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©Nicolas Bresson
17 mai 2024

Nuits Sonores entre hangars | LIVE REPORT

par Tsugi

Pour l’incontournable festival lyonnais, Nuits Sonores, le millésime 2024 était celui du changement dans la continuité. Changement avec le départ de Vincent Carry et le déplacement de son site principal dans un ancien technicentre de la SNCF. Continuité avec une fréquentation stable, une dimension urbaine/industrielle toujours aussi affirmée et une programmation éclectique, parfois populaire, souvent exigeante. On y était.

Article rédigé par Nicolas Bresson

On ne va pas vous le cacher, lorsque Vincent Carry a annoncé à la rentrée dernière qu’il quittait ses fonctions au sein de Nuits Sonores cela nous a fait un petit quelque chose. Le directeur du festival, aussi emblématique que médiatique, nous semblait être un personnage immuable de la scène électronique française, un porte-parole convaincu et convainquant, et le garant d’une ligne artistique sans faille. Puis, l’on a été rassuré par le fait qu’il demeurait à la tête d’Arty Farty – l’association organisatrice – et surtout qu’il confiait les rênes à sa collègue de longue date Frédérique Joly, elle aussi cofondatrice historique de l’événement.

Nuits Sonores

©Nicolas Bresson

Autre préoccupation avant d’aborder cette 21ème édition, le changement de lieu, après plusieurs années de relative stabilité entre les usines Fagor-Brandt – dans le 7ème arrondissement – et l’incontournable Sucrière dans le quartier de Confluence. Certes, Nuits Sonores nous a habitué par le passé à nous faire voyager au sein du patrimoine industriel lyonnais – usines SLI et Brossette, Marché Gare, Salins du Midi – mais pour la première fois, à défaut de « passer le périph » nous étions invités à rejoindre La Mulatière, une sorte de banlieue dortoir sans charme particulier. Un lieu en réalité très proche du cœur de ville, à quelques centaines de mètres de Confluence et d’où l’on pouvait apercevoir la figure tutélaire de la Basilique de Fourvière.

Ajoutons à cela la proximité immédiate d’une station de métro et le dépaysement n’était au final que très relatif. Le nouveau lieu des festivités diurnes de Nuits Sonores se nomme donc Les Grandes Locos, un ancien technicentre de la SNCF fermé en 2019 – on y entretenait des trains – et son esthétique générale nous était également très familière. De grands hangars faits de béton, de briques, de métal, des rails au sol – logique – ainsi que de grands espaces extérieurs bitumés. On a toujours aimé l’aspect industriel du festival et sur ce point-là nous n’avons pas été déçus.

 

« Right Here, Right Now »

Alors que les grands gourous de l’IDM britannique Autechre avaient ouvert le bal dès le mardi soir pour un concert spécial au Transbordeur nous n’avons rejoint les Nuits Sonores qu’à partir du vendredi. Un fâcheux contretemps dû à un problème mécanique sur un vélo – dont on vous épargnera les détails – nous a hélas empêché de voir le live de nos chouchous rétro-acid Paranoid London. On arrive donc pile au moment où l’une des deux stars du jour – qui ont permis à ce Day 3 d’être le premier à afficher complet, plusieurs semaines à l’avance – monte sur scène.

Nuits Sonores

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Norman Cook alias Fatboy Slim, 60 ans, est le genre de vétéran ayant connu un immense succès – l’album You’ve Come A Long Way, Baby en 1998 – et qui estime assez logiquement qu’il n’a plus rien à prouver. Il vient faire plaisir à son public en lui donnant ce qu’il a envie d’entendre. Ses propres tubes réédités avec une rythmique plus actuelle, tech-house, un clin d’œil à ses copains du Big Beat The Chemical Brothers – qui ont assurément mieux vieilli que lui – et de nombreuses références à la pop notamment avec la voix de Freddie Mercury en ouverture. C’est certes très efficace et la partie vidéo diffusée sur un écran géant est plutôt réussie.

Il est aussi amusant de voir un public, dont la moyenne d’âge dépasse allègrement les 35 ans, s’éclater comme lors de sa première rave. Mais à y regarder de plus près on sent bien qu’on est plus proche d’une « performance » EDM pré-enregistrée que d’un véritable DJ set. « C’était la même chose qu’à Creamfields y a deux ans » lira-t-on plus tard sur les réseaux sociaux. En tout cas, Norman semble plus s’amuser avec sa corne de brume de supporter ramenée pour l’occasion qu’avec les potards de sa table de mixage. C’est un show, une sorte de bal de mariage géant, mais ce n’est pas exactement ce qu’on vient chercher d’ordinaire aux Nuits Sonores.

