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© Léa Crétal
19 mars 2024

Rencontre avec Blaise, boss du disquaire Syncrophone | INTERVIEW

par Léa Crétal

Quiconque a déjà passé une tête chez Syncrophone n’a pu passer à côté de son patron, Blaise. Depuis près de vingt ans, le DJ et disquaire passionné au grand cœur remplit les bacs et prodigue conseils et recommandations aux collectionneurs passionnés et amateurs de musiques électroniques, soul, jazz, hip-hop… On a échangé avec lui.

Implanté depuis plus de quinze ans dans le quartier Bastille à Paris, Syncrophone s’est imposé comme l’un des disquaires de musiques électroniques les plus renommés de la capitale. Aux commandes du shop : Blaise, membre du cercle étroit des pointures de la musique de Détroit et Chicago. Partageant généreusement ses connaissances aux musiciens et collectionneurs, Blaise garnit ses bacs de vinyles voués à perdurer dans le temps. Rencontre avec ce disquaire emblématique de la capitale.

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Quel a été ton point d’entrée avec la musique électronique ? Est-ce qu’il y a eu un morceau, un album ou un disque révélateur ?

J’ai découvert ça quand j’étais gamin, grâce aux radios. À l’époque, elles diffusaient de la bonne musique. Il y avait pas mal de tubes de house qui passaient sur les ondes FM, comme ‘Good Life‘ et ‘Big Fun‘ de Inner City (produit par Kevin Saunderson), mais aussi ‘The Party‘ de Kraze et ‘Promise Land‘ de Joe Smooth. Sur Skyrock tu découvrais beaucoup de choses de New York, que ça soit de la musique électronique, ou même des titres de disco-funk. Il y avait une émission qui s’appelait Skydance. Le jingle, ça faisait « This is Skydance, the sound of New York ». Les radios faisaient un vrai boulot. Mais j’ai vraiment découvert la musique électronique à ma majorité, quand j’ai commencé à sortir en club. J’ai commencé à fréquenter le Memories, à Porte-Maillot, puis j’ai beaucoup été au Rex, aux soirées de Garnier le jeudi, et aux soirées techno Automatik du vendredi. J’ai pas mal traîné au Boy également, qui était situé rue Havre-Caumartin. Et puis mon beau-père était DJ, c’était son métier. Il jouait principalement du jazz, de la funk, de la disco… C’est pour ça qu’avant ma majorité, j’étais surtout influencé par la musique noireJ’écoutais beaucoup de hip-hop aussi.

 

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Tu t’es tellement passionné pour ces musiques que tu es devenu DJ et disquaire, et t’as implanté ton magasin ici, à la fin des années 2000.

Ouais, mais Syncrophone est d’abord né avec la partie label. C’était un label avant de devenir un disquaire. En fait, quand on a commencé, John (Sill), Didier (Allyne) et moi, Synchrophone n’existait pas. On avait des bureaux rue du Commandant Lamy, on faisait partie de Cyberproduction. Quelques années après, on a ouvert le shop, rue du Commandant Lamy aussi. Après, on a transféré tout ça ici, en restant à Bastille. Ce quartier a toujours été le pôle de la musique électronique. A l’époque, il y avait près d’une dizaine de magasin consacrées aux musiques électronique : Techno Import, BPM Records, Bastille Vinyle, Rough Trade, Vibe Station…

 

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Désormais ça fait plus de 20 ans que tu travailles ici et que tu prodigues conseils et recommandations aux acheteurs. Comment ta clientèle a-t-elle évolué depuis tout ce temps ?

J’ai beaucoup moins de clientèle habituée qu’avant. Il en reste, mais beaucoup moins. Il y a encore quelques années, j’avais vraiment des tonnes de fidèles.

 

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Tu y vois une explication ?

Déjà, des gens ont vieilli, ils ont 50 balais comme moi, et ils sont passés à autre chose. Quand tu as des enfants, acheter des vinyles, c’est plus la priorité.  Et puis, le vinyle aujourd’hui, c’est pas donné. Si tu prends une nouveauté, c’est autour de 15-20 euros parfois, pour des imports américains et anglais. C’est quand même un sacré coût. J’ai connu l’époque où on vendait les disques à 8-9 euros. Aujourd’hui, tu n’as rien en dessous de 13, 14 euros.


