Rone, L(oo)ping à Lille
Depuis 2021, le producteur électronique français Rone déploie régulièrement son programme L(oo)ping avec des ensembles symphoniques. En octobre, il était invité par l’Orchestre national de Lille pour deux concerts triomphants. Récit de cinq jours passés dans la capitale du Nord, entre répétitions, rigolades nocturnes, shows étincelants et hugs aux fans.
Par Olivier Pernot
Article issu du Tsugi Mag n°176 : ‘Berlin, grandeur et décadence d’une capitale techno’, dispo partout
Un large sourire sur le visage, les yeux émerveillés derrière ses petites lunettes arrondies. Erwan Castex, alias Rone, affiche un étonnement perpétuel, une joie non feinte. Les 1 500 spectateurs de la salle du Nouveau Siècle applaudissent à tout rompre alors que retentissent les dernières notes du morceau ‘Bye Bye Macadam‘. Nous sommes le jeudi 24 octobre et Rone vient de donner le premier de ses deux concerts avec l’Orchestre national de Lille (ONL). Des concerts organisés avec L’Aéronef et le festival Tourcoing Jazz.
Début octobre, Rone était sur scène à Kyoto au Japon pour le spectacle Room With A View avec les danseurs de (LA)HORDE / Ballet national de Marseille. Quelques semaines auparavant, il était en mer, au large de l’île de La Réunion, pour le tournage du documentaire La Baleine et le musicien . Avant de se poser enfin chez lui, en Bretagne, le producteur vient passer plusieurs jours à Lille pour une nouvelle version de son concert L(oo)ping. Un programme dans lequel il réinterprète ses morceaux phares : ‘Bora Vocal‘, ‘Parade‘, ‘So So So‘, etc.
Arrivés dès le lundi, Rone et son équipe technique installent matériel, machines et lumières au Nouveau Siècle, la magnifique enceinte qui accueille l’Orchestre national de Lille. Mardi matin, les répétitions démarrent. Pour Rone, c’est l’occasion de retrouver les trois autres musiciens qui sont avec lui au cœur du dispositif L(oo) ping : Cubenx, Romain Allender et Dirk Brossé.

Ugo Ponte © onl
‘C’est très rassurant de les retrouver’, confesse Erwan. Chacun a un rôle bien précis dans ce projet symphonique. Cubenx, c’est le compagnon de scène. ‘C’est un vrai geek, il connaît très bien les machines, beaucoup plus que moi. J’en ai une approche plus naïve et instinctive.
Lui, il gère l’aspect technique, logistique. Il m’allège de toute cette partie pour que je m’amuse au maximum sur scène. En plus, il a une super énergie’.
Romain Allender est le deuxième compagnon de cette aventure. Assistant du compositeur Alexandre Desplat, il a travaillé avec lui sur une cinquantaine de musiques de film, dont The Grand Budapest Hotel et La Forme de l’eau, récompensées chacune par un Oscar.
Romain Allender, qui est d’origine lilloise, a également travaillé avec Keren Ann, Mika ou Benjamin Biolay. Pour Rone, il a eu un rôle d’arrangeur et d’orchestrateur en traduisant sa musique en partition symphonique.
‘La musique d’Erwan est un terrain de jeu fantastique’, livre Romain Allander. ‘Je suis fasciné par son travail, sa sensibilité et le langage qu’il emploie avec l’orchestre, complète Rone. Il y a entre nous une vraie complicité et nous pouvons discuter ensemble tout aussi bien de musique classique que de musique électronique, de détails, de sonorités, de couleurs.’
Le dernier pilier du projet est Dirk Brossé, chef d’orchestre belge à la renommée internationale.’ C’est une personnalité importante pour Romain et moi, explique Erwan. Il connaît parfaitement les partitions.‘ Passionné par la musique de Beethoven, Mahler ou Bernstein, le chef de 64 ans est aussi ouvert à beaucoup d’autres genres.
Il a d’ailleurs coordonné un projet orchestral autour de la musique d’Avicii, travaillé avec Stromae, dirigé un orchestre au méga festival Tomorrowland. Dirk Brossé ne tarit pas d’éloges sur le programme L(oo)ping : ‘J’aime beaucoup la fantaisie et l’originalité de la musique de Rone et la qualité des arrangements de Romain Allender. C’est un projet magnifique, avec beaucoup d’émotions.’
