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© Loic Sattler
5 août 2020

Tsugi Podcast 595 : La Fraîcheur & Leonard De Leonard

par Alix Odorico

Amis depuis prés d’une décennie, La Fraîcheur et Leonard De Leonard présentent vendredi 7 août leur quatrième EP à quatre mains : Hystero chez A-TRACTION Records. Une sortie qui en cache une autre puisque les deux copains signent le Tsugi Podcast 595.

Elle, le Yin : le travail à l’instinct, les distorsions, les vocals post-punk, le macaron noir. Lui, le Yang : l’équilibre, la synthèse et l’oreille d’une précision chirurgicale. De ces deux personnalités naît Hystero, quatrième bébé après les EPs Afraid of the Groove en 2017, Sang Chaud (2019) et Sharp Machinery paru le 12 juin dernier. Produit à la fois de façon numérique et modulaire, le maxi est aussi destiné à être joué en live, projet récemment défendu par les deux artistes. Composés entre leur studio respectivement barcelonais et berlinois, les tracks fusent comme un cheval galopant à toute vitesse sans jamais s’arrêter, ou presque. Une musique coup-de-poing, à leur image.

La Fraîcheur et Leonard De Leonard livrent aussi à Tsugi leur dernier podcast, où la matière grise de deux « cerveaux qui ne sont pas câblés de la même façon » a engendré près d’une heure de mix aux confins de l’indus, de l’acid, du post-punk et de l’EBM. La tracklist (visible ci-dessous) adresse au passage le clin d’œil à « une bonne dose de productrices méritant leur place, ainsi que quelques releases d’A-TRACTION Records ». Le label fêtait au passage ses 20 ans cette année (l’événement du 24 avril a été annulé mais remplacé par une série de mix en résidence chez Rinse France le 29 avril).

Comment s’est passée la production de cet EP et comment travaillez-vous en studio ?

Leonard De Leonard : On l’a composé entre mon studio à Berlin – où on s’organise de longues sessions, entre les gigs de Perrine quand elle vient jouer ici – et le sien à Barcelone où on se fait des « résidences » chez elle. J’ai rempli ma valise de matos et d’un boitier de modulaire, puis on s’est immergé pendant une semaine. Pendant ces sessions, on a essayé de finaliser au maximum les morceaux, puis j’ai bossé sur le mix et le mastering à Berlin. Dès que c’était fait, Perrine m’a fait des retours, notamment après avoir testé les morceaux en club, puis j’ai finalisé le tout. En général, si on n’est vraiment pas d’accord sur un point ou qu’il y a trop de contradictions sur un passage, on laisse le morceau de côté et on prend les décisions ensemble dès qu’on se retrouve en studio, à l’hôtel ou à l’aéroport lorsqu’on fait le live ensemble, c’est beaucoup plus rapide.

La Fraîcheur : Concrètement, on bosse tous les deux sur le sound design, la structure et la prise de décision est super rapide et fluide. Quand on travaille ensemble, il n’y a pas de temps perdu à se confronter au doute créatif puisqu’on est chacun le plus grand supporter de l’autre, donc ça booste la confiance et ça allège énormément le processus. On rebondit chacun sur les idées de l’autre, puis quand les cerveaux commencent à fatiguer ou que l’un d’entre nous semble bloqué, le second a toujours une solution. On finit donc par pouvoir faire de la musique de manière vraiment ludique et assez rapide (beaucoup plus que lorsque je bosse en solo). Le résultat est le fruit d’une combinaison de nos univers, et on peut tous les deux être fiers.e d’y attacher notre nom.

« On n’a pas du tout le même parcours concernant l’apprentissage du studio et de la production, et nos cerveaux ne sont pas câblés de la même façon, donc on rebondit chacun sur les compétences de l’autre. »

Cela fait presque dix ans que vous collaborez ensemble, ça se passe toujours aussi bien ? 

La Fraîcheur : Cela fait effectivement près d’une décennie que nous sommes meilleurs potes et voisins avec Leo. On a multiplié les projets (label, radio shows, soirées, productions, entre autres). C’est naturel de bosser avec lui parce qu’on se connaît par cœur. Il y a du respect mutuel et de la confiance, qui sont de solides bases pour cette collaboration, à la fois productive et « kiffante » parce qu’on est ouvert aux idées de l’autre, auxquelles on donne de la valeur, tout en étant capable de démonter rapidement une idée « de merde » avec une blague « pourrie » quand ça se présente. On n’a pas du tout le même parcours concernant l’apprentissage du studio et de la production, et nos cerveaux ne sont pas câblés de la même façon, donc on rebondit chacun sur les compétences de l’autre. Leo possède une oreille d’une précision incroyable, ce qui aide beaucoup quand on aime les couches de sons distordus et lorsque l’on a tendance à toujours vouloir en mettre plus comme moi. Il faut trouver un équilibre parfait et de la place pour chaque son. Mon approche complètement autodidacte et instinctive des machines m’a permis de créer des idées et des sons auxquels il n’aurait pas pensé car techniquement, elles ne sont pas forcément « logiques ». Mais du coup, l’impulsion créative est là.

