premières matières sonores.

 

On le retrouve partout. Il se fait d’ailleurs une place de choix dans les productions hip-hop, notamment chez Salt-N-Pepa qui l’intègrent sur « I Desire » dès 1986. En quelques années, N.W.A l’élève au rang d’icône sur « Straight Outta Compton », scellant son statut de breakbeat fondateur.

De New York aux raves britanniques

Outre-Atlantique, la scène rave britannique s’empare, elle aussi, de cette boucle magique. En accélérant le break jusqu’à des tempos frénétiques, les producteurs transforment ce fragment funky en pulsation effrénée, amorçant la naissance de la jungle. Des pionniers comme Carl Cox expérimentent en superposant l’Amen Break à des lignes de basses acides et des samples hip-hop, comme sur le white label Let the Bass Kick (1990). Ce processus d’upcycling sonore — où l’on recycle et réinvente un sample — deviendra la signature de la scène breakbeat hardcore.

Amen Break : colonne vertébrale de la jungle et de la drum & bass

En 1991, le morceau fondateur « We Are i.e. » de Lennie De Ice propulse l’Amen Break au centre de la proto-jungle : son roulement syncopé fusionne avec des basses reggae et des sons de flingues, préfigurant l’esthétique rave. Ce break, comme une cellule rythmique vivante, traverse les époques et les genres : on le retrouve dans des classiques sombres comme « Set Me Free » de Noise Factory ou « Dolphin Tune » d’Aquarius.

 

Avec l’émergence de la drum & bass, l’Amen Break devient une sorte de mantra rythmique : déconstruit, découpé, ré-assemblé, filtré, il évolue vers des grooves toujours plus sophistiqués. Les producteurs comme LTJ Bukem ou Roni Size le transforment en tapis percussif liquide et jazzy, tandis que la frange IDM (Intelligent Dance Music) — menée par Squarepusher ou Luke Vibert (sous son alias Amen Andrews) — le maltraite jusqu’à l’abstraction, multipliant les traitements granulaires et les variations micro-rythmiques.

 

L’empreinte culturelle d’un break mythique et tragédie d’un homme

Aujourd’hui, l’Amen Break est bien plus qu’un simple sample. C’est un symbole graphique, dont la forme d’onde s’imprime sur des t-shirts ou se tatoue sur les avant-bras des plus grands diggers. C’est aussi un objet de fascination : certains y voient une harmonie quasi divine, une incarnation sonore du nombre d’or, cette proportion esthétique chère aux Grecs.

Si ce break a enrichi des milliers de producteurs et alimenté des hits par centaines, son créateur, Gregory Coleman, n’a jamais touché un centime. Devenu SDF, il est mort à Atlanta en 2006. Richard Spencer chanteur du groupe The Winstons et détenteur des droits, avait déclaré en 2015 avoir l’impression de s’être fait plagier et arnaquer. Cette même année, une campagne de crowdfunding lancée par des DJs britanniques lui rapportait tardivement 24.000 dollars, en guise de reconnaissance. Un hommage bien maigre face à la fortune culturelle que représente l’Amen Break.

 

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Amen éternel

Désormais, l’Amen Break pulse dans les productions de Tyler, the Creator, à la house de DJ Seinfeld, et continue d’inspirer les nouvelles générations de beatmakers. Six secondes qui traversent le temps et les styles, preuve éclatante que le break de batterie de « Amen Brother » s’inscrit au patrimoine mondial du groove.

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