Orchestre de 85 musiciens
Depuis le lancement du projet en 2021 avec l’Orchestre national de Lyon, L(oo)ping n’a été joué qu’une dizaine de fois. À Lyon donc, puis à la Philharmonie de Paris, avec le même orchestre, à Londres et enfin à Liège au printemps 2024 avec l’Orchestre philharmonique royal de Liège. Pour ces dates, sauf celle de Londres, les orchestres ont été dirigés par Dirk Brossé.
Pour l’unique représentation dans la capitale anglaise, le chef belge n’étant pas libre, Robert Ames est appelé et il y dirige son propre ensemble, le London Contemporary Orchestra (le jeune chef a déjà travaillé avec Radiohead, Jamie xx, DJ Shadow et Justice).
À Londres, l’orchestre était dans une version réduite avec 45 musiciens. Pour les deux concerts à Lille, retour à un orchestre en grand format : 85 musiciens. ‘Même si je retrouve César (Cubenx, ndr), Romain et Dirk, et que le projet roule, ce qui peut être stressant, c’est de découvrir un nouvel orchestre.’

Ugo Ponte © onl
Évidemment, dans un ensemble avec autant de musiciens, qui interprètent plus généralement des partitions classiques, tous ne sont pas familiers de la musique électronique. Comme Yves Bauer, 62 ans, tromboniste : ‘Cette musique est une découverte pour moi. Chez moi, j’écoute plutôt Miles Davis et du jazz, James Brown, ou Radio Nostalgie et RFM dans ma voiture. Mais ça me plaît de faire ce projet avec Rone, de jouer sa musique, on entre facilement dedans.’
Cécile Vindrios, altiste de 36 ans, est plus adepte des musiques électroniques. Elle a habité à Lyon et à Berlin, fréquenté Nuits sonores ou les clubs de la capitale allemande. Fan de Paula Temple et de Marcel Dettmann, elle connaissait déjà la musique de Rone. Comme tous les musiciens de l’ONL, elle a travaillé la partition du concert plusieurs jours avant les répétitions :
‘Ma partie n’est pas trop difficile au niveau technique. Il n’y avait pas énormément de travail. Ce qui est difficile, c’est le côté répétitif de certaines parties, avec des mesures marquées. Il faut donc de l’endurance et cette partition est plus exigeante musculairement que lorsque nous jouons du Haydn ou du Mozart.’
Les deux répétitions du mardi, matin et après- midi, vont permettre à chacun de prendre ses marques. ‘L’orchestre est sérieux. Les musiciens sont investis, autant que s’ils répétaient une symphonie de Mahler’, se réjouit Dirk Brossé. Le soir, Rone et Cubenx s’offrent une escapade : ils vont dîner chez les parents de Romain Allender, qui habitent dans la périphérie de Lille. Sur le chemin du retour à leur hôtel, ils sont interpellés par un groupe de jeunes au bar La Ressourcerie.
Ce sont des musiciens de l’ONL. Cécile Vindrios raconte : ‘Erwan et César sont venus boire des verres avec nous. C’était super sympa et nous avons pu discuter de plein de choses, de musique, de l’acoustique du Nouveau Siècle.’
3 000 places vendues
Le lendemain matin, mercredi, reprise des répétitions. ‘Cette matinée-là a servi à revoir tous les morceaux, sans faire beaucoup d’arrêts comme la veille’, précise Dirk Brossé. Ce que l’on constate, c’est que les musiciens de l’ONL sont habillés comme à la ville : beaucoup sont en jeans, baskets et tee‐shirts. Pour les concerts, ce sera un dress code strict : smoking et nœud papillon noirs, chemise blanche, chaussures et chaussettes noires pour les hommes ; haut noir avec des manches longues, bas (jupe longue, robe ou pantalon) noir, chaussures et chaussettes noires pour les femmes.

