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Gwen McRae (Cover ‘On My Way’ ablum, 1982) © Warner
24 février 2025

Gwen McCrae, reine du rare groove et du Miami Sound

par Siam Catrain

Ce 21 février s’est éteinte la reine de ce qu’on appelle rare groove, l’une des grandes voix d’un disco infusé au funk, Gwen McCrae. L’héritage de cette voix puissante et rocailleuse restera à jamais gravé dans l’histoire du Miami Sound et de TK Records. Retour sur une folle carrière et une vie bien remplie.

Née à Pensacola en Floride, Gwen McCrae est biberonnée au gospel entre The Mighty Clouds of Joy et James Cleveland. De sa fratrie de cinq, elle est la seule à se jeter dans la musique à corps perdu. Sa mère l’élève à l’église, remplissant ses journées de réunions de prière, d’études religieuses et de répétitions à la chorale. Des chants puritains de tradition pentecôtiste, elle passe vite aux chansons profanes des clubs.

Gwen McCrae est l’une des rares chanteuses à ne pas avoir utilisé le mot « love » dans ses chansons, suivant les conseils commerciaux d’un label (du moins à ses débuts). Mais la reine du rare groove a bien l’amour dans la peau. À tel point qu’après une semaine de permission, elle fait d’un marin de passage son mari : George McCrae.

Comme nombreuses consœurs de l’époque, la carrière de Gwen Mac Crae est phagocyté par l’omniprésence de son mari. De retour de son service dans la marine, George McCrae insiste pour former un duo avec Gwen.

 

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Sous le nom de George & Gwen (simple et efficace) le couple commence à se produire dans des clubs de Floride. C’est la chanteuse Betty Wright, prodige de 14 ans, qui les repère accompagnée de son producteur Willie Clarke. Sous ses conseils, Brad Shapiro assiste à leur performance au Flying Machine de Fort Lauderdale. Impressionné, ce producteur les signe pour Henry Stone sous le label Alston.

 

Gwen Mc Crae sort de l’ombre

La carrière de Gwen et George McCrae prend enfin une dimension professionnelle en 1969. Sous la coupe d’Henry Stone et de son bras droit Steve Alaimo, ils enregistrent la même année « Three Hearts In A Tangle ». Ce premier titre marque officiellement leur entrée dans la grande famille de TK Records, vaste complexe d’une dizaine de labels floridiens inauguré en 1972.

 

Clarence Reid et Willie Clarke, deux compositeurs, contribuent aux débuts du succès de Gwen McCrae en créant des instrumentaux calibrés sur la texture et la profondeur de sa voix. Quelques titres comme « No One Left To Come Home » deviennent des succès locaux et piquent la curiosité de Columbia Records.  Pour enregistrer « Lead Me On » à l’automne 1970, Henry Stone saute sur l’occasion et ‘prête’ Gwen McCrae au label. Le titre aurait pu être un succès national, mais c’était oublier le contexte de l’époque : aussi fou que ça puisse paraître, Columbia ne disposait d’aucune personne dédiée à la promotion de la musique noire. Les singles s’enchaînent pour Gwen McCrae, tandis que George rumine face à sa carrière solo au point mort.

 

En 1973, Columbia ne renouvelle pas le contrat de Gwen. Elle signe alors sur le sous-label de TK, Cat Records. Les succès affluent grâce à cette nouvelle impulsion, plus disco et dansante, avec « He Keeps Something Groovy Goin’ On » repris par Ed Townsend ou  bien « It’s Worth the Hurt ».

Le projet d’un album se concrétise alors que Gwen McCrae doit jongler entre sa carrière, ses enfants et un mari de plus en plus envieux de son palmarès. La pomme de la discorde pousse sur l’arbre de « Rock Your Baby ».

 

Succès flamboyant, succès volé, succès masqué

Comme souvent lors de querelles, plusieurs histoires grouillent autour du morceau qui fera le succès de George McCrae. Certaines rumeurs prétendent que Gwen aurait refusé la chanson ; d’autres qu’elle ne correspondait pas à sa voix. Une autre suggère qu’elle aurait demandé à Steve Alaimo de proposer un disque à son mari. Alors qu’elle écoutait des morceaux pour constituer son album, K.C. et Henry Stone entrent dans le bureau de Gwen McCrae pour lui proposer d’enregistrer un disque. Ce disque, c’est « Rock Your Baby ». Steve Alaimo saute sur l’occasion pour répondre à la faveur de Gwen McCrae, le propose finalement à George. Elle témoignera quelques années après de la phrase qu’il lui était passé par la tête à ce moment là: « Pas celui-là, espèce d’idiot ! ».

Le succès frappe enfin à la porte de Gwen dix mois plus tard avec le single « Rockin’ Chair ». S’enchaînent ensuite « 90% of Me Is You » et « All This Love That I’m Givin’ », samplé par le duo français Cassius sur « Feeling For You ». Son mariage ne résistera pas à cette ascension fulgurante dans les charts. Plus tard, elle ira jusqu’à qualifier George McCrae de simple « donneur de sperme ».

Alors qu’une nouvelle ère semble poindre pour Gwen McCrae, TK et ses labels associés font faillite. Henry Stone accuse les détracteurs de la disco d’avoir plombé ses investissements, mais la réalité est bien plus cruelle pour les artistes signés qui perdent une grande part des royalties de leurs morceaux.

Après quelques années chez Atlantic, elle sort tout de même des ultratubes comme « Keep the Fire Burning » et « Funky Sensation ». Il ne pleut pas de billets au-dessus de la tête de Gwen McCrae et elle doit bientôt se reconvertir en infirmière pour subvenir à ses besoins. Elle remontera sur scène à quelques occasions et sortira un album sur un petit label britannique, portée par le cœur fidèle de ses auditeurs.

 

Reine du rare groove éloignée des feux des projecteurs

Loin des projecteurs internationaux, McCrae n’a jamais obtenu la reconnaissance qu’elle aurait mérité, hormis auprès d’un cercle restreint d’initiés au Royaume-Uni. Victime des déboires financiers du label TK Records – fragilisé par la faillite de Stone qui entraîna la perte de ses droits – la chanteuse, à l’instar de nombreux artistes noirs du label, dénonça durant des années des rémunérations insuffisantes et une exploitation discographique défaillante.

Le Miami Sound, quant à lui, n’a jamais bénéficié du même prestige que le légendaire Motown de Detroit ou les emblématiques labels Stax et Hi de Memphis. Pourquoi cet effacement ? Sans doute parce que la figure de proue de TK, KC and the Sunshine Band, séduisait avant tout un public pop, éclipsant d’autres talents. Peut-être aussi parce que le Miami Sound* a longtemps été enfermé dans l’étiquette réductrice de « disco », genre souvent dénigré par les ‘puristes’. Même la disparition de Steve Alaimo, figure clé du label, en novembre dernier, est passée quasi inaperçue.

 

Cependant, les lignes commencent à bouger. Le label britannique Soul Jazz a récemment ravivé l’intérêt pour cette scène sous-estimée en publiant deux compilations Miami Sound, saluées par la critique. McCrae y est mise à l’honneur à travers plusieurs titres qui révèlent toute la richesse émotionnelle de son œuvre, oscillant entre douleur brute et éclats de grâce.

Lorsque l’on voit le disco est célébré l’exposition « Disco I’m Coming Out » à la Philharmonie de Paris, impossible de croire que l’héritage de la reine de la rare groove quitte un jour les playlists ou les pistes de danse : ‘Keep The Fire Burning’, finalement.

 

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