© Loic Sattler

Tsugi Podcast 595 : La Fraîcheur & Leonard De Leonard

Amis depuis prés d’une décen­nie, La Fraîcheur et Leonard De Leonard présen­tent ven­dre­di 7 août leur qua­trième EP à qua­tre mains : Hys­tero chez A‑TRACTION Records. Une sor­tie qui en cache une autre puisque les deux copains sig­nent le Tsu­gi Pod­cast 595.

Elle, le Yin : le tra­vail à l’in­stinct, les dis­tor­sions, les vocals post-punk, le mac­aron noir. Lui, le Yang : l’équili­bre, la syn­thèse et l’or­eille d’une pré­ci­sion chirur­gi­cale. De ces deux per­son­nal­ités naît Hys­tero, qua­trième bébé après les EPs Afraid of the Groove en 2017, Sang Chaud (2019) et Sharp Machin­ery paru le 12 juin dernier. Pro­duit à la fois de façon numérique et mod­u­laire, le maxi est aus­si des­tiné à être joué en live, pro­jet récem­ment défendu par les deux artistes. Com­posés entre leur stu­dio respec­tive­ment barcelon­ais et berli­nois, les tracks fusent comme un cheval galopant à toute vitesse sans jamais s’ar­rêter, ou presque. Une musique coup-de-poing, à leur image.

La Fraîcheur et Leonard De Leonard livrent aus­si à Tsu­gi leur dernier pod­cast, où la matière grise de deux « cerveaux qui ne sont pas câblés de la même façon » a engen­dré près d’une heure de mix aux con­fins de l’in­dus, de l’acid, du post-punk et de l’EBM. La track­list (vis­i­ble ci-dessous) adresse au pas­sage le clin d’œil à « une bonne dose de pro­duc­tri­ces méri­tant leur place, ain­si que quelques releas­es d’A-TRACTION Records ». Le label fêtait au pas­sage ses 20 ans cette année (l’événement du 24 avril a été annulé mais rem­placé par une série de mix en rési­dence chez Rinse France le 29 avril).

Com­ment s’est passée la pro­duc­tion de cet EP et com­ment travaillez-vous en studio ?

Leonard De Leonard : On l’a com­posé entre mon stu­dio à Berlin – où on s’organise de longues ses­sions, entre les gigs de Per­rine quand elle vient jouer ici – et le sien à Barcelone où on se fait des « rési­dences » chez elle. J’ai rem­pli ma valise de matos et d’un boiti­er de mod­u­laire, puis on s’est immergé pen­dant une semaine. Pen­dant ces ses­sions, on a essayé de finalis­er au max­i­mum les morceaux, puis j’ai bossé sur le mix et le mas­ter­ing à Berlin. Dès que c’é­tait fait, Per­rine m’a fait des retours, notam­ment après avoir testé les morceaux en club, puis j’ai final­isé le tout. En général, si on n’est vrai­ment pas d’ac­cord sur un point ou qu’il y a trop de con­tra­dic­tions sur un pas­sage, on laisse le morceau de côté et on prend les déci­sions ensem­ble dès qu’on se retrou­ve en stu­dio, à l’hô­tel ou à l’aéro­port lorsqu’on fait le live ensem­ble, c’est beau­coup plus rapide.

La Fraîcheur : Con­crète­ment, on bosse tous les deux sur le sound design, la struc­ture et la prise de déci­sion est super rapi­de et flu­ide. Quand on tra­vaille ensem­ble, il n’y a pas de temps per­du à se con­fron­ter au doute créatif puisqu’on est cha­cun le plus grand sup­port­er de l’autre, donc ça booste la con­fi­ance et ça allège énor­mé­ment le proces­sus. On rebon­dit cha­cun sur les idées de l’autre, puis quand les cerveaux com­men­cent à fatiguer ou que l’un d’entre nous sem­ble blo­qué, le sec­ond a tou­jours une solu­tion. On finit donc par pou­voir faire de la musique de manière vrai­ment ludique et assez rapi­de (beau­coup plus que lorsque je bosse en solo). Le résul­tat est le fruit d’une com­bi­nai­son de nos univers, et on peut tous les deux être fiers.e d’y attach­er notre nom.

