INTERVIEW | Zaatar : « l’identité fluctue et il faut l’accepter »
On vous en parlait il y a peu : on est allé se trémousser à Astropolis, à Brest et on se remet doucement du week-end. Parmi les artistes programmés par le festival, il y avait Zaatar. Entre deux sets, on s’est donc posé en loges avec la DJ et productrice. Avec elle on a parlé d’identité fluctuante, de préparation avant un live et des actions qu’elle effectue avec son collectif Laisse tomber les filles.
Tu es une des fondatrices du collectif ‘Laisse tomber les filles’. Cette année, à Astropolis hiver, il y a plus de meufs programmées que de mecs. Qu’est-ce que tu en penses ?
J’avais pas fait attention, mais je suis très heureuse de le savoir ! C’est génial. C’est très rare, je dirais. Ça me fait vraiment plaisir.
Je sais que c’est l’un des combats pour lesquels vous militez au sein du collectif.
Il faut remettre les choses dans leur contexte. C’est vrai qu’on essaie de faire ça à Lille, en mettant en avant les artistes féminines, pour que ça donne une idée aux programmateurs mais aussi pour ne pas qu’ils nous disent qu’il n’y a pas d’artistes féminines à Lille. On en fait jouer constamment, donc on a un répertoire assez grand de DJ féminines. Ça permet vraiment de donner une chance à tout le monde.
Pour l’instant, votre action reste locale ?
Oui, pour l’instant, c’est local. On n’organise des soirées qu’à Lille mais il y a deux types de soirées. Des soirées qu’on appelle « expérimentations », où on fait jouer des DJs qui sont nouvelles -ou en tout cas en début de carrière- dans des lieux plus petits. Ensuite, il y a les grosses soirées en club ou dans des lieux plus gros, où là, on fait venir d’autres DJs du reste de la France voire Belgique.
Pour l’instant, on n’est pas allés sur l’international. L’idée est vraiment de faire jouer aussi toutes les artistes, comme mon projet, ce que j’appelle les « middle ». Parce qu’il faut faire monter tous ces projets. Tu te rends compte rapidement que sur les line-up, parfois c’est paritaire mais c’est souvent les mecs qui sont headliners. Donc si on regarde la courbe des salaires, on se rendrait compte que les mecs touchent plus d’argent. Les meufs, c’est souvent des « filers » ou des « warm-ups ». Donc l’objectif n’est pas de faire jouer les grosses têtes d’affiches, les DJs féminines qui le sont déjà n’ont pas besoin de nous.
Tu dis que ‘en tant que femme, il faut être irréprochable techniquement.’ Tu dirais que c’est toujours autant d’actualité ou est-ce que ça bouge quand même ?
Non, c’est toujours d’actualité. Est-ce que je suis un peu dure ? Oui, je pense… Je le dis aussi pour motiver les gens. Quand tu as la technique de ton côté, ça permet d’être sûre de soi. Parce que, quand tu arrives devant un public, tu as tellement de choses en tête qu’il faut pouvoir gérer. Et si la technique est de ton côté, c’est un souci en moins.
Est-ce que tu dirais qu’un homme a les mêmes questionnements avant de monter sur scène ?
Ah non, les hommes ne se posent pas la question. Et je ne pense pas que toutes les femmes se posent la question en réalité. C’est vraiment personnel. En tant qu’artiste, je ne demande pas à tout le monde d’être irréprochable, je dis juste que ça t’enlève une épine du pied.
Tu te sens obligée d’être irréprochable techniquement ?
Non, c’est plus pour mon confort personnel. Et je me dis : « si je connais le matos, je ne vais pas me prendre des commentaires. » Mais je ne dirais pas que c’est une bonne façon de voir les choses, parce que tu ne devrais pas te dire ça dans l’absolu. C’est la même chose de dire : « Je ne vais pas m’habiller et me dénuder pour ne pas qu’on m’agresse. » Normalement, on ne devrait pas te parler mal PARCE que tu es une femme, c’est tout. Donc, dans un monde idéal, je n’aurais pas besoin d’utiliser ce stratagème.
Donc tu te prépares comment, avant un DJ-set ?
Je me prépare beaucoup. Je sais que chaque lieu a un DJ-set particulier, avec une sélection particulière, qui dépend de l’heure et de l’endroit. Je sais aussi qu’il y a d’autres DJs beaucoup plus impulsifs, qui vont juste se dire « Bon, j’irai piocher là ». Ce qui est très bien, je trouve, l’improvisation, parce que ça te permet aussi de te surprendre toi-même et parfois de kiffer beaucoup plus.
