Vel (Mama Told Ya), le saut dans l’inconnu | INTERVIEW
Avec There Is Always A Solution, la productrice Vel étale sa maîtrise des percussions le long d’un premier album techno sans concession qui sait aussi sortir des sentiers battus. Sa recette ? Passer outre ses automatismes et explorer.
Par Vadim Baillot
Sensuelle et brusque, douce et déferlante, puissante et gracieuse, énergique et pourtant introspective : si l’on devait décrire simplement la musique de Vel, on formulerait un oxymore sans le vouloir. Après une signature chez Mama Told Ya, le label d’Anetha, Vel vient d’y publier son premier album. Un disque aux sonorités multiples, techno mentale aux rythmiques galopantes, entre tribal et trance, ambient aux nappes rêveuses, presque hypnotiques. Dans un des trop nombreux coffee-shops du Xe arrondissement parisien, pour une fois pas trop victime de son succès, on a rencontré Vel pour en savoir plus.
L’album s’intitule There Is Always A Solution, un titre faisant suite aux précédentes sorties du label qui, comme son nom l’indique, prennent toujours la forme d’un conseil d’un parent à son enfant. Il se trouve que c’est aussi le conseil un peu remanié que son père donnait sans cesse à la jeune Vel, trop souvent sujette à l’anxiété.
« J’étais tout le temps stressée, je ne sais même pas pourquoi, et il me disait ‘ne t’inquiète pas, prend les choses une par une, tout problème a sa solution’ et ça me calmait tellement ! » Alors on a cherché à savoir quelle était la suite : une découverte de la techno au Sucre quelques années après son arrivée à Lyon, dans le cadre de ses études, il y a de ça huit ans.
Puis un voyage au Mexique, loin de tout ce qu’elle connaissait, qui lui a permis de prendre le recul nécessaire afin de faire le premier pas, à savoir lancer l’installation d’Ableton.
Puissance et sensualité
Depuis un an, Vel se consacre entièrement à la musique, elle qui l’a longtemps considérée comme un loisir, aucunement viable. « J’ai tout fait pour déconstruire ce qu’il y avait dans ma tête qui faisait que je pensais être condamnée à travailler dans une entreprise, que je n’étais pas légitime à faire de la musique. Je suis arrivée en France à 18 ans, j’ai installé Ableton à 22 ans, j’ai quitté mon travail l’année dernière, ça a toujours été mon rêve de vivre de la musique, mais jamais je n’avais imaginé que c’était possible. »
Et ce certainement en raison d’une certaine réalité, Vel ayant grandi à Rabat au Maroc dans une famille traditionnelle marocaine plutôt modeste. La place de l’art et de la culture n’y est pas la même qu’en France. Vivre de l’art, et ne serait-ce y avoir accès, y est encore réservé à une élite. Malgré cela, Vel découvre assez tôt la musique, elle obtient sa première guitare à l’âge de 7 ans, découvre des artistes à travers les collections de cassettes de ses deux grands frères, respectivement âgés de 15 et 18 ans. « Ça m’a permis d’écouter des artistes que les autres enfants ne connaissaient pas, comme Donna Summer, Diana Ross, Norah Jones, les Red Hot Chili Peppers. Quand j’allais à mes cours de guitare, je demandais à apprendre ces chansons-là, notamment les Red Hot et donc j’ai commencé à me tourner vers du rock, puis j’ai découvert Pink Floyd, The Doors. Et plus tard c’est devenu comme une compétition, je voulais être celle qui téléchargeait le plus de musiques sur l’ordinateur familial. À l’époque c’était sur LimeWire et eMule. »
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Après quelques digressions à se rappeler les bons moments vécus aux côtés du logiciel au logo d’âne, on est revenu à notre sujet. Car Vel a depuis sorti trois EP, plusieurs singles, participé à plusieurs compilations, notamment aux côtés d’artistes comme François X, bouclé la boucle au Sucre en y devenant résidente, et enfin signé chez Mama Told Ya. En bref, il y a toujours une solution, maintenant son titre est clair comme de l’eau de roche.
