RONI : « Quand je digue, c’est instinctif. J’aime, je prends, je joue » | INTERVIEW
Avec RONI, c’est bass face et gun hands garantis. Parée de ses multiples casquettes, la DJ-productrice et directrice du label Nehza Records s’impose depuis plusieurs années comme membre active de la scène club française. Instigatrice d’expérimentations sonores, elle arpente les plus grands clubs européens, où elle échauffe les foules à coups de tracks chargés d’infra-basses et de breaks. On a discuté avec elle, à l’occasion de la sortie de son nouveau track ‘Fault Lines’ sur la compilation Club Entry Vol 2 du label Borne Fruits.
La musique électronique, RONI est tombée dedans étant petite. Diggeuse invétérée, la Parisienne concocte des sélections pointues, qu’elle partage à son public tantôt derrière les platines des grands clubs européens, tantôt en toute intimité chez Rinse FM, où elle assure une résidence depuis 2018. En set comme dans ses productions, RONI pioche dans les influences outre-Manche -bass music, jungle, breaks- tout en flirtant avec la techno, le post-club et la trance. Couleur musicale qu’elle donne aussi à son label Nehza Records, et pour lequel elle se plaît à fouiller parmi le vivier d’artistes de la scène actuelle, à la recherche de ses prochaines signatures.
Depuis le Sud de la France, où elle profite d’un temps de pause avant le retour à la vie d’artiste, RONI nous a parlé de sa relation à la nature, de santé mentale, de son label et de la nécessité d’observer.
Ça fait maintenant un bout de temps que tu es résidente chez Rinse FM. On a presque l’impression que c’est devenu ton deuxième salon ?
Tout à fait (rires). C’est devenu une famille, en tout cas. Avant que Rinse ne me propose de faire une émission sur la radio, je n’avais jamais envisagé que la musique puisse devenir mon métier. L’équipe de Rinse a été la première à me donner une chance, à me soutenir, et à m’encourager à me professionnaliser. Elle tient un rôle important dans mon parcours. Et puis, défricher, faire connaitre des morceaux à une audience, les jouer, raconter comment ils ont été produits… C’est quelque chose que j’ai toujours adoré quand j’écoutais moi-même la radio plus jeune.
Avant de vivre de la musique, tu travaillais dans la mode. Qu’est-ce qui t’a décidée à changer de vie ?
La musique a toujours été ma passion première. J’ai commencé à digger et à sortir en club assez jeune. C’était une passion tellement vive qu’au fond de moi, je me disais qu’il fallait la laisser intacte, pure. Ne pas la toucher, et donc ne pas en faire un métier. J’ai fait une école de stylisme puis j’ai travaillé plusieurs années dans l’industrie de la mode. Mais j’ai fini par faire un burn-out.
C’est comme si mon corps s’était désolidarisé et m’avait dit ‘stop’. Je ne pouvais plus faire grand chose. J’ai perdu la mémoire et la concentration. Je me suis demandée ce que je pouvais faire pour guérir et m’écouter davantage. Donc je me suis lancée dans quelque chose qui avait du sens pour moi et qui était aligné avec mon âme : mixer et faire de la musique.
Depuis, tu as fait ton bonhomme de chemin. Tu es actuellement en préparation de ton premier EP : comment ça se passe ?
C’est un peu chaotique (rires). Je travaille sur Ableton, avec un clavier midi, un micro et une carte son. J’ai un set-up assez simple et je découvre des VST au fur et à mesure. À la base, j’ai commencé à faire de la prod’ parce que des labels m’ont approchée et demandé des morceaux. C’est ce qui m’a aidée à passer le cap. Depuis, j’ai sorti quatre morceaux et je viens récemment d’en finir des nouveaux, dont un pour Rhythm Sections. Quand Bradley Zero m’a démarchée, je me suis dit que c’était impossible de passer à côté de cette opportunité, donc je m’y suis mise à fond. Il y a plein de choses qui se sont débloquées en travaillant sur ce morceau. Je me suis sentie passer un cap. Ça m’a motivée à faire cet EP auquel je pensais depuis longtemps : c’était enfin devenu réalisable.
