Cela se vérifie chaque année : c’est bien à l’ouest qu’un vent frais continue de souffler sur les steppes parfois nivelées du paysage électronique français. Astropolis, bastion encore et encore.
Par Mathias Riquier
Soyons francs : il a fallu se concentrer très fort pour mettre un hoodie et un coupe-vent dans notre sac à dos avant de partir pour le nord-Finistère. La France est un grille-pain géant, et comme à son habitude, Brest en est la poignée d’action, isolante, désirable, avec ses maximales dignes du Pays de Galles. Astropolis est habitué à jouer avec les vicissitudes de la météo — et on parle du festival dans son sens le plus large possible : Astropolis semble avoir le public le plus waterproof du monde. C’est en tout cas ce qu’on se dit devant le set enlevé de la Rennaise Digé M0m0, sise à Central Park, scène spacieuse et totalement intégrée à la ville, remplaçante depuis quelques années d’une scène Beau Rivage dont le panorama sur les grues du port de Brest restera dans les mémoires.
Bref, vous avez compris : il flotte correctement. L’un de nos contacts dans l’orga nous dira plus tard dans la soirée, avec un une ironie flegmatique qu’on imagine brestoise : « c’est pas comme si on se tapait le seul jour de pluie dans une fenêtre météo de zinzin ». Pensée pour eux au moment de lapper notre dernière bière au Vauban, hôtel-bar connu du tout-Brest, l’un des QGs du festival qui accueillera la closing party en son sous-sol comme tous les ans, le dimanche. Nous, on a rendez-vous avec le manoir de Keroual.
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Depuis quelques années, comme à l’image de beaucoup de festivals électroniques, Astropolis avance à deux vitesses. Celle d’une scène archi-dynamique, composée d’une myriade de cellules artistiques qui émergent de partout, et de vieux crabes qui tiennent la baraque d’une main de maître et qu’on ne peut plus vraiment programmer tous en même temps — les cachets industriels, tout ça. Bref, c’est OK de ne pas connaître la programmation par coeur avant de se pointer, et c’est plutôt une bonne nouvelle.
On entame avec Sonic Crew, collectif de l’équipe d’Astropolis, qui mène toujours bien sa barque avec un set techno n’oubliant pas d’assumer ses émotions. Pensée à Matthieu Guerre-Berthelot, co-fondateur du festival avec Gildas Rioualen, décédé il y a déjà deux ans et dont l’absence sur scène est encore palpable.

Passage à la scène Mekanik pour constater que les Bretons Gwendoline se sont forgés une fanbase archi-solide. Leur shlagwave, qui traduit cet attachement hyper-millenial à un certain type d’humour cynique et désabusé, fonctionne à 100%. « La vie c’est dur, putain » mais c’est quand même meilleur ici et maintenant.
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Après avoir commencé la préchauffe du ‘bloc hardcore’ (on rappelle que le DA de la scène Mekanik n’est autre que Manu le Malin) avec le set âpre et sans concession du Colombien Sonicore, on bascule sur le pivot de la soirée selon nous : le back to back entre Busy P et Olympe4000 sur l’Astrofloor. On le sait : Pedro Winter préfère la synthèse à la cohérence (et c’est OK) sa comparse et lui sillonnent de Daft Punk époque Homework à Carte Blanche en passant par des collisions entre Freeze Corleone et de l’acid house. On frôle parfois le mauvais goût sans jamais tomber dedans (on leur demandera le track ID de ce morceau psytrance organique la prochaine fois, on n’était pas prêt). Mais ce set possède une qualité qu’on adore en cette époque de prestations souvent monolithiques : il est généreux.

Passages à La Cour, la plus belle scène du festival — sapée ici par Studio Visu — pour le live de Hysteria Temple Foundation puis le set tech / house équilibré de Bashkka, mais visiblement, on est davantage en sucre que la faune locale, on se réfugie donc sous un chapiteau après un temps. Après avoir picoré une partie du set archi-dynamique de DJ Gigola à l’Astrofloor, on se mouille la nuque et on part constater le peak time à la Mekanik.
Manu le Malin assure son créneau accompagné de la DJ / productrice lituanienne Somniac One, dont il est archi-fan (et nous aussi). Ce b2b est clairement le sien, Manu laissant le soin à sa partenaire de finir le set sur sa période neurocore : ça tourne à 400 BPM avec des nappes glaciales derrière, les gens ne dansent plus, ils processent. Magistral. Les circuits chauffés parce qu’il vient de se passer, on privilégiera ensuite la folie breakcore / hardcore / speedcore (ajoutez votre néologisme ici) du Hongkongais Akira à la techno sur rails de Marcel Dettmann, qui fait un job admirable à délivrer exactement ce qu’on attend de lui. Petite infusion pétillante et au lit, les premières lueurs du jour se pointent. Il ne pleut plus.
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On n’aura évidemment pas eu le temps de tout voir, et on sait qu’on aime aussi Astropolis pour ses interstices — le Mix’n’Boules du samedi après-midi, les préchauffes du vendredi à La Suite, le cocon d’écoute de La Passerelle (nous, dès qu’il y a des coussins, on est content)… D’autant plus que le festival fait admirablement le job sur les sujets connexes : une navette vélo est créée depuis quelques années pour rejoindre le site du festival, qui proposait également un atelier d’auto-défense féministe dans l’après-midi du samedi.
Et si la plupart des events du paysage français ont pris le pli en assurant un travail d’inclusivité et de prévention des violences dans leur éxécution, rares sont les structures qui en font un statement aussi fort : dès l’entrée du site de Keroual, une énorme structure métallique placarde la charte éthique du festival comme un étendard, et ça vaut pour absolument tous les sites sur lequel Astropolis prend place. Merci pour ça.
Meilleur moment : le travail visuel de Dylan Cote sur la scène Mekanik. Première fois qu’on voit du mapping laser synchronisé avec les couches visuelles de la production vidéo.
Pire moment : le pied droit dans un déjection humaine vers 00h42.
Par Mathias Riquier