Ginger Root, Malik Djoudi, Juniore… Les projets de la semaine
On espérait très fort que l’été indien pointe le bout de son nez et visiblement, nos incantations n’ont pas abouti. À défaut de subir le froid et le mauvais temps, on se console avec les très belles galettes sorties cette semaine. Au programme : Juniore, ascendant vierge, Suki Waterhouse, Malik Djoudi, Ginger Root, Floating Points, Nilüfer Yanya et LSDXOXO.
Juniore – Trois, deux, un
Sans trop s’avancer, on n’imagine que la recherche du titre de cet album, successeur de Un, deux, trois sorti il y a quatre ans, n’a pas mobilisé trop de temps et d’énergie. Une forme de paresse, tant ce nouveau disque, le troisième de Juniore, reste dans une même ligne que le second, qui était déjà très proche du premier. À quoi bon changer ? Le groupe français, révélé par Ouh là là en 2017, est sur un créneau peu fréquenté, voire inédit, mélangeant chanson française, surf music et rock psyché 60s, revisitant le style yé-yé avec cool et élégance.
Alors qu’elle est décédée il y a quelques mois, difficile de trouver meilleures héritières de Françoise Hardy que ces trois filles portant en partie la frange et fascinées par les sixties. ‘Comme une impression de déjà-vu’, chante Anna Jean sur l’un des morceaux du disque, pas forcément pour le décrire, mais on ne pourra-t-on ajouter ? Peut-être parce qu’il arrive qu’en se répétant, en creusant un même sillon, on progresse. Il y a de ça sur cet album. Le son semble plus clair, les détails un peu plus soignés. Et puis voilà, c’est un disque agréable et bien fichu, et il n’y a finalement pas grand-chose d’autre à dire.
par Gérome Darmendrail, issu du Tsugi 173
ascendant vierge – Le Plus Grand Spectacle De La Terre
Un titre aussi aguicheur ne laisse jamais insensible, au risque parfois (souvent) de décevoir. Ici c’est tout le contraire. ‘Lotus Noir’ et ses accents egotrip jouissifs nous avait déjà convaincu du grand potentiel de l’album. Ce sept-titre maîtrisé de bout en bout nous comble et confirme l’ascension astrale d’ascendant vierge.
On pourrait vous parler des puissantes prods agrémentées de lampées de new wave et de transe, des textes bruts remplis de contrastes et d’une mélancolie sourde, de la voix de Mathilde Fernandez toujours aussi envoutante. Mais ce qui est à retenir de cette pépite, c’est l’osmose parfaite que forme les deux identités artistiques de ce duo.
Suki Waterhouse – Memoir of a Sparklemuffin
Sparklemuffin ? De vous à nous, on avait machinalement traduit et pensé à un muffin brillant, mais quelle erreur… Suki Waterhouse fait directement référence dans le titre de son dernier album à une araignée cannibale vivant en Australie (hasard de dingue). En effet, les femelles mangent les mâles si leur parade ne leur convient pas. Charmant vous me direz. Une drôle de métaphore pour évoquer le cheminement de la Britannique, passée par le mannequinat et le cinéma avant de s’investir pleinement dans la musique.
Depuis la sortie de l’enivrant ‘Good Looking’ en 2017 puis de I Can’t Let Go en 2022, la chanteuse nous a habitués à des récits intimes sans compromis. Formule renouvelée pour ce second album et plus que validée aux sonorités indie-pop et americana. Cet été, on n’avait fait qu’une miette de ‘Blackout Drunk’, titre relatant, non sans humour, une amourette (sacrément) délétère. Les mélodies glissent tel du velour sur une guitare acoustique et des basses scintillantes. D’une sincérité parfois troublante, Suki Waterhouse raconte les déboires amoureux par lesquels elle est passée avant d’être mieux entourée. Cet album est une ballade dont on ne lasse pas.
Malik Djoudi – Vivant ginger Ginger
“Pourquoi tous les jours ne sont pas vendredi ?” se questionne Malik Djoudi. Eh bien, on se pose la même question chaque semaine, surtout quand on découvre un nouvel album aussi pur et cajoleur que le sien. Une voix bourrée de sensibilité, qui perce à jour les âmes avec des phrases simples et efficaces. Pas de filtre par ici : Malik joue la carte de la sincérité en se montrant Vivant avec ce quatrième volet qui sonne comme un regain d’énergie.
Après avoir fait le point sur les grandes lignes de son existence, il revient vers nous avec des tracks remplies de maturité, tel un guide pour marcher dans ses pas repentis. Coup de cœur pour ‘Messes Basses’, un morceau telle une promesse d’amour rassurante dotée d’une sensualité fine, propre à l’auteur. Exquis.
Ginger Root – SHINBANGUMI
Il y a quelques semaines de cela, nous évoquions déjà le nom de Ginger Root (alias Cameron Lew) pour la sortie de son single ‘Only You’. Le multi-instrumentiste, producteur et auteur-compositeur californien vient de pondre un douze titres qui ressemble à un petit monde construit de toutes pièces (comme sur la pochette finalement). Les structures sont carrées et pointilleuses, diffusant une certaine naïveté amenée par des rythmiques chaleureuses.