Ugo Ponte © onl
L’ambiance de cette répétition est à la fois sérieuse et détendue : on sent que les musiciens, salariés à plein temps de l’orchestre, sont des professionnels. Le jeudi matin, une répétition générale est organisée. Le concert est alors joué dans son intégralité, sans arrêt, dans une salle vide. Le soir, Rone, Cubenx, les musiciens de l’ONL et le chef Dirk Brossé se retrouvent pour le premier concert devant une salle comble. Avant d’être une réussite artistique, le projet L(oo)ping à Lille est déjà un immense succès public : les 3 000 places pour les deux concerts ont été vendues en quelques jours et 1 500 personnes sont sur la liste d’attente. ‘C’est complètement fou !’, s’enthousiasme Rone.
Les concerts, jeudi et vendredi soir, laissent découvrir un show grandiose. La partition électronique se marie à merveille à la partition symphonique. Ici, pas d’empilage de violons sur des beats, mais une entente parfaite imaginée par Romain Allender. Plusieurs moments forts viennent illuminer le programme, notamment la grande variété des percussions, les interventions sensibles des six chanteuses du Jeune Chœur des Hauts‐de‐France, les envolées de cordes.
La puissance et l’intensité de l’orchestre sont parfaitement dosées par rapport aux trames électroniques. Cela donne des compositions de Rone reconnaissables mais revisitées, transformées, augmentées, densifiées. Lors de ces deux concerts à Lille, le producteur dévoile un passage inédit d’une dizaine de minutes autour de la bande‐son D’Argent et de sang. Rone et Romain Allender ont imaginé un medley de différents thèmes de la série, comme ils l’avaient déjà fait autour de la bande originale du film Les Olympiades.
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Cette nouveauté s’intègre au sein des classiques de Rone comme ‘Bora Vocal’ ou ‘Bye Bye Macadam‘, et d’autres titres majeurs, comme ‘Human‘, ‘Brest‘ ou la suite symphonique ‘Motion’. Avec un tel répertoire, les concerts de Rone avec l’Orchestre national de Lille transportent les spectateurs dans différentes ambiances (sombre, solaire, épique) et différentes émotions, avant un grand final euphorisant et étincelant. En fin de concert, Romain Allender rejoint sur scène ses trois acolytes (Rone, Cubenx et Dirk Brossé) pour des saluts souriants sous des tonnerres d’applaudissements.

Ugo Ponte © onl
Samedi midi, Rone quitte Lille pour rentrer chez lui, heureux, comblé : ‘J’étais déjà venu à Lille, mais toujours en coup de vent, juste pour jouer mon live un soir. Là, je reste cinq jours et je découvre la ville. Je me balade… et je croise des fans dans la rue. Ils sont super gentils. Ça m’arrive de faire des selfies et même de signer des autographes. Vendredi matin, je fumais une clope devant un café. Une jeune fille est venue me voir. Elle osait à peine me parler et elle s’est mise à pleurer. C’était super touchant et je lui ai fait un hug. Moi qui suis plutôt timide en plus. C’est fou comme la musique rapproche !‘ N’est‐ce pas Erwan ?
Rone à l’écran
Dernièrement, Rone a réalisé la musique du film Le Mohican, le second long-métrage de Frédéric Farrucci : ‘C’est un film qui se déroule en Corse, avec peu de paroles et peu de musique. J’ai composé seulement 15 minutes. Bien loin de ce que j’avais fait pour la série D’Argent et de sang pour laquelle j’avais réalisé huit heures de musique.’ Présenté à la Mostra de Venise en septembre 2024, le film est sur les écrans français depuis le 12 février 2025. C’est la seconde collaboration de Rone avec Frédéric Farrucci : le musicien avait fait la BO du film La Nuit venue (2019) et il avait reçu pour ce score le César de la meilleure musique originale.
Plus tard sortira sur les écrans La Baleine et le musicien, le grand projet qui occupe Erwan Castex en ce moment. Réalisé par Valentin Paoli, il s’agit d’un documentaire dans lequel Rone essaie d’établir un dialogue musical avec les baleines.
‘Nous sommes partis en mer au large de l’île de La Réunion. J’avais un petit set-up sur le bateau et j’ai joué pour les cétacés. Il s’est passé des choses incroyables ! Cette aventure m’a complètement changé. C’est comme un conte, une fable, avec, en plus, une dimension écologique.’ Dans les prochaines semaines, Rone va s’atteler à composer toute la musique de ce documentaire qui sortira bientôt au cinéma.
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