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© Capture YouTube de la chaine BoneyM.es - "BONEY M. – Frank Farian (www.BoneyM.es®)"
12 décembre 2023

Frank Farian, le producteur pas vu pas pris

par Sasha Abgral

Presque autant de carrières créées que brisées. C’est à Frank Farian, majeur producteur allemand des années 70 et 80, que l’on doit des morceaux comme « Daddy Cool » et « Sunny », de Boney M., ou « Girl You Know It’s True » des Milli Vanilli. Tout le monde connait au moins l’un des deux, moins sont ceux qui en ont vu les vrais interprètes. Et oui : derrière les succès internationaux, les concerts et les clips… Aucun des membres officiels de ces deux groupes ne chantait.

850 millions de disques vendus en une seule vie, et une totale main-mise sur bien des destins. C’est le palmarès d’un homme, Frank Farian, considéré comme une des plus grands marionnettistes de la musique. Sous ses airs de sosie non-officiel de Paul McCartney, l’homme Allemand est un redoutable producteur. Il est à l’origine du succès de Boney M. et de Milli Vanilli, deux groupes à succès de la fin du siècle dernier. Étonnant : ils n’ont jamais ni enregistré, ni chanté avec leurs vraies voix.

 

Boney M., pilier disco

La création du premier groupe, l’un des plus importants du genre disco d’un point de vue commercial, commence en solo en 1974 lorsque Frank Farian, artiste souhaitant connaitre le succès, enregistre « Baby Do You Wanna Bump ». Sorti sous un pseudo, Boney M., il fait son petit carton. Cependant l’homme se rend vite compte que son personnage n’est pas vendeur. Plutôt du genre physique de comptable que de jeune prodige, Farian décide de monter le groupe qui incarnera cette appellation.

 

Constituée de Maizie Williams, Marcia Barrett, Liz Mitchell et Bobby Farrell en tant que visages de Boney M., la machine se lance et un premier album Take the Heat Off Me sort en 1976. Leur singularité réside dans le fait que, bien que Bobby Farrell soit le chanteur officiel, c’est le fameux Farian qui se trouve derrière le micro. Mitchell fait les voix lead, et Barrett les choeurs. Les critiques sont mitigées, mais l’album se propulse grâce aux représentations télé du groupe notamment avec le single phare « Daddy Cool » : le carton européen place l’album premier en Suède et en Finlande.

Autre titre immanquable : « Ma Baker », tiré de deuxième album de Boney M. Love for Sale en 1977. Ce disque va avec les premières tournées du groupe, qui se traduisent par des shows où Farrell, supposé chanteur, impressionne surtout grâce à ses talents de danseur. Le reste n’est que du pur playback. Le grand « Rasputin » apparait sur le troisième album du groupe (le plus vendu depuis) : Nightflight to Venus (1978). La décennie qui suit, plus calme, verra déjà la fin du groupe, juste après la sortie de Boonoonoonoos en 81. Le groupe est déjà un pilier, alors pourquoi ? Parce que Farrell n’est pas fiable et se fait virer à cause de différents avec son producteur. Tout simplement. Alors, le groupe continue quelque temps sans son « leader », alors remplacé par Reggie Tsiboe, et s’écroule. Mais le fait est qu’avec Boney M., Frank Farian avait déjà conquis l’Europe, voire le monde.

 

Milli Vanilli, un mort, un blessé

Il confirme ça dix ans plus tard, comme le méchant d’une mauvaise suite de film. Frank Farian est au coeur d’un plus gros scandale, à l’origine peut être de la pire fraude de l’histoire de la musique. C’est en voyant en studio le duo Empire Bizarre a l’idée de pousser le bouchon encore plus loin qu’avec Boney M. Frank Farian prend sous son aile le parisien Fabrice « Fab » Morvan, et le munichois Robert « Rob » Pilatus, deux passionnés de danse et de musique, liés par une envie folle de devenir des superstars. Les sujets de cette expérience : Fabrice « Fab » Morvan de Paris, et Robert « Rob » Pilatus de Munich, deux passionnés de danse et de musique. Ils se trouvent mutuellement au sein de cette même ville en 87, liés par cette envie folle de devenir des superstars.

