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© Chris Rosiak via Unsplash
3 juillet 2024

Retour en force du vinyle en France : un succès du rap français ?

par Tsugi

Le vinyle a fait son grand retour en France au fil des années 2010 jusqu’à aujourd’hui, et c’est le rap français qui semble mener la danse. Alors que le marché du CD décline peu à peu, les ventes de vinyles ne cessent de croître, sans doute portées par l’enthousiasme des moins de 35 ans.

Par Abel Caron

En 2023, des artistes comme Nekfeu, Damso et PNL figurent parmi les meilleures ventes de vinyles, prouvant que le support n’est plus ‘réservé’ aux collectionneurs. Découvrez comment le rap français réintroduit la culture vinyle, malgré les défis posés par le coût de production et la spéculation des majors.

 

Le ton est donné en France

2022, la transition est faite chez nos voisins américains : désormais le vinyle vend plus que le CD. Selon la RIIA (la Recording Industry Association of America), l’équivalent de la SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique) en France, 41 millions de vinyles ont été vendus en 2023 contre 33 millions de CDs.

De ce côté de l’Atlantique, le point de bascule ne s’est pas encore fait. Selon la SNEP toujours, les ventes de vinyles connaissent une progression de 5,5% en 2023, contrairement à celles de CDs qui reculent de 7%. Les vinyles ne représentent qu’un tiers des 15 millions d’unités physiques vendues. Pour avoir un ordre d’idée, les supports physiques -donc vinyles et CDs confondus- constituent 24% des ventes de musiques enregistrées, contre 57% pour les exploitations numériques, cela comprend le streaming audio par abonnement (Spotify, Deezer et Apple Music). Le reste se divise entre 9% pour le streaming audio financé par la publicité, 9% pour le streaming vidéo et 1% pour le téléchargement.

 

Le renouveau par le Rap

Il faut tout de même noter la remontée fantastique du vinyle au cours de la dernière décennie. Il représentait 1% des ventes physiques au début des années 2010, c’est aujourd’hui 45%. Le rap semble avoir grandement participé à réintroduire la culture vinyle. Les premiers acheteurs de vinyles sont les moins de 35 ans, qui représentent 54% du marché.

 

À lire sur tsugi.fr : Compilations vinyles, Tsugi voit triple !

 

Le top 20 des ventes vinyles en 2023 met en lumière un fait : le rap participe à cette démocratisation du vinyle, il n’est plus uniquement le support privilégié des collectionneurs, des DJs… Nekfeu s’installe en 8ème place pour son album Feu, avec plus de 22 000 ventes. Damso est en 11ème place avec Ipséité, pour 20 500 ventes. Lomepal place deux albums en 13ème et 14ème position avec Mauvais Ordre et Amina. C’est PNL qui décroche la 20ème place avec Deux Frères avec 16 500 ventes.

Le vinyle de rap français le plus vendu de tous les temps reste, encore aujourd’hui, l’École du Micro d’Argent d’IAM. Il arrive en 25ème position des ventes vinyles en France cette année avec 14 000 ventes. Sorti il y a 27 ans en 1997, l’album mythique du crew marseillais a mené IAM à une Victoire de la Musique de l’Album de l’Année en 1998. Il est et restera un pilier du rap français.

Sortir une version vinyle de son album reste encore marginal, la majeure partie des rappeurs français privilégient la version numérique et le streaming à la version vinyle, car cette dernière a un coût de production fatalement plus élevé. Seuls ceux qui ont poncé la version streaming de l’album achèteront sa version vinyle pour soutenir leur artiste préféré.

Le prix des vinyles réduit la prise de risque et incite à se diriger vers les valeurs sûres et moins vers des nouveautés ou des ‘petits’ artistes / labels indépendants. Le vinyle devient un véritable objet de collection, plus qu’un support d’écoute. Selon une enquête de 2016 commandée par la BBC à ICM Unlimited, 48% des Britanniques ayant acheté un vinyle ne l’ont pas écouté et 7% n’ont même pas de platine.

 

Le problème du coût

Pendant presque 20 ans, le prix des vinyles neufs (simple) variait entre 15 et 20€. Le Covid a entrainé une augmentation des prix des vinyles. Le coût de ses matières premières de fabrication, principalement du pétrole et du polymère, a augmenté de 30 à 40% durant le Covid. Pour ne pas perdre trop de marge, les majors Sony, Universal et Warner augmentent les prix des vinyles. C’est le cas de Premiers Symptômes de Air. Il est à 10,80 € hors taxes avant le Covid et passe à 26,50 € hors taxes en 2021. Cette hausse entraîne la fermeture de disquaires parisiens indépendants qui ont contribué à l’histoire du vinyle comme Plus de Bruit, Walrus, Baromètre, Rhizome…

Le Covid a aussi rallongé les délais dans les usines de pressages, qui manquaient déjà de capacité et ont été contraintes de fermer. Pour donner un ordre d’idée, chez l’usine française MPO (pour ‘Moulages et Plastiques de l’Ouest’) -l’un des trois plus gros producteurs de vinyles au monde- il ne reste qu’une dizaine de machines de pressages ; contre 80 dans les années 1960-1970, l’âge d’or. Ce rallongement joue en défaveur des ‘petits’ artistes indépendants / émergents, qui passent en second plan, pour les pressages, face aux grosses majors. Il faut attendre environ 6 mois pour que l’artiste voit son vinyle pressé.

 

Lire sur tsugi.fr : A-One Records, les vinyles de New-York à Paris | INTERVIEW 

 

Les labels essayent de créer un effet de rareté autour de certains vinyles en les produisant en exemplaires limités et en éditions augmentées. Certaines peuvent toujours coûter plusieurs milliers de dollars, comme le White album des Beatles sorti en 1968 où les premiers pressages sont numérotés : la Version 1 a été vendue par Ringo Starr en 2015 pour 790 000$.

La guerre en Ukraine a participé à faire augmenter les prix. Aujourd’hui, un album en format vinyle (simple) varie entre 20€ et 50€, tandis que les CDs sont vendus entre 7€ et 15€. Le prix peut être multiplié par deux, voire trois lors de la vente sur des plateformes telles que Vinted ou Discogs. Pacifique (Disiz) qui n’est pas disponible chez la Fnac ou Amazon, a récemment été vendu à 789 euros sur Vinted. Punchlinovic de Dinos est également disponible à 380 euros, Les étoiles vagabondes de Nekfeu à 529 euros, et même un « lot de 4 vinyles d’Alpha Wann » à… 2 500 euros.

En plus de la hausse des prix du marché initial, les clients doivent faire face à un marché parallèle, celui de la revente. Pour limiter ce phénomène à son échelle, le label de Prince Waly, I See Colors, a par exemple décidé de remettre en vente des exemplaires du vinyle de BO Y Z pour un prix de 20€.

 

Une piste avancée par Alban Pingeot -PDG de l’entreprise MPO- pour contrer la hausse des prix serait un prix unique du vinyle. Tout le problème est de trouver le bon prix, car le vinyle coutera toujours plus cher que le CD. Les ventes de vinyles continuent de progresser alors qu’il y a un faible taux d’exemplaires. Les labels n’ont donc pas intérêt à baisser les prix. La spéculation autour du nouvel or noir n’est pas prête de se finir…

 

Par Abel Caron 
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