Malgré leur prix élevé, les gens se remettent quand même à acheter en physique depuis quelques années. Qu’est-ce qui s’écoule le plus ici ? 

Beaucoup de gens se rabattent sur nos secondes mains et niveau nouveauté, c’est plus difficile. Sinon, on a toujours été influencés par tout ce qui vient de Detroit et Chicago. Donc, on propose beaucoup de sons dans ces styles. En techno, on est influencés par celle de Détroit et la techno allemande. Mais on est aussi dans le moderne, hein! Quand il y a des bons artistes, des super productions, je suis pas fermé à la techno. Au contraire, j’adore. Mais il faut qu’elle reste de qualité, qu’elle soit musicale… qu’elle groove. On a quand même aussi greffé de la progressive, parce qu’il y a pas mal de jeunes qui aiment bien ça. Après, il y a le retour de l’électro-house aussi. Ce qui n’est pas forcément une bonne chose mais en ce moment, ça marche très fort. Ça ne veut pas dire qu’on vend tout ce qui cartonne : la techno, un peu ‘pouet-pouet’ avec de l’Eurodance dedans… Nous, on ne fait pas. À côté de ça, on propose aussi des rééditions d’albums de jazz, de soul ou encore de hip-hop. Ça se vend très bien, notamment aux clients qui ne recherchent pas forcément de musique électronique, qui représentent 30% de notre clientèle environ.

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Justement en parlant de tendances musicales actuelles, j’ai lu un article de Thibaut Cessieux sur Phonograph Corp, intitulé « Paris n’écoute plus de House ». Es-tu d’accord avec ce constat ?

Ah oui, oui, je suis d’accord.

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Est-ce que ça a une incidence sur tes ventes ?

Non pas vraiment.  J’ai beaucoup de passionnés qui viennent ici, des gens qui veulent des disques qui durent dans le temps, qui ne cherchent pas des trucs à jouer. Des DJs j’en ai, mais c’est pas la majorité. Il faut savoir une chose : c’est pas forcément les DJs qui nous font vivre depuis un paquet d’années, mais les collectionneurs.

 

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Tu es un -très- fin connaisseur de la scène locale et internationale. Est-ce qu’il y a encore des sorties qui arrivent à te surprendre aujourd’hui ?

Ah ouais! Ça m’arrive encore plein de fois. Je trouve même que la prod’ en générale est bonne, actuellement. Après, malheureusement, ce n’est pas toujours ce qui vend le plus. Mais personnellement, je suis influencé par la scène de Chicago et il y a un artiste que j’aime beaucoup, c’est Byron The Aquarius, par exemple. J’aime bien aussi ce que fait le label NDATL Muzik, le label de Kai Alce. Sinon, en bonne techno qui tape un peu, il y a un label que j’aime bien, c’est Repetitive Rhythm Research.


L’année dernière, le record shop new-yorkais A-One a ouvert une antenne parisienne. Tu vois ça d’un bon oeil ? 

Ce qui est dramatique, c’est quand il n’y a plus de magasins. Les ouvertures, il faut voir ça d’un bon oeil, pas d’un mauvais oeil. C’est bon signe, cela veut dire que le marché se porte à peu près correctement. Ça met une bonne dynamique.

 

Selon toi, qu’est-ce qui fait un bon disquaire ?

D’abord, il faut avoir de la culture. C’est super important. Savoir se diversifier aussi. Il faut essayer de vendre plusieurs styles, mais toujours avec de la musique de qualité. Ensuite je crois qu’il faut raconter une histoire, essayer d’entraîner les gens, de leur transmettre ta passion. Avoir des disques avec du vécu et inculquer aux gens certaines valeurs musicales, parce que c’est vrai qu’aujourd’hui, tout est super facile, tout est super accessible. J’ai l’impression que l’esprit digging se perd. Il y a trop de ‘DJs Instagram’ aujourd’hui, et pas assez de gens avec de la culture musicale. Moi, je ne mixe plus depuis 10 ans, mais je trouve ça triste pour les gens qui restent et qui se battent pour essayer d’amener un bon son. Il y a plein de purs DJs qui sont là depuis beaucoup d’années, qui ont une grosse culture musicale, mais qui ne tournent quasiment plus. C’est triste. Mais j’espère de tout mon cœur que ça va changer.

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