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© Marion Sammarcelli
18 décembre 2023

HAAi, toujours en ascension|INTERVIEW

par Tsugi

Elle a un album acclamé par la critique et plusieurs EPs à son actif, un single avec Romy et Fred Again.., un remix pour Kylie Minogue, des Boiler Room, ainsi que deux tournées aux États-Unis. Elle est aussi l’artiste qui a pu se prêter au fameux jeu du DJ-Kicks de !K7 Records pour l’année 2023… HAAi était de passage à Paris et on a pu discuter avec elle juste avant son passage au Rex Club. 

(Par Marion Sammarcelli)

Depuis plusieurs années, HAAi s’est largement fait sa place sur le devant de la scène électronique mondiale. Plus qu’une artiste, mais aussi activiste queer et féministe, la DJ et productrice australienne témoigne d’un parcours tant atypique que passionnant. Avec elle nous sommes d’abord revenus sur ses débuts. De son groupe de shoegaze à sa première nuit au Berghain — celle qui a bouleversé sa vie de musicienne —. Mais aussi sur la façon dont elle conçoit les musiques électroniques, sur son style éclectique et singulier…

Et sur le travail qu’elle a fourni pour réaliser ce fameux DJ-Kicks. Puis, nous avons également discuté de son engagement militant en abordant les actions qu’elle met en place pour lutter contre l’invisibilisation des artistes féminines et LGBTQIA+, ou encore la manière dont elle imagine la scène électronique de demain en terme d’inclusivité. Rencontre avec HAAi, la DJ et productrice dont l’ascension ne fait que débuter.

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© Marion Sammarcelli

 

Comment es-tu passée de Dark Bells à HAAi, et plus spécifiquement du rock psychédélique, du shoegaze à la musique électronique ?

Je vais essayer d’être brève (rires) : j’ai déménagé à Londres avec mon groupe, Dark Bells. Quand on s’est séparés, je travaillais dans un bar. Je collectionnais déjà les disques depuis longtemps mais c’était plus du funk turc ou encore de l’afro beat… C’est dans ce fameux bar que j’ai commencé à mixer. Ils avaient deux platines et un petit mixeur tout pourri. J’aimais vraiment faire ça et puis, il faut avouer que j’étais payée deux fois plus (rires) puisque je bossais en même temps au bar. Bref, plus je me perfectionnais, plus j’aimais mixer.

Un jour quelqu’un est venu et m’a demandé de jouer avec Jacques Greene, un artiste canadien. Donc j’ai fait mon premier gig en club avec lui ! Ça m’a renforcée dans ma pratique du deejaying et poussée à m’intéresser à la musique électronique. Elle rentrait de plus en plus dans mon quotidien. J’ai joué une nouvelle fois avec lui pendant sa tournée, au Phonox, à Londres. Et quelques mois plus tard, on m’y a offert une résidence. J’ai remarqué que les bookers de ce club venaient me voir jouer souvent dans le petit bar où j’ai fait mes débuts.

Ça a changé ma vie. Je n’aurais jamais cru tout cela possible. J’ai toujours été musicienne, guitariste, et je n’avais jamais pensé qu’un jour j’allais être DJ. Mais je l’ai fait car mon groupe venait de se séparer et ça m’a permis de continuer à faire de la musique. Je ne pensais pas qu’on allait me prendre au sérieux en tant que DJ, alors je ne me prenais pas au sérieux moi-même. Puis j’ai réalisé que j’étais légitime, que je n’étais pas si mauvaise. Je me suis débarrassée de ce syndrome de l’imposteur. Mais je sais que même dans la musique que je compose aujourd’hui, il y aura toujours du shoegaze et du rock psychédélique. C’est dans mon ADN.

 

Peux-tu nous parler de cette fameuse première nuit au Berghain ? Qu’est-ce qui t’a tant plu dans la scène électronique ?

