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© Maximilian Schertz
4 mars 2025

Les scénographies des clubs de demain s’inventent à Berlin

par Tsugi

Les clubs berlinois sont connus pour leurs programmations, mais aussi pour leurs architectures et leurs scénographies qui en font des mondes parallèles aux identités marquées. Au diapason de pratiques en pleine mutation, des clubs, comme le TRAUMA ou le Monopol, et le duo de scénographes AUSGANG STUDIO, créent des environnements inédits, ouvrant des possibilités d’expériences nouvelles.

Par Axel Simon pour tsugi

 

Article issu du Tsugi Magazine n°176 : ‘Berlin, grandeur et décadence d’une capitale techno’

 

Si les clubs berlinois constituent aujourd’hui une référence, c’est notamment dû aux lieux dans lesquels ils se sont installés et aux identités spatiales marquées qu’ils y ont créées. C’est par exemple le cas du Berghain : l’immense centrale électrique à l’architecture de cathédrale de béton a donné une identité particulière au système sonore installé par le club, ce qui a participé à le rendre incontournable. Les grands espaces vacants, aux loyers peu élevés, ont aussi permis aux clubs berlinois de changer régulièrement leurs configurations, et d’offrir des programmations expérimentales et potentiellement contre‐culturelles, échappant ainsi à des formes de répétition et d’institutionnalisation.

 

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Aujourd’hui, la conjoncture peu favorable aux clubs à Berlin en amène certains, comme le Watergate ou le Renate, à fermer. En parallèle, une demande accrue de nouvelles expériences est exprimée par le public, particulièrement depuis le Covid. Certains lieux ont intégré ou contribué à impulser ces nouvelles envies, notamment en investissant de nouveaux endroits, et en créant des espaces et des formats de fêtes renouvelés fréquemment. Ils agissent comme des laboratoires dans lesquels sont créées des scénographies inédites, résonnant avec les architectures marquées des lieux.

 

Berlin

Concert d’ouverture avec le ténor Frederick Ballentine pour Main Body de Sally Von Rosen, présenté à Trauma en septembre 2023 | © Camille Blake

 

TRAUMA

Depuis 2018‐2019, TRAUMA, précédemment connu sous le nom de Trauma Bar und Kino, agite les nuits berlinoises avec sa programmation multifacette et expérimentale à haut risque. Les fondateurs – Troels Primdahl, Kyle Van Horn et Madalina Stanescu – sont partis du constat que les gens sont de plus en plus avides d’expériences nouvelles et d’environnements en constante évolution, et ont pensé le lieu aux frontières entre un club, une galerie d’art et un musée, dépassant les étiquettes habituellement accolées à l’un ou l’autre de ces endroits.

Mixant beaux‐arts et subculture, ils commandent des œuvres inédites, puis coorganisent avec les artistes des moments musicaux pour accompagner leurs expositions, donnant une vision plus riche de leurs univers esthétiques, et générant des moments de clubbing. En résulte la création de propositions dynamiques, souvent inattendues, qui défient toute catégorisation, offrant aux visiteurs la possibilité de s’engager dans l’art et l’expérience de club sans restrictions. Cela donne des moments déjà mythiques, comme l’exposition TRAUMA UNCLOGGED d’Anne de Vries, où le public dansait sur une installation de toilettes. Cette relation renouvelée entre le public et les artistes libère ces derniers et leur permet de jouer et d’expérimenter encore et encore, et de faire émerger de nouvelles tendances ou esthétiques.

 

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En plus d’adapter à chaque fois les espaces du lieu aux œuvres présentées, les fondateurs de TRAUMA ont eu envie de proposer chaque semaine quelque chose de nouveau et de surprendre leur public avec une configuration spatiale différente, en démolissant et reconstruisant à chaque fois des murs et des étages dans le bâtiment. Aujourd’hui, TRAUMA est en train de quitter son adresse dans Mitte pour devenir une maison de production pluridisciplinaire sans lieu fixe.

Dans les années à venir, ils veulent tester des tailles d’événements plus importantes dans des espaces plus grands, comme ils l’ont récemment fait en présentant un concert avec Eartheater et la sculptrice Anna Uddenberg à l’Art Basel de Bâle. Ils visent maintenant les endroits les plus imprévus où intervenir, pour repousser les frontières des espaces aussi bien que des expériences. De toute façon, pour Kyle Van Horn, « the weirder the better ».