On n’a pas du tout le même par­cours con­cer­nant l’ap­pren­tis­sage du stu­dio et de la pro­duc­tion, et nos cerveaux ne sont pas câblés de la même façon, donc on rebon­dit cha­cun sur les com­pé­tences de l’autre.”

Cela fait presque dix ans que vous col­la­borez ensem­ble, ça se passe tou­jours aus­si bien ? 

La Fraîcheur : Cela fait effec­tive­ment près d’une décen­nie que nous sommes meilleurs potes et voisins avec Leo. On a mul­ti­plié les pro­jets (label, radio shows, soirées, pro­duc­tions, entre autres). C’est naturel de boss­er avec lui parce qu’on se con­naît par cœur. Il y a du respect mutuel et de la con­fi­ance, qui sont de solides bases pour cette col­lab­o­ra­tion, à la fois pro­duc­tive et « kif­fante » parce qu’on est ouvert aux idées de l’autre, aux­quelles on donne de la valeur, tout en étant capa­ble de démon­ter rapi­de­ment une idée « de merde » avec une blague « pour­rie » quand ça se présente. On n’a pas du tout le même par­cours con­cer­nant l’ap­pren­tis­sage du stu­dio et de la pro­duc­tion, et nos cerveaux ne sont pas câblés de la même façon, donc on rebon­dit cha­cun sur les com­pé­tences de l’autre. Leo pos­sède une oreille d’une pré­ci­sion incroy­able, ce qui aide beau­coup quand on aime les couch­es de sons dis­tor­dus et lorsque l’on a ten­dance à tou­jours vouloir en met­tre plus comme moi. Il faut trou­ver un équili­bre par­fait et de la place pour chaque son. Mon approche com­plète­ment auto­di­dacte et instinc­tive des machines m’a per­mis de créer des idées et des sons aux­quels il n’au­rait pas pen­sé car tech­nique­ment, elles ne sont pas for­cé­ment « logiques ». Mais du coup, l’impulsion créa­tive est là.

Leonard De Leonard : On a bossé sur telle­ment de trucs dif­férents et passé telle­ment de temps ensem­ble humaine­ment qu’on se con­naît super bien donc les choses se déroulent naturelle­ment. Même si on n’est pas tou­jours d’ac­cord sur cer­tains détails, on est à l’é­coute de l’autre et il n’y a pas de prob­lème d’ego. On a des per­son­nal­ités assez dif­férentes mais je pense que c’est ce qui fait que l’on se com­plète, et on le sent sur ce podcast.

On a l’im­pres­sion qu’il y a, sur la scène élec­tron­ique française ces derniers temps, un peu moins de tech­no indus, rem­placée pas des sonorités plus breakées et expéri­men­tales. Vous le ressen­tez comment ?

La Fraîcheur : Je suis pour que l’on sorte de la tech­no d’autoroute 4/4 aux loops sans fin. Déjà, on a besoin de se rap­pel­er qu’il n’y a pas « la tech­no » mais « des tech­nos », et surtout qu’il n’y a pas de hiérar­chie entre elles. Les guer­res de chapelles sont vrai­ment contre-productives à mon sens… Ça se regarde le nom­bril par manque de con­fi­ance. Heureuse­ment qu’il y a des pro­duc­tions plus « che­loues » et hybrides qui, soit remet­tent une for­mule au goût du jour dans une nos­tal­gie cyclique qui a tou­jours fait par­tie de l’histoire de l’art et de la musique – comme le break­beat des années 90 –, soit qui sont là pour explos­er les codes d’une musique tech­no dont l’in­térêt gran­dis­sant sur les scènes des clubs et fes­ti­vals depuis quelque temps a agran­di l’audience et ren­du par la même occa­sion beau­coup de musi­ciens paresseux… Et puis les rup­tures de rythme et les décalages des struc­tures clas­siques du type : intro a mix­er — pre­mière par­tie — break — deux­ième par­tie — out­ro a mix­er, appor­tent de véri­ta­bles bouf­fées d’air frais dans un set. Cela per­met de créer des res­pi­ra­tions et une évo­lu­tion par paliers plutôt qu’un ren­du linéaire et prévis­i­ble. Cela dit, je tiens à dire qu’il y a encore des gens qui font de la super indus en France comme Porteix par exemple.