Tu as récemment passé dix jours à faire de la musique en plein cœur de la forêt. Peux-tu nous raconter cette expérience ?
J’étais en Corse, dans une sorte de cabane au pied d’une rivière, dans la forêt. C’était assez mystique. Le fait d’être dans la nature m’a permis de couper tout de suite avec le sentiment d’urgence. J’avais besoin d’un break, j’en ai profité pour faire de la musique. De manière générale, je suis assez proche de la nature. J’aime avoir mes cristaux, faire de la méditation, du yoga. Ça m’aide à me reconnecter, à moi-même et à l’univers.
Ton lien à la nature se ressent également avec ton label Nehza, à travers lequel tu dis vouloir montrer la beauté et la fragilité de la nature. Ça passe notamment par des visuels avec des zooms photographiques sur des champignons, des insectes… L’observation, c’est une forme d’inspiration pour toi ?
Je suis quelqu’un de la ville, mais l’observation me replace dans ma condition naturelle et me renvoie à des sensations liées à la nature. Sur l’aspect visuel du label, l’idée était de montrer des choses qu’on ne voit plus : aujourd’hui, on ne prend plus le temps d’observer. Je voulais interpeller avec un regard unique et révéler la magie de la nature.
On oublie trop souvent que la vie des êtres vivants dépend de notre manière de vivre, de faire et de consommer. Le propos était d’attiser la curiosité. J’ai eu la chance de rencontrer la directrice artistique Alice Gavin, qui a compris mon idée et a donné vie à cette vision.
Tu as récemment sorti une compilation, Transmental, sur ton label. Comment s’est passée la curation ?
Je l’ai faite seule. Pour les compilations, je passe par un processus différent : quand je digue, c’est instinctif. J’aime, je prends, je joue ; avec le label, j’essaie de choisir des morceaux que je considère intemporels.
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Dans tes various, tu pioches beaucoup dans la scène internationale, mais on retrouve aussi des artistes français-es. Que penses-tu de la scène locale actuelle ?
Je trouve la scène française incroyable. Il se passe beaucoup de choses excitantes. Il y a un vrai élan créatif, une effervescence d’artistes et d’idées. Notre scène est pointue. Pendant longtemps, la scène française a été mise au second plan, à cheval entre l’Angleterre et l’Allemagne. Mais j’ai l’impression qu’on arrive à un très bon niveau et qu’on est devenu un berceau d’expérimentations géniales. Les pays voisins sont en train de comprendre ce qu’il se passe et s’y intéressent.
Comment est née ton amitié avec Lisa More ?
Grâce à elle ! Elle m’a invitée à jouer en b2b sur sa résidence au Sucre à Lyon il y a quelques années. C’est là qu’on s’est rencontrées. On n’avait rien préparé, car elle déteste organiser ses sets. C’était sans filet. On s’est super bien entendues, et l’amitié est née comme ça. C’est une personne bienveillante et apaisante. Comme je suis de nature anxieuse, sa présence me calme. Et musicalement, elle me surprend beaucoup. En set, tout est fluide et elle n’envoie que des balles. Je suis très contente de rejouer à ses côtés en juin prochain, pour Astropolis.
Quoi de prévu en ce moment ?
Je suis très contente d’avoir sorti un single pour le label Borne Fruits d’Amaliah, sur la compilation ‘Club Entry’. C’est un morceau que j’ai produit il y a un an maintenant, en revenant de quinze jours de voyage presque religieux avec ma mère. Aujourd’hui cela fait encore plus sens, parce qu’elle nous a quittés il y a quelques mois.C’est un track que j’adore, un peu mystérieux. S’il s’appelle ‘Fault Lines’, c’est parce que je l’ai produit peu de temps après le séisme en Turquie, qui m’avait vraiment questionnée sur la force de la nature et les dégâts qu’elle peut provoquer. C’est pour ça que j’ai choisi ce titre.
Et je viens également de sortir un podcast pour Live From Earth, un bon moyen de se chauffer pour cet été!