 

MONOPOL
Berlin

« OF NOW » à MONOPOL par lumus Instruments, avec Boris Acket et Nadia Struiwigh | © Maximilian Schertz

Clubbing et art se mêlent aussi à Monopol, créé en 2019 dans une ancienne distillerie de 15 000 m2, qui comprend également l’ancien bâtiment de l’Administration fédérale du monopole des spiritueux, d’où le nom. Pour José Alarcón, son directeur de création, Monopol transcende la notion traditionnelle de club. L’expérience va au‐delà de la danse ; il s’agit de rencontrer l’art, le son, la lumière et l’architecture comme un champ unifié. Né de la scène underground berlinoise, Monopol est devenu un repère pour les artistes émergents désireux de repousser les limites de l’art numérique et des nouveaux médias.

Les espaces de Monopol sont pensés comme des catalyseurs où l’interaction entre le passé industriel de Berlin, s’exprimant par les vastes structures de béton, et de fer, et les futurs numériques qui commencent à peine à être appréhendés, crée des endroits particulièrement propices à l’exploration. La partie emblématique du complexe où s’exprime le mieux cette veine est le ‘Spritlager‘, qui abritait autrefois des cuves de distillation, et aujourd’hui affectueusement appelée « The Bunker« . Elle comprend trois espaces – appelés « The Sun« , « The Moon » et « The Stars » – qui ont chacun une atmosphère différente, entraînant les spectateurs dans des expériences immersives distinctes.

Des artistes locaux et internationaux sont fréquemment invités à activer ces espaces, comme l’ont récemment été David Egger, Boris Acket et Lumus Instruments. Les projets créés intègrent à chaque fois un son spatial haute définition, un éclairage dynamique et des éléments visuels synchronisés pour produire un sentiment d’émerveillement modifiant l’expérience du clubbing.


En créant un modèle de lieu – que d’autres commencent à adopter – valorisant les expériences immersives et la collaboration interdisciplinaire par rapport aux formats traditionnels des galeries, Monopol a ouvert une nouvelle manière d’envisager les clubs à Berlin et au‐delà, en montrant comment une « usine d’art » peut fonctionner comme un pont entre la technologie numérique et l’émotion humaine. Aujourd’hui, la vision de l’équipe s’étend au‐delà de Berlin, puisqu’ils ont créé un Monopol à Buenos Aires, et mettent en place des projets à Madrid, Ibiza, Los Angeles et New York.

 

AUSGANG STUDIO

Il n’est pas nécessaire de gérer un club pour en transformer radicalement les environnements et les expériences qui vivent. C’est ce qu’Ausgang – « sortie » en allemand, explore brillamment. Le duo formé à Bratislava par Alex Zelina et Radovan Dranga envahit les clubs berlinois depuis 2022 avec ses jungles de câbles illuminés, à l’OHM, à l’OXI ou à l’Anomalie. Sans oublier l’Alte Müntze, où il a inventé la scénographie d’une dark room pour une soirée Pornceptual, en créant une fontaine de lubrifiant ou en mettant des casques de VR à disposition des participants.

Venant du monde de l’art et créant des soirées techno pour leurs vernissages, il a rapidement été invité à exposer ses œuvres dans des clubs, puis à déployer ses lianes de câbles et de lumière dans tout l’espace pour changer les éclairages et l’expérience des invités.

Berlin

Installation Atem par Ausgang Studio, reproduite ensuite dans le club Oxi | © Ausgang Studio

Pour le duo, il s’agit d’éclairer les clubs de manière plus organique, amenant dans l’expérience vécue du club quelque chose de plus humain et naturel. Ausgang mêle de vraies lianes aux câbles, et essaie de reproduire des formes de plantes, ou d’un réseau de mycélium, comme si l’organisme qu’il avait créé était vivant, comme des racines artificielles montrant la vraie nature de tous les câbles cachés sous la ville, autour des clubs en béton, qui distribuent l’énergie ou l’eau. Son propos sur la nature se double d’une approche écologique de ses interventions, puisqu’il utilise majoritairement des câbles de réemploi. Il met aussi métaphoriquement en lumière une société technologique interconnectée.

Le côté potentiellement inquiétant de ses installations est assumé, puisqu’il souhaite faire subtilement prendre conscience de ce que l’omniprésence de la technologie peut avoir de dangereux. Enfin, en impulsant des mouvements de lumière répétitifs, à la manière d’une société qui peut aussi l’être, Ausgang crée une synergie efficace avec la musique techno qui l’amplifie et rend l’expérience d’autant plus intense. Un exemple parmi d’autres du vivier créateur d’expériences clubbing dans la capitale allemande, se vivant toujours comme nulle part ailleurs.

Par Axel Simon

 

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