C’est une partie importante de l’histoire (rires) ! J’y suis allée avec une amie qui devait quitter Berlin urgemment car son visa allait expirer. Elle adore la techno, alors je l’ai accompagnée au Berghain. À cette période, je mixais déjà. Mais, la techno ne faisait pas encore partie de ma culture musicale car j’en n’avais jamais écouté dans les bonnes conditions. Au fond, je pensais qu’il y avait d’un côté les guitaristes comme moi et de l’autre, les gens qui faisaient de la techno. Je ne voyais pas de croisement entre les deux.

Par chance on a réussi à rentrer dans ce fameux club. J’étais sobre — enfin les premières heures (rires)— et je crois que j’ai été envoûtée par cette musique. Parce qu’elle était jouée dans un lieu qui semblait avoir été fait pour elle. Puis j’ai réussi à connecter ces sonorités de dancefloor et celles qui ont toujours été familières : le shoegaze, la musique psychédélique ou encore le krautrock. Je me suis rendue compte qu’on pouvait faire des liens entre ces genres qui sont foncièrement différents.

 

On peut dire que la musique électronique t’a happée en quelque sorte ?

Oui ! Elle m’a traînée du côté obscur (rires) !

 

C’est systémique et c’est un gros problème : il y a encore trop peu de femmes dans la musique électronique (elles ne représentent que 15 % des prog en clubs et festivals dans le monde). Qui (ou quoi) t’a donné l’envie de te lancer dans le deejaying ? As-tu eu un modèle féminin ? 

Quand j’ai commencé ma résidence au Phonox, c’était un sujet dont on parlait de plus en plus. Ça leur tenait vraiment à cœur d’avoir une artiste féminine en tant que résidente. Depuis, The Blessed Madonna — qui est devenue une de mes meilleures amies — m’a prise sous son aile, parce qu’elle a elle-même longtemps été résidente dans un club à Chicago. Elle a beaucoup veillé sur moi. Et parce que j’ai eu la chance d’avoir une opportunité pareille, je me donne à mon tour le devoir d’inclure toute personne appartenant à n’importe quelle communauté marginalisée, autant que possible. Quand quelqu’un t’ouvre une porte, je trouve ça très important que tu l’ouvres à ton tour pour la prochaine personne.

 

Après une carrière de DJ de sept ans, plusieurs EPs, un album acclamé par la critique et deux tournées aux États-Unis, que ressent-on lorsque l’on participe aux célèbres DJ-Kicks de !K7 Records et que l’on suit les traces de grand(e)s artistes ? Est-ce un accomplissement dans ta carrière ?

Énorme ! C’est une étape cruciale dans ma carrière. J’étais tellement heureuse quand on m’a demandé de le faire. Puis, c’est après que j’ai réalisé l’ampleur du travail que j’allais devoir fournir (rires). Mais, ça me tenait à cœur de faire un DJ-Kicks différents des autres. Je voulais un thème, qui est « Always Ascending« , réunir les artistes que j’aime, puis retrouver les vieux tracks emblématiques que j’ai amassés ces dernières années. Je voulais qu’on se sente immergé dans tous les mondes qui composent ma musique. Bien sûr je suis passée par des phases de doutes, mais finalement je suis très fière du résultat.

 

Comment as-tu choisi les artistes présent(e)s sur ce mixe/compil’ pour !K7 Records ?

Beaucoup d’entre elles et eux sont mes ami(e)s, les autres sont des artistes dont j’apprécie la musique depuis longtemps. Ça donne un effet cocktail party (rires), une sorte de techno expérimentale et glitchy. J’écoute cette musique depuis longtemps, je l’achète, je la joue dans tellement de mixes… et pourtant j’en n’avais jamais mis dans mes projets. J’ai donc fait appel à des artistes comme PGZ, I. JORDAN, Joshua James, Manni Dee ou encore Surusinghe.

 

En combien de temps as-tu mené ce projet ?