 

Nuits Sonores : une vie après l’EDM

Après avoir photographié le natif de Brighton on part donc découvrir le reste du lieu. Immense, bien plus grand que la Sucrière ou même les usines Fagor. La bonne idée d’Arty Farty ayant été de limiter la jauge à 11 500 personnes il y a de nombreux espaces, des tables pour se restaurer, on ne se marche pas dessus. Enfin presque. En effet la seconde tête d’affiche de la soirée avait été étrangement programmée sur une scène secondaire, certes en plein air mais coincée entre deux hangars – tous les espaces des Grandes Locos ne sont pas encore exploitables, pour cela il faudra attendre 2027.

Ayant rameuté une bonne moitié des festivaliers, l’ambiance ici est donc un peu oppressante, on ressent même de la nervosité. Pourtant Skrillex est l’une des bonnes surprises du jour. Lui aussi a connu la scène EDM, les shows avec canons de C02 et feux d’artifices de Las Vegas mais il semble ces dernières années vouloir se racheter une crédibilité. Il a même changé de look, ne ressemblant plus à un grand adolescent attardé tendance emo.

Nuits Sonores

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On l’a même vu récemment convié à jouer au Berghain. Exit le dubstep US fait de wobbles stridents et de drops incessants. Il manie différentes rythmiques, techno, tech-house, drum’n’bass, dubstep plus à l’anglaise. On reconnait parfois sa marque de fabrique mais de manière plus feutrée. Généreux avec ses fans il s’est ensuite produit pour un after-show de quatre heures au Transbordeur. Classe.

On passe ensuite écouter rapidement Jennifer Cardini dans le hangar principal qui joue une techno légèrement trancey parfaitement adaptée au lieu. Mais c’est dans un second hangar que notre nostalgie pour le hardcore old-school nous fera terminer la soirée. C’est là qu’est programmé Gabber Eleganza pour une performance baptisée « The Hakke Show » avec une demi-douzaine de danseurs en jogging et air-max, sincère et touchant hommage à la contre-culture hollandaise et avec une playlist essentiellement constituée de morceaux antérieurs à 1995. Un petit parfum de la scène old-school « Thundergods » de Thunderdome flottait à ce moment-là sur La Mulatière. Génial !

 

Vieilles gloires et jeunes énervés
Nuits Sonores

©Nicolas Bresson

Changement d’ambiance le samedi où l’on arrive beaucoup plus tôt – le vélo est réparé – pour la performance audio-visuelle du maître japonais de l’IDM Ryoji Ikeda. Une musique très rythmique et complexe, mais puissamment émotionnelle et parfaitement complétée par des visuels noirs et blancs dynamiques et immersifs. Une belle entrée en matière avant le live tout aussi excellent de Canblaster dont on avait récemment fort apprécié l’album/mixtape Genesis. Du son breakbeat/bass-music/house d’essence britannique renforcé par l’utilisation de synthés modulaires qui font toujours leur petit effet.

On file ensuite voir la légende du highlife ghanéen Ebo Taylor – une des rares performances dépourvues d’électronique que l’on verra cette année – présent dans le cadre d’une « tournée d’adieu ». À 88 ans le grand monsieur est en effet très fatigué, débarquant sur scène en fauteuil roulant alors que ses musiciens – dont plusieurs de ses fils – jouaient déjà depuis 45 minutes. Se montrant incapable d’interpréter son classique « Love And Death« , on l’aura surtout vu à défaut de l’entendre. Triste.

 

Nuits Sonores

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La suite de la journée aux Grandes Locos est moins passionnante, Richie Hawtin déroule une techno minimaliste sans grande conviction – il n’a pas encore l’excuse du grand âge pourtant – quand Héctor Oaks plastronne comme un bourrin une techno à 150 BPM – il n’est que 21 heures. Alors que VTSS et Evian Christ se lancent dans un set de fast techno / trance sans intérêt on file alors au H7 – un autre hangar situé lui à Confluence pour un événement nocturne dédié lui à une techno plus habitée et authentique.

 

À lire aussi sur tsugi.fr : Richie Hawtin & Steve Reich, des boucles étranges (1/2)

 

Mention spéciale au plus parisien des new-yorkais Ron Morelli avec un set deep, mental et groovy et à Rrose dont le live est toujours aussi perché et percutant. Il était rassurant de voir une foule de jeunes danseurs se donner corps et âmes sur une techno pointue alors que la tendance actuelle privilégie plutôt la vitesse et la facilité. L’âme du festival, attirant du public avec quelques gros noms pour lui faire découvrir ensuite des artistes plus captivants et/ou innovants, demeure intacte.

 

Meilleur moment :  Il faut reconnaitre que la nouvelle génération de fêtards est plus polie, s’excuse quand elle vous bouscule sur le dancefloor. Un truc qui s’était complètement perdu – en France – durant les décennies 2000 et 2010.
Pire moment : Devoir dire adieu à Ebo Taylor. Merci pour tout maestro.

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