Frank Farian tombe sur eux, et les prend sous son aile pour leur belle gueule la même année. Rob et Fab, assoiffés de succès, ne voient aucun inconvénient à l’idée de Farian qui les réduit au seul rôle de belles gueules, de chanteurs en playback et de danseurs sous l’appellation de Milli Vanilli. Farian, qui produit et compose, les remplace au chant par les pointures John Davis, Charles Shaw et Brad Howell. Le producteur, cette fois-ci, produit et écrit.

 

Surprise, cette invention particulière remporte d’entrée un grand succès. Le premier, « Girl You Know It’s True » (notez l’ironie du titre), explose en 1988 et atteint la 2ème place des charts en France et aux États-Unis. En quelques semaines seulement, Rob et Fab deviennent des stars internationales. Ce, malgré une épée de Damoclès dont il n’ont pas encore conscience, et qui pend au-dessus de leur tête : ils doivent mentir, faire semblant. La supercherie marche, les succès s’enchainent : « Baby Don’t Forget My Number« , « Blame It on the Rain » et « Girl I’m Gonna Miss You », les autres singles, montent à la première place des charts dès leur sortie aux États-Unis. Ces titres feront partie de leur premier et seul album Girl You Know It’s True en 89 (un album d’un autre nom, All or Nothing, sort l’année d’avant uniquement en Europe, mais possède sensiblement la même tracklist). Bien sûr, ni Rob, ni Fab ne chantent.

 

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Encore un succès : la version américaine de l’album reste sept semaines en tête du Billboard 200. Au sommet, les deux imposteurs commencent fermement à croire au rôle que Frank Farian leur a donné seulement un an plus tôt. Humblement, Pilatus confiera même au New York Times avoir pensé être « plus talentueux que tous les Bob Dylan, Paul McCartney. Je suis le nouveau rock-and-roll moderne. Je suis le nouveau Elvis« . Pas surprenant, pour des figures qui remplissent des salles et font le tour du monde. Ils remportent ensuite un Grammy pour meilleur nouvel artiste (oui), se font avoir un an après à cause d’un bug de leur playback lors d’une représentation (oui). Malchance, leur bande d’enregistrement a buggé, répétant « Girl you know it’s, Girl you know it’s, Girl you know it’s » en boucle lors d’un show MTV en 1990. Ils se font cramer aux yeux du monde…

 

Farian avoue en conférence de presse en 1990, menant à un retour du Grammy à l’institution (première dans l’Histoire), ainsi qu’à une vingtaine de procès pour fraude. Le 2 avril 1998, huit ans après la révélation du scandale, Rob Pilatus est retrouvé mort dans un hôtel près de Francfort, à 33 ans. Selon les autorités, il s’agirait d’une overdose accidentelle d’alcool et de drogues. Fab Morvan, lui, a continué la musique sans jamais atteindre le succès de son duo, et a récemment sorti un documentaire à propos de Milli Vanilli sur Paramount+.

Quarante-neuf ans après les débuts de Boney M., et trente-six après ceux de Milli Vanilli, il est étonnant de voir comment est considéré « l’oeuvre » de Farian. D’un côté on attribue des louanges pour son rôle dans Boney M.. De l’autre, on le voue aux gémonies pour sa supercherie Milli Vanilli, notamment en raison de la mort de Pilatus dont certains n’hésitent à le tenir pour responsable. Effectivement, au-delà de la supercherie, la mort de Pilatus lui est souvent attribuée dans les commentaires à propos de Milli Vanilli. À chacun de juger, mais force est de constater l’influence qu’il pouvait avoir sur la carrière de tous ceux qui ont travaillé pour lui. Mis en lumière physiquement, cachés artistiquement. Le fin des deux groupes ne sera pas une fatalité pour lui. Cela ne l’a pas empêché de poursuivre sa carrière de producteur via des collaborations avec La Bouche et Le Click notamment, au milieu des années 90.

Dans les années 2000, Frank Farian s’est fait plus discret. Aujourd’hui il profite toujours, du haut des 80 ans passés, de royalties considérables directement venus de ses différents projets à succès. On l’a plus récemment vu discuter d’une reprise d’activité avec le trio allemand No Mercy en 2022, et reprendre « Cherish » de Kool & The Gang avec sa fille Yanina, en 2021. Infatigable, décidément.

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