Sans aides à la reprise ou à l’arrêt d’activité, beau­coup d’artistes, moi com­prise, vont devoir penser à aban­don­ner leur car­rière créa­tive pour pou­voir tout sim­ple­ment assur­er leur quotidien.”

La Fraîcheur. © Elodie Le Gall.

Com­ment vois-tu l’avenir, avec la Covid-19 et toutes les dif­fi­cultés rel­a­tives, Perrine ?

La Fraîcheur : Franche­ment, avec la crise qu’on vit, c’est dif­fi­cile à dire… Cela fait cinq mois que je n’ai pas de tra­vail, donc pas de revenus, et ça ne va pas s’arranger de sitôt. Il faut être réal­iste. Sans aides à la reprise ou à l’arrêt d’activité, beau­coup d’artistes, moi com­prise, vont devoir penser à aban­don­ner leur car­rière créa­tive pour pou­voir tout sim­ple­ment assur­er leur quo­ti­di­en. Ce n’est pas cool ou glam­our de par­ler de la réal­ité de notre tra­vail dif­férente de l’im­age que l’industrie nous impose, de pro­mou­voir par le ver­nis des réseaux soci­aux et son boucli­er fic­tif de pos­i­tivisme, mais c’est comme ça. Aujour­d’hui, nous sommes pré­caires. Demain, je ne sais pas. On réflé­chit tous.tes à com­ment se recon­ver­tir et sur­vivre après avoir con­sacré toute notre énergie, nos com­pé­tences, notre temps et nos finances pen­dant des années, con­sacrés au développe­ment d’une car­rière qui a dis­parue du jour au lende­main sous nos yeux. J’ai appris à tatouer en stick and poke par exem­ple, et je déverse ma frus­tra­tion, ma colère, mes angoiss­es et mes besoins créat­ifs sur mes dessins.

Heureuse­ment, j’ai encore un pro­jet musi­cal qui m’en­t­hou­si­asme : celui de la com­po­si­tion de la bande-son d’une pièce de danse con­tem­po­raine : M.A.D, par le choré­graphe Julien Gros­valet et sa com­pag­nie R14. On croise les doigts pour qu’on ne nous annule pas notre prochaine rési­dence d’artiste en sep­tem­bre, comme ça a pu être le cas pour les précé­dentes rési­dences de 2020 à cause de la Covid-19, et on espère que la France m’autorisera à voy­ager depuis la Cat­a­logne pour pou­voir y par­ticiper. Les pre­mières auront lieu en jan­vi­er 2021 au Stere­olux de Nantes et au VIP de St Nazaire, puis à Charleroi en Bel­gique. On a beau­coup de tra­vail à faire et c’est le genre de créa­tion qu’on ne peut pas réalis­er à dis­tance, puisque les danseurs et moi-même avons besoin d’être dans la même pièce pour créer ! Je jouerais la sound­track en live avec eux, c’est un pro­jet super exci­tant ! On a d’autres sor­ties prévues sur vinyle avec Leonard chez les Berli­nois de Gegen Records et les New-Yorkais de Sheik’n’Beik. Ça aide à garder le moral !

Track­list du podcast

1. Jõrgen Thor­vald — Light Spy // Walk­ing Rec
2. La Fraicheur & Leonard de Leonard — Hys­tero // A‑Traction Records
3. Chloé Mar­tinez — Ante­bel­lum // Endurance Records
4. La Fraicheur & Leonard de Leonard — Sharp Machin­ery // Leoniz­er Records
5. EpZ — Sub­lim­i­nal (Rave Syn­di­cate Remix) // SMR Underground
6. La Fraicheur & Leonard de Leonard — Rub­ber Mur­der // A‑Traction Records
7. Kasey Riot — Tocsin
8. David Asko — Tech­no Ther­a­py (La Fraicheur Remix) // A‑Traction Records
9. La Fraicheur & Leonard de Leonard — Cheveux // A‑Traction Records
10. 909Resistance — Detrone (Lac­ch­esi Remix)
11. Cora Novoa — The Hive (Louisah­hh Remix) // Cit­i­zen Records
12. La Fraicheur & Leonard de Leonard — Rub­ber Mur­der (Marc Ayats & South­soniks remix) // A‑Traction Records

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