On aime le côté synth-pop, alt-disco, boogie and soul et sa voix étouffée, comme prononcée dans le creux d’un vieux téléphone. Sans oublier la rondeur des lignes de basses rappelant les univers millimétrés de Vulfpeck et Unknown Mortal Orchestra. Mention spéciale à l’interlude ‘All Night’ qui plonge dans la sphère d’un animé, mais sans les images (à vous de les imaginer !).
Floating Points – Cascade
Originaire de Manchester, Floating Points revient trois ans après Promises, disque remarquable et ambitieux réalisé en compagnie de Pharoah Sanders et l’Orchestre symphonique de Londres. Sur Cascade, il renoue avec ses racines, en particulier avec celles de son adolescence. Quelques intitulés le soulignent : ‘Key103’ nom d’une radio locale qu’il écoutait religieusement, ‘Ablaze’, un fanzine qu’il avait l’habitude de lire et ‘Afflecks Palace’ marché couvert du Manchester de la période Madchester.
Des références à une époque où, selon ses mots, il découvrit l’ampleur de la musique électronique. Ce dernier album n’est d’ailleurs pas un tant un disque nostalgique, replongeant une énième fois dans le son rave des années 1990, qu’une galette électronique puissante. Sûrement son volet le plus dancefloor, faisant écho aux premiers émois ressentis par un ado, écoutant de la techno : un sentiment d’évasion, d’exaltation, qui nous échappe et vers lequel on cherche sans cesse à revenir.
par Gérome Darmendrail, issu du Tsugi 173
Nilüfer Yanya – My Method Actor
Le retour ou le futur du rock, peut-être pas, mais au moins une forme de renouveau. C’était à peu près le sentiment qui prévalait deux ans plus tôt, au moment de la sortie de Painless, deuxième album de Nilüfer Yanya mélangeant avec brio guitares saturées, mélodies pop et rythmiques R&B, dans une sorte de style néo-grunge à la sauce UK, en PJ Harvey des temps modernes. Une combinaison qu’on aurait pu penser retrouver sur son nouvel album. Les deux premiers singles ‘Like I Say (I Runaway)’ et ‘Method Actor’, étaient en tout cas dans cette veine.
On ne s’en serait pas plaint, mais ces singles étaient presque un leurre au regard du reste d’un disque qui, s’il n’est pas dépourvu de guitares et d’une toile de fond grungy/rock indé, est finalement plus souvent traversé de nappes de cordes que de riffs lourds et saturés. Pour l’enregistrer, la chanteuse anglaise s’est isolée dans une bulle avec le fidèle Wilma Archer, producteur qui avait déjà façonné son précédent album. Des conditions qui ont sans doute contribué à donner une coloration plus douce à sa musique.
De même que la thématique du disque : l’introspection. Au moment de s’attaquer à l’album, Nilüfer s’est intéressé à la Méthode, technique de jeu initiée par le dramaturge russe Constantin Stanislavski au début du siècle dernier, reprise ensuite par l’Actors Studio, qui invite les acteurs à puiser dans leur mémoire affective, à se référer à un moment clé de leur vie, pour incarner un rôle.
Elle y a vu un parallèle avec son métier de musicienne, lorsqu’elle essaie de de retrouver sur scène l’émotion qu’elle a eu en composant les morceaux et ce qu’il l’a amenée à se poser quelques questions existentielles : “Qui sommes-nous ? Pourquoi suivons-nous la voie que nous suivons ? Qu’est-ce qui est au cœur de tout ça ?”. Bref, un album un peu prise de tête sur le papier, mais bonheur, pas à l’écoute.
par Gérome Darmendrail, issu du Tsugi 173
LSDXOXO – Dogma
Il est assez fascinant d’écouter un album qui pourrait symboliser entièrement les grandes tendances sonores de son époque, dans ce qu’elles ont de plus enivrant, mais aussi plus balourd. Rien que pour cela, Dogma, premier album du phénomène LSDXOXO, s’écoute et se réécoute. Parce qu’il est un disque témoin et finalement, un bel album.
Le musicien de 33 ans installé à Berlin passe à la vitesse supérieure dans son destin visiblement tout tracé, celui de devenir une icône, n’oubliant pas ce qu’il faut, musicalement pour y parvenir : la house ralentie qui privilégie la lourdeur, le R&B compensant le manque de génie mélodique par une production complexifiée, la pop sensible à l’extrême… LSDXOXO sait sacrément bien produire et ça s’entend.
Mais ce Dogma a tendance à se perdre dans le miroir, à être prisonnier de l’intention artistique du projet musical que son auteur met actuellement en place. Celle-ci est faite d’innovation, c’est vrai et plusieurs morceaux, bien que courts, déploient une inventivité bienvenue. Mais comme le demandait Pierre Schaeffer, en substance, un artiste en quête d’invention a-t-il encore quelque chose à exprimer ? Bonne question.
écrit par Brice Miclet, issu du Tsugi 173