Vel aborde d’ailleurs dans cet album les thèmes de la féminité, et d’une certaine versatilité, caractérisée par cette dualité entre puissance et sensualité, techno qui fait fronce les sourcils tout en nous transportant doucement ailleurs, à la recherche de la transcendance. « C’est quelque chose que je voulais atteindre, j’ai toujours écouté Pink Floyd, Nicolas Jaar… J’ai toujours été plus réceptive à quelque chose de lent, léthargique, rêveur. J’y trouve quelque chose de puissant, quand tu fermes les yeux et que tu écoutes « Echoes » de Pink Floyd, ça t’emporte dans un autre monde. J’ai compris plus tard qu’on pouvait rechercher cette transcendance même à un BPM élevé. »
Un besoin percussif
On peut pour l’exemple citer le titre « Ain’t We Mermaids » qui représente bien toute la complexité des thèmes abordés, puisqu’on retrouve aussi dans cet album celui de l’eau, tout aussi imprévisible, et caractéristique de cette ambivalence, d’une puissance déferlante ou d’un calme apaisant qui, pour Vel, ayant grandi tout près de l’océan, signifie quelque chose de tout particulier. « C’est un élément qui m’a toujours captivée, cette sensation quand je suis dans l’eau, je ne peux pas être plus heureuse. L’océan et son côté aléatoire, parfois calme, parfois d’une telle puissance. Je me souviens que petite, j’en avais peur, maintenant je le cherche. »
Une autre marque de fabrique de la musique de Vel, c’est tout son travail sur la rythmique, sa passion pour les percussions, élément omniprésent sur cet album, et d’ailleurs encore plus poussé qu’auparavant, alternant trance, tribal, entre deux, et même parfois au-delà. On est bien loin de l’un de ses premiers faits marquants dans la discipline, « You Taste Like Zaatar », dans lequel il n’était encore question que de jouer avec la fréquence du snare. Désormais cette recherche n’est même plus un concept, c’est presque devenu un besoin.
« C’est difficile à expliquer, peut‐être que cela vient de mes origines, mon frère jouait de la derbouka, c’est un instrument très présent au Maroc, je tapotais tout le temps dessus étant enfant. Mais c’est aussi peut‐être parce que j’ai du mal à composer les mélodies. Au début, c’était un problème pour moi puis je me suis dit que j’allais en faire une force, maintenant j’explore comment faire des ‘pseudo‐mélodies’ avec des patterns de drums. »
Quand on demande à Vel comment elle commence la production d’un nouveau titre dès l’ouverture d’Ableton, elle nous fait part de ses automatismes, de ses habitudes, et d’une expérience acquise qui a un prix, celui de sortir de l’exploration. « C’est le problème quand tu passes des années sur Ableton, j’ai appris des trucs qui marchent un peu à tous les coups, et je pense que ce n’est pas forcément bien, du coup je télécharge de nouveaux plug‐ins, justement pour me retrouver à nouveau perdue. »
Prise de risque
Car cette exploration, c’est aussi ce qui pousse Vel à produire de la musique. Dans le mélange de style qu’elle propose sur There Is Always A Solution, la volonté est claire : il ne s’agit pas seulement de faire un carton plein, mais d’ouvrir la porte vers quelque chose de nouveau, de prendre le risque de s’aventurer en dehors de chemins trop bien tracés. À l’instar du titre « I Don’t Care » qui, comme son nom l’indique, n’est pas une ode au conformisme. « J’ai eu l’idée de faire ce track en écoutant « A Day In The Life » des Beatles, dont la construction est trop bizarre : le rythme change brusquement, on passe de tout à rien au moment où on devrait entendre le refrain, puis ça repart comme si de rien n’était. Je me suis dit que j’allais faire quelque chose comme ça, mais en techno. Je pensais que personne n’allait comprendre, et finalement c’est pour ça que je l’ai appelé ainsi, parce qu’au fond j’ai envie de créer, de pousser un peu les gens. »
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On peut également citer sa volonté d’aller au-delà des frontières, y compris quand il s’agit de s’aventurer dans des territoires encore relativement vierges : « Il existe une nouvelle impulsion musicale dans laquelle je me retrouve, et vers laquelle je me dirige et je considère que le titre « Ambient Core » en fait partie. C’est le style que pratiquent des artistes comme Spekki Webu, Jeans, Woody92 ou Harald Uunk, ça n’a pas encore vraiment de nom, c’est très linéaire, sur un tempo très rapide, avec beaucoup de percussions. Même si je pense que je garderai toujours un spectre plus large, je ne me vois pas me limiter à un seul style. »
Mais quand on se tourne vers le futur, l’inconnu, on a toujours ce léger frisson qui nous parcourt brusquement la nuque, les préceptes n’y font rien, et pour clôturer le présent, il était nécessaire de regarder plus loin, d’imaginer la suite de l’histoire. « Je suis encore au début de ma carrière, je ne sais pas trop ce que je vais faire à l’avenir, on cite souvent Ellen Allien qui tourne encore à trois dates par week‐end à 55 ans, je ne sais pas si j’aurais la même longévité, mais si je peux faire de la musique autrement, pourquoi pas. On rêve tous un peu de faire de la musique pour le cinéma. Si je peux me transformer en Ennio Morricone, il n’y a pas de soucis ! » Pour nous non plus.
Par Vadim Baillot
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Vel jouera bientôt au Slalom de Lille (29 novemnbre) puis à Copenhague pour une Boiler Room (6 décembre) et à Miami avec ses compères de Mama Told Ya (13 décembre)