Brutalismus 3000, déferlante berlinoise toujours en avance
À l’instar du mouvement architectural homonyme, le duo Brutalismus 3000 parait tout droit sorti d’un univers dystopique, et pourtant en avance sur son temps. Ces Berlinois basés à Neukölln se présentent sur la scène techno comme une anomalie, proposant une nouvelle image du genre, aux composantes multiples : gabber aux textes féministes, esprit résolument punk, teinté de psytrance, le tout dans une atmosphère trouble digne d’un film de David Cronenberg.
Par Vadim Ballot
B3000 détonne dans le paysage, force le débat et réalise des chiffres d’écoutes et de vues qui font hausser les sourcils. On s’est penché sur ce groupe venu mettre un grand coup de pied dans la fourmilière de la scène électronique.
Brutalismus 3000 se forme en 2019 avec Théo Zeitner et Victoria Vassili Daldas, soit juste avant le cataclysme culturel que représente la crise du Covid19. Zeitner compose et joue tandis que Daldas écrit et chante. Alors que l’avenir de tout le secteur devient particulièrement incertain, le duo sort un premier single en avril 2020 : « Horíme », “nous brûlons” en slovaque, suivi d’un premier EP intitulé Amore Hardcore. B3000 témoigne alors pour la seconde fois -eux qui se sont rencontrés lors d’un rendez-vous Tinder, de la surpuissance des réseaux sociaux- faute de pouvoir se produire en live.
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À la sortie du confinement et à la réouverture des clubs, ils bénéficient déjà d’une bonne base de fans, le résultat d’une forte représentation sur les réseaux associé à un regain global d’intérêt pour le gabber. Ils cumulent surtout deux EP et plusieurs singles, dont certains titres comme « Romantika » ou « Satan was a Babyboomer » rencontrent un franc succès et contribuent à placer fièrement B3000 sur le devant de la scène.
Suivra alors une première Boiler Room fin 2021, visionnée plus de 6 millions de fois, un troisième EP en 2022, et enfin leur premier album Ultrakunst en avril 2023 qui finira de parachever leur statut de phénomène musical, culturel et esthétique. Aujourd’hui, Brutalismus 3000 représente plusieurs centaines de millions de vues et de streams et ont sorti le 19 juillet dernier leur quatrième EP Goodbye Salò.
Avec un cocktail que le duo identifie comme ‘nu gabber post techno punk’, Brutalismus 3000 n’hésite pas appuyer là où ça fait mal et à briser quelques codes. N’en déplaise aux puristes. Le tout sur une bonne moyenne de 160 bpm : rapide, efficace, sans restriction d’adrénaline, à la manière d’une autoroute allemande. On y reconnait des influences pleinement assumées de DAF de la nouvelle vague allemande, d’électroclash, d’euro trance et même de bloghouse des années 2000.
Mais cette fois-ci il n’est pas question de nous dire : « we – are – your friends – so you’re – never gonna be alone again », inutile d’en rappeler les auteurs (l’air résonne déjà en tête). Il s’agit plutôt de proposer des paroles engagées, politiques, féministes, avec des titres qui parlent d’eux même comme « No Sex with Cops« , « Satan was a babyboomer » ou « Die Umwelt Macht Bum » (« l’environnement fait boum » en allemand).
Des paroles controversées, provocatrices, parfois chargées sexuellement mais pas seulement, à contre-courant de ce dont on peut avoir l’habitude concernant le gabber. Daldas aborde des sujets d’actualité, d’une manière presque démoniaque et sans lésiner sur le cynisme, comme dans le morceau ‘Safe Space‘, faisant référence au concept de zones neutres, inclusives et sécuritaires dans le monde de la nuit, un titre dans lequel Daldas dénonce une réalité tout autre, en criant qu’elle a toujours des couteaux sur elle, ou encore dans le morceau ‘Good Girl’ dans lequel elle décrit, non sans ironie, comment les femmes devraient se comporter.
Il y est aussi souvent question de Berlin, berceau du duo, pour laquelle on décèle une espèce d’amour toxique, pour ce que la ville représente, cette perpétuelle révolution, souvent à l’avant-garde autant sur le plan culturel que de celui des idées, qui trop souvent se contredit. Des textes qui savent toucher un public plus que concerné par ces sujets de société, à savoir la génération de la crise climatique, des questions de genre, de la lutte pour l’égalité femme-homme : la génération Z.
Des paroles que Daldas scande dans un mélange d’allemand, d’anglais et de slovaque avec la nonchalance d’un Crystal Castles. Et toute la rage et la hargne nécessaire, bien caractéristique de cet aspect punk, voire post punk, au moins sur le principe. Surtout quand il est question de remettre en cause le symbole même qu’est la techno, qui tout comme le rock à l’époque, évolue en raison de son succès – en Europe du moins – de critique de la culture de masse à culture de masse.
Car au-delà de sa musique, Brutalismus 3000 participe à un tournant culturel et esthétique, rejetant un certain aspect de la culture techno pour proposer quelque chose de nouveau, difficilement classable, avec cette volonté claire d’abolir une austérité, monotone et un peu attentiste, pour porter haut et fort un message révolutionnaire. Si la techno était une religion, B3000 prêcherait volontiers que ‘Dieu est mort’ (ou ‘Gott is tot’, pour citer Nietzsche en VO).
En tout cas en ce qui concerne celle qui se contente, avec un certain rigorisme ; de ne rien changer, de garder un ésotérisme qui n’a plus beaucoup de sens au vu de son succès, celle qui veut qu’on s’habille tout en noir, qu’on fasse la gueule en attendant pendant 4h devant le club pour qu’un videur nous refuse surement l’accès… Ce qui est -il faut le reconnaitre- un sacré paradigme pour ce que certains prônent comme étant encore et toujours une révolution.
Pour autant, tout comme le punk-rock a pris du rock, B3000 a indéniablement récupéré beaucoup de la techno. Car même s’ils ne souhaitent pas clairement s’approprier cette étiquette -en tout cas pas en premier lieu- ils n’ont pas de mal à se jeter sur un solide kick ‘four-to-the-floor’ avec suffisamment de reverb pour ressentir cette soudaine impression de vide dans la poitrine. Goodbye Salò, dernier EP en date, ne déroge pas à la règle, ni à l’absence de frontières, puisqu’on y dénote de multiples genres entremêlés.
On comprend mieux en écoutant pourquoi Brutalismus 3000 fonctionne si bien : dès le départ, que l’on aime ou pas, on ne peut pas s’empêcher de se demander ce que les 30 prochaines secondes nous réservent. Et sans s’en rendre vraiment compte, on se retrouve rapidement à plonger dans leur univers, dystopique et en avance sur son temps.
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