Leonard De Leonard : On a bossé sur tellement de trucs différents et passé tellement de temps ensemble humainement qu’on se connaît super bien donc les choses se déroulent naturellement. Même si on n’est pas toujours d’accord sur certains détails, on est à l’écoute de l’autre et il n’y a pas de problème d’ego. On a des personnalités assez différentes mais je pense que c’est ce qui fait que l’on se complète, et on le sent sur ce podcast.

On a l’impression qu’il y a, sur la scène électronique française ces derniers temps, un peu moins de techno indus, remplacée pas des sonorités plus breakées et expérimentales. Vous le ressentez comment ?

La Fraîcheur : Je suis pour que l’on sorte de la techno d’autoroute 4/4 aux loops sans fin. Déjà, on a besoin de se rappeler qu’il n’y a pas « la techno » mais « des technos », et surtout qu’il n’y a pas de hiérarchie entre elles. Les guerres de chapelles sont vraiment contre-productives à mon sens… Ça se regarde le nombril par manque de confiance. Heureusement qu’il y a des productions plus « cheloues » et hybrides qui, soit remettent une formule au goût du jour dans une nostalgie cyclique qui a toujours fait partie de l’histoire de l’art et de la musique – comme le breakbeat des années 90 –, soit qui sont là pour exploser les codes d’une musique techno dont l’intérêt grandissant sur les scènes des clubs et festivals depuis quelque temps a agrandi l’audience et rendu par la même occasion beaucoup de musiciens paresseux… Et puis les ruptures de rythme et les décalages des structures classiques du type : intro a mixer – première partie – break – deuxième partie – outro a mixer, apportent de véritables bouffées d’air frais dans un set. Cela permet de créer des respirations et une évolution par paliers plutôt qu’un rendu linéaire et prévisible. Cela dit, je tiens à dire qu’il y a encore des gens qui font de la super indus en France comme Porteix par exemple.

« Sans aides à la reprise ou à l’arrêt d’activité, beaucoup d’artistes, moi comprise, vont devoir penser à abandonner leur carrière créative pour pouvoir tout simplement assurer leur quotidien. »

La Fraîcheur. © Elodie Le Gall.

Comment vois-tu l’avenir, avec la Covid-19 et toutes les difficultés relatives, Perrine ?

La Fraîcheur : Franchement, avec la crise qu’on vit, c’est difficile à dire… Cela fait cinq mois que je n’ai pas de travail, donc pas de revenus, et ça ne va pas s’arranger de sitôt. Il faut être réaliste. Sans aides à la reprise ou à l’arrêt d’activité, beaucoup d’artistes, moi comprise, vont devoir penser à abandonner leur carrière créative pour pouvoir tout simplement assurer leur quotidien. Ce n’est pas cool ou glamour de parler de la réalité de notre travail différente de l’image que l’industrie nous impose, de promouvoir par le vernis des réseaux sociaux et son bouclier fictif de positivisme, mais c’est comme ça. Aujourd’hui, nous sommes précaires. Demain, je ne sais pas. On réfléchit tous.tes à comment se reconvertir et survivre après avoir consacré toute notre énergie, nos compétences, notre temps et nos finances pendant des années, consacrés au développement d’une carrière qui a disparue du jour au lendemain sous nos yeux. J’ai appris à tatouer en stick and poke par exemple, et je déverse ma frustration, ma colère, mes angoisses et mes besoins créatifs sur mes dessins.

Heureusement, j’ai encore un projet musical qui m’enthousiasme : celui de la composition de la bande-son d’une pièce de danse contemporaine : M.A.D, par le chorégraphe Julien Grosvalet et sa compagnie R14. On croise les doigts pour qu’on ne nous annule pas notre prochaine résidence d’artiste en septembre, comme ça a pu être le cas pour les précédentes résidences de 2020 à cause de la Covid-19, et on espère que la France m’autorisera à voyager depuis la Catalogne pour pouvoir y participer. Les premières auront lieu en janvier 2021 au Stereolux de Nantes et au VIP de St Nazaire, puis à Charleroi en Belgique. On a beaucoup de travail à faire et c’est le genre de création qu’on ne peut pas réaliser à distance, puisque les danseurs et moi-même avons besoin d’être dans la même pièce pour créer ! Je jouerais la soundtrack en live avec eux, c’est un projet super excitant ! On a d’autres sorties prévues sur vinyle avec Leonard chez les Berlinois de Gegen Records et les New-Yorkais de Sheik’n’Beik. Ça aide à garder le moral !

Tracklist du podcast

1. Jõrgen Thorvald – Light Spy // Walking Rec
2. La Fraicheur & Leonard de Leonard – Hystero // A-Traction Records
3. Chloé Martinez – Antebellum // Endurance Records
4. La Fraicheur & Leonard de Leonard – Sharp Machinery // Leonizer Records
5. EpZ – Subliminal (Rave Syndicate Remix) // SMR Underground
6. La Fraicheur & Leonard de Leonard – Rubber Murder // A-Traction Records
7. Kasey Riot – Tocsin
8. David Asko – Techno Therapy (La Fraicheur Remix) // A-Traction Records
9. La Fraicheur & Leonard de Leonard – Cheveux // A-Traction Records
10. 909Resistance – Detrone (Lacchesi Remix)
11. Cora Novoa – The Hive (Louisahhh Remix) // Citizen Records
12. La Fraicheur & Leonard de Leonard – Rubber Murder (Marc Ayats & Southsoniks remix) // A-Traction Records

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