Roy Ayers, une vie de vibrations | PORTRAIT
Décédé à l’âge de 84 ans, le vibraphoniste américain Roy Ayers a marqué les musiques noir-américaines dans leur diversité, devenant une figure tutélaire pour les artistes hip-hop et neo soul des générations suivantes. Son titre Everybody Loves The Sunshine résonne dans les esprits de tous les amoureux de musique et de vibrations positives.
Article de Brice Miclet pour tsugi.fr
« Je suis immédiatement tombé amoureux des vibrations. » Cette phrase simple, prononcée par Roy Ayers lors d’une interview en 2016, peut paraître anodine. Mais puisque son instrument premier fut le vibraphone et que ça musique permet à qui peut l’entendre du tutoyer, un peu, la grâce et l’essence même des musiques noir-américaines, cette histoire de vibrations, qu’elles soient palpables ou ésotérique, est centrale chez le musicien.
Le voilà d’ailleurs qui s’en va, dernier soupçon d’énergie, ultime essor après une carrière démarrée en 1958 et une vie en 1940, soit il y a 84 ans, poussant une grande partie du monde à réécouter son morceau phare « Everybody Loves The Sunshine » et toutes ces chansons qui ont composé sa stature. Comme le soleil, tout le monde ou presque aimait Roy Ayers. En tout cas, peu étaient les hermétiques à cette musique apaisante et franchement cosmique répartie sur un nombre incalculable d’albums (une quarantaine environ).
Positif et politique
Il faut dire qu’il partait avec des bases solides, le Roy. Né à Los Angeles dans une famille de musiciens, il tâte du trombone et du piano dès son plus jeune âge, est même patronné très tôt par des pontes. « Mes parents m’ont emmené voir Lionel Hampton en concert quand j’avais cinq ans, se remémorait-il. Après le show, il m’a offert un vibraphone qui tenait dans une petite mallette. Je me suis mis à en jouer naturellement. » Lancé dans une carrière de sideman dès ses 17 ans, accompagnant Vi Redd ou Curtis Amy, il est ensuite produit par le flûtiste de jazz Herbie Mann sur ses trois premiers albums parus entre 1966 et 1970.
Puis il part fonder son propre groupe, Roy Ayers Ubiquity, entamant une discographie fascinante et travaillant également sur des bande-originales de films de la Blaxploitation ou pour d’autres artistes soul, rhythm & blues et disco. Des années 1970, il y a bien sûr des classiques de la soul music, mais également un attrait évident pour le ‘good vibes movement’, cette mentalité positive et spirituelle qui habite les albums Red, Black & Green (1973), Change Up The Groove (1976), ou encore Everybody Loves The Sunshine (1976), et qui tranchait quelque peu avec les discours sonores engagés de Curtis Mayfield ou le « What’s Going On » de Marvin Gaye.
Mais entre les lignes et derrière la naïveté apparente, Roy Ayers a toujours été attiré par la question politique. Il explorait, par les thèmes et les couleurs, la notion de panafricanisme, celle-là même qui l’amènera à collaborer avec Fela Kuti, fer de lance de l’afrobeat nigérian, dans un album intitulé Music Of Many Colours et sorti en 1979.
Le respect des générations futures
Si les hommages pleuvent au moment de sa disparition, c’est aussi parce que Roy Ayers a été d’une influence folle. Pour la fusion entre le funk, la soul music et le jazz, bien sûr, mais également pour le mouvement acid jazz et pour la neo soul des années 1990, qui propulsera D’Angelo, Erykah Badu ou Maxwell sur le devant de la scène. Et puis, parce qu’elle est épurée et d’une grande variété de textures, sa musique a été extrêmement samplée, à l’instar de son magnifique « Hummin’ In The Sun », de « Bonita Applebum » (par A Tribe Called Quest) ou de « Little Brother » (par Black Star).
Prenons le morceau « Everybody Loves The Sunshine », par exemple. Il est possible d’en échantillonner un très grand nombre de passages : la suite d’accord en intro, le synthétiseur mélodique qui la suit, le même passage sans ou avec guitare, avec ou sans piano, les chœurs qui chantent « My life, my life, my life, my life », les six notes de piano qui leurs répondent, le pont mené par un Fender Rhodes… Il n’y a qu’à se servir. De grands producteurs ont exploité ce potentiel assez unique pour le sampling. Dr. Dre y a vu une continuité du son g-funk pour son titre « My Life » en 2005.
Statik Selektah l’a très habilement repatouillé pour le morceau « Shine » de Joey Bada$$ en 2020. Le grand No ID l’a revisité version old-school pour produire « Book Of Life » en 1994, titre présent sur le deuxième album de Common.
Ce dernier était un immense fan de Roy Ayers, ne manquant jamais une occasion de souligner son influence et son importance. Tout comme J Dilla, Q-Tip, Pete Rock ou Questlove, entre autres batteur de The Roots, qui à l’annonce du décès de la figure tutélaire, résumait sa musique par ces mots : « La bande-originale de tous les bâtons d’encens que tu as brûlé dans ta vie. » Perchée, originale et vibrante, tout comme Roy Ayers.
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Article de Brice Miclet pour tsugi.fr