Beaucoup de temps (rires). Pas autant que pour faire un album mais quand même ! Ça a pris plusieurs mois car je fais de la musique pour moi-même. C’est tout un processus. Puis, pour ce DJ-Kicks, d’autres artistes entraient en jeu. Il a fallu attendre qu’elles et ils composent leurs tracks autour du thème que j’avais donné : « Always Ascending« . Tous sont incroyables. Et j’ai vraiment adoré les mixer ensemble, même si les BPM étaient différents pour chaque morceau.

 

Peux-tu nous présenter les trois tracks exclusifs (« ZiGGY », « SHiNE » et « Always Ascending ») que tu as composés pour l’occasion ? Quelles histoires voulais-tu raconter à travers ces morceaux ?

Les morceaux de mon album étaient moins concentrés sur le dancefloor, alors je voulais que ceux-là, ainsi que le projet entier, le soient. « ZiGGY » est le premier track que j’ai produit. Je voulais que ce soit un morceau qu’on puisse écouter quand on conduit en forêt. Pour « SHiNE« , ce sont des drums percutantes, irrégulières, un peu comme une crise cardiaque (rires), tout ce que j’aime. Puis « Always Ascending » était une bonne opportunité, pour Jon Hopkins et moi d’apporter une suite à « Baby, We’re Ascending« . C’est la seconde phase de ce morceau — et c’était intentionnel — mais avec un artiste en plus : KAM-BU, qui apporte un nouveau souffle.

 

De nos jours, la musique électronique semble devenir mainstream : les morceaux sont de plus en plus courts et nous sommes bombardé(e)s de drops… Est-ce ton désir d’aller à l’encontre de tout cela dans tes productions ?

Oui, tout à fait ! J’ai l’impression que mon style de musique n’a jamais tant suivi les tendances. Même récemment, j’ai ré-écouté le gros projet sur lequel je travaille en ce moment. Et j’ai eu envie de reprogrammer toutes les percussions, parce qu’elles commençaient à ressembler un peu trop à ce qui se fait en ce moment. Et je ne veux pas de ça. Alors je vais tout refaire pour donner à mon son un petit quelque chose qui ne le rattachera à aucune période en particulier. Évidemment, j’ai toujours fait des drops dans mes productions, mais je ne pense pas qu’ils ressemblent à ceux que l’on peut retrouver dans la tech-house par exemple.

 

Ta musique et tes mixes sont éclectiques : acid, techno, break beat, bass music, afro beats… On y retrouve plein d’influences d’une multitude de genres musicaux, tu utilises aussi beaucoup ta voix. Quels sont les artistes qui t’ont inspirée et qui t’inspirent au quotidien ?

Il y a tellement d’artistes puis de genres musicaux différents que j’aime et qui m’inspirent au quotidien. Pour le projet sur lequel je suis en train de travailler, je me suis fait une playlist inspirante. C’est la première fois que je fais ça. On y retrouve Little Dragon, ses mélodies puis ses mots magiques, Frank Ocean et même Kendrick Lamar. J’aime la manière dont il raconte une histoire dans son dernier album. Il y a aussi Cat Power. Je l’ai tellement écoutée tout au long de ma vie. Puis, j’aime énormément ce que James Blake compose : sa manière de chanter avec une voix soulful à souhait, ses synthés complètement fous et ses subs enivrants. Pour moi personne n’a jamais fait cela avant lui. Ce sont ces artistes qui me poussent à écrire de la musique aujourd’hui. Je n’écoute pas tellement de techno pour créer, je suppose que c’est parce que j’en suis entourée tout le temps.

 

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© Marion Sammarcelli

 

Plus qu’une artiste, tu es une activiste qui milite pour la visibilité des artistes femmes et queers. As-tu toi-même rencontré des obstacles dans ta carrière ?

