Le disque du mois : Gesaffelstein – ‘Gamma’
Gesaffelstein vient de publier Gamma, son nouvel album. Onze tracks pour un troisième long-format, qui se hisse chez nous jusqu’à une place de choix : celle de notre ‘disque du mois’. Voyez plutôt.
Par Gérôme Darmendrail
Chronique issue du magazine Tsugi n°169
Au moment de la sortie de son premier album, en 2013, Gesaffelstein fut tour à tour qualifié de ‘nouveau prince de la techno française’, de ‘petit prince de la techno’, de ‘prince noir de l’électro’, de ‘sombre prince de l’électro’, chaque magazine ou journal y allant de sa variation personnelle. Une quinzaine d’années plus tard, en est-il devenu le roi ?
Les chiffres tendraient à aller dans ce sens. Avec près de 17 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify, Gesaffelstein peut aujourd’hui être considéré comme l’un des artistes français qui marchent le mieux dans le monde, et pas seulement dans la sphère électronique. D’ailleurs, il doit moins ces scores à ses productions électro-techno instrumentales qu’à celles, plus pop/R&B, réalisées pour The Weeknd, Kanye West ou Lil Nas X, certaines frôlant le milliard d’écoutes. Un succès remarquable, d’autant que pour y parvenir, cet artiste discret, et qui semble le devenir encore plus avec le temps, n’a jamais donné l’impression de chercher la facilité et le compromis, fidèle à cette esthétique sombre et élégante qui en ont fait un héritier de The Hacker.
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Une impression que Gamma, son troisième album, disque aussi attendu qu’inattendu, ne vient pas ternir. Attendu, parce que le précédent remonte à 2019, et que depuis, le Français n’a rien sorti en solo, seulement des productions pour d’autres artistes. Inattendu, parce que si l’on y retrouve bien sa patte sonore et ses habituelles aspirations dark wave 80s, on ne les aurait pas forcément imaginées associées à des inclinaisons punk, garage et rockabilly. Une orientation loin d’être improbable, mais imprévisible. Un peu comme lorsque les Daft Punk avaient sorti leur Random Access Memories dans un style disco-funk qui leur correspondait finalement assez bien, mais que personne n’avait vu venir et qui ne s’inscrivait dans aucune tendance de l’époque.
Pas de plages instrumentales puissantes et hypnotiques, comme sur Aleph, ou de visées R&B futuristes, comme sur Hyperion : cette fois le son est puissant et futuriste, mais nerveux, voire énervé par moments. ‘Digital Slaves’, le premier morceau, qui ressemble à du Suicide mais avec une production haut de gamme, donne le ton : électro-rock. Le terme, qui avait fini par être synonyme de repoussoir au milieu des années 2000 avant d’être relégué aux oubliettes, semble aujourd’hui le plus approprié pour décrire cet album dénué de guitares mais pas de riffs et de saturations, porté par des beats synthétiques mais traversé de frénésies pogotiques.
Un disque emmené sur plus de la moitié de ses titres par le timbre grave et magnétique de crooner punk de Yan Wagner, particulièrement savoureux lorsque le rythme ralentit, comme sur bien nommé ‘Lost Love’, ballade mélancolique un peu hors du temps, surannée et robotique, qui pourrait s’être échappée d’un film de David Lynch. Pour le retour du rock, voire son futur, c’est peut-être ici que ça se passe.
Chronique issue du magazine Tsugi n°169