Mais tu prends aussi le risque de ne pas savoir où tu vas, si tu n’es pas inspiré-e. Moi, j’ai toujours ma trame. Mais il faut savoir s’adapter à l’ambiance de la salle aussi, ça m’arrive de sortir de ma trame en fonction de ça. Elle est là pour rattraper, c’est le filet de sauvetage.
Qu’est-ce qui motive ça ? C’est l’anxiété ou le besoin de contrôle ?
C’est plutôt que, en tant qu’artiste, tu as une responsabilité face à un public. On t’invite sur un stage, et je trouve que c’est toujours flatteur. Il faut que je me prépare parce que je vais faire quelque chose de spécial pour les gens. Donc je n’oserais pas me pointer les mains dans les poches, par respect pour le public.
Comme un cuisinier qui a préparé son menu finalement. Souvent, je vois les tracks comme des ingrédients. J’en ai des plus groovy, des plus intenses, plus bangers. Et on va cuisiner quelque chose ensemble. Si tu sais que tu vas envoyer un track très énergétique, il faut penser à ce qui se passe après.
C’est important pour toi d’intégrer tes deux origines (Belge et Marocaine) au sein de ta musique ?
Oui ! C’est encore plus compliqué, parce que j’en ai trois. Ma mère est aussi Suisse et j’y ai vécu pour mes études. C’est un questionnement constant, dans le sens où la musique et les projets reflètent tes propres questionnements.
Est-ce quelque chose que tu dois mettre en avant, ou pas ?
Je pense pas qu’il faille en faire de trop. Le but n’est pas que je fasse des sets hyper ‘orientalistes’e et mettre en avant le Maroc, pour que ma musique devienne un pastiche. Je pense qu’il faut rester soi : l’identité fluctue et il faut l’accepter. Souvent, les gens veulent mettre les autres dans des cases. Et ça m’est arrivé après un DJ set de me prendre des réflexions si j’ai passé ‘des sons un peu orientaux’, puisque j’ai pas l’air très marocaine. On veut valider le fait de passer un certain type de musique.
Mais l’identité est complexe et on m’a énormément demandé « tu viens d’où ? » : à chaque fois la réponse est différente. En fonction de l’envie, tu commences à expliquer la complexité de ton identité. Et je pense que dans la musique, c’est aussi comme ça. Parfois, tu te révèles, parfois pas.
À ce sujet justement, pour l’instant tu as quelques singles à ton actif. Est-ce qu’on peut espérer un EP ?
Oui ! Il est fini, mais il faut juste le masteriser. Ça sort en juin sur le label de Jennifer Cardini, Dischi Autunno. On a bien travaillé là-dessus. Je dis ‘on’ parce que Jennifer m’a donné des conseils. Ce sera un quatre-titres, pas de remix, juste des morceaux originaux. C’est un mélange de plusieurs choses. Il y a une influence vague progressive/house, mais dans les rythmiques. Je pense que tous les tracks sont hybrides. Je n’arrive pas à dire quel genre c’est. Pour moi, c’est plus que le spectre s’agrandit, s’élargit. Un peu comme l’identité, en fait. J’ai hâte de voir ce que les gens vont en penser.
Pour terminer, je voulais te demander si tu as une anecdote de live ou de festival, à nous partager ?
Je pense au SIRK Festival, puisqu’on vient de croiser Madben. Un super festival à Dijon. En artistes programmés il y avait justement Madben, Marcel Dettman... Moi, à l’époque, je faisais vraiment beaucoup d’indie-dance, d’art-disco, voire de l’italo-disco. Je savais que l’enchaînement que j’avais préparé fonctionnait super bien et en plus je le connaissais par cœur.
Je commence, et c’était plein. Je fais mon set pendant une demi-heure et tout le monde me regarde, mais personne ne bouge. Je me dis ‘Mais c’est des teufeurs, c’est pas possible.’ Ils ne bougeaient absolument pas, complètement insensibles à cette musique-là. À ce moment-là, je ne sais pas si mon rythme cardiaque s’accélère ou s’il est inexistant. Pour moi, c’était un mélange. Heureusement, j’avais une petite playlist techno que j’aimais bien. Donc je suis passée sur ma playlist…
En fait, j’ai fait un virage 180°. En utilisant ce que j’appelle des « tracks-clés ». Des tracks qui mélangent les styles, pas énormément de synthés, une très bonne basse et un très bon kick. Ça permet de faire un pivot sur d’autres morceaux. Et wow, j’ai rien compris. Les gens sont devenus fous, ils criaient même. Comme quoi, les gens se souviennent toujours de la fin du set. Donc, tu peux te planter au milieu mais pas à la fin.