Je pense que oui. On doit toujours faire face à des petites remarques, qui nous rappellent que nous ne sommes pas sur le haut de la pile (rires). Beaucoup de gens vivent cela. Et parfois, les personnes qui sont à l’origine de ces propos ne se rendent même pas compte de leur gravité et de l’impact qu’ils peuvent avoir sur nous. Le pire, c’est sur les réseaux sociaux : les gens mal intentionnés qui glissent dans tes DM, les commentaires haineux… Un jour, une vidéo de moi est devenu virale. Je jouais au closing du Printworks et j’ai passé un vieux track de hard style des années 2000. J’ai posté un passage de dix secondes qui a fait des millions de vues sur mon compte Instagram. Évidemment, je m’étais dit de ne jamais regarder les commentaires et un jour — j’étais peut-être un peu bourrée (rires) — j’ai craqué. Je regrette. C’était le plus bas de l’échelle de la société qui jugeait ma performance sur seulement un track, sans connaître ma carrière et en me dévalorisant surtout parce que je ne suis pas un homme. 

Cependant, dans ma carrière, j’ai eu la chance d’arriver à un moment où on voulait donner une meilleure exposition aux artistes qui ne sont pas des hommes. J’ai l’impression d’être le produit de tout ça. J’ai eu une expérience complètement différente de certaines artistes dans la musique électronique. Peut-être parce que j’ai commencé à mixer un peu plus âgée, puis que j’ai passé ma vie à jouer dans des groupes composés seulement d’hommes… J’avais sûrement déjà les armes : c’est là que j’ai fait face à beaucoup de sexisme d’ailleurs et je ne parle même pas du fait d’être queer puisque je me battais déjà pour ma place en tant que femme. Par rapport à ce que j’ai vécu avant, ma condition dans la musique électronique est plus facile à vivre (rires).

 

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Quelles actions mènes-tu pour contrer l’invisibilisation des artistes femmes et/ou queers ?

J’ai une politique que j’applique pour tous les line-ups auxquels je prends part. J’ai mis en place une clause d’inclusivité entre moi, mon agent et mon management. Si on trouve que le line-up n’est pas assez inclusif, on se réserve le droit de refuser toutes les offres pour un gig. Pour être honnête, ça arrive de moins en moins. Beaucoup de gens font des efforts aujourd’hui. Mais, ça arrive tout de même encore.

Bien sûr, il y a des hommes très talentueux. Mais, il y a aussi énormément d’artistes femmes, non-binaires, trans qui le sont tout autant. Et pourtant, ce sont des artistes qui galèrent à performer leur art à cause de la façon dont l’histoire les a marginalisé(e)s. Je pense que quand on a vécu les mêmes oppressions, qu’on a traversé les mêmes obstacles, c’est plus facile d’être inclusive. Je comprends ce que c’est que d’être négligée mais je comprends aussi le bonheur que c’est d’être acceptée. Alors je curate de plus en plus d’événements, de résidences, de têtes d’affiche et je suis fière d’avoir mon mot à dire.

 

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Comment imagines-tu la scène électronique de demain ? En termes d’inclusion et de diversité.

Je pense que ça va continuer dans le bon sens. Il y a eu beaucoup d’impulsions, d’évolutions, en termes d’inclusivité. J’ai remarqué que depuis une année ou deux les festivals et les promoteurs mettent de plus en plus leur pierre à l’édifice. Je pense aussi qu’avoir un public qui n’est pas seulement habitué à voir des line-ups composés exclusivement d’hommes est une grande avancée. Plus les gens sont habitués à grandir avec toutes ces prises de consciences et ces évolutions, plus ça deviendra un état d’esprit à avoir obligatoirement pour le futur.

 

Si tu devais créer un festival safe et inclusif, à ton image en somme, comment le décrirais-tu ?

J’ai déjà son nom ! J’aimerais l’appeler « Ascension », rapport au thème qui gravite autour de ma musique. Je voudrais que ce soit un festival prônant l’unité des gens, la bienveillance… Je voudrais aussi que ce soit un événement mélangeant les artistes du passé, qui font notre héritage musical aujourd’hui et les artistes qui créeront notre futur à leur tour. J’aimerais que chacune et chacun s’apporte mutuellement et qu’on ne fasse aucune différence entre elles et eux. Ça pourrait être super cool. Peut être qu’un jour ce festival existera vraiment. Qui sait ?

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