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©Dour Festival
10 juin 2021

Alors qu’ils sont autorisés, pourquoi certains festivals choisissent d’annuler ou reporter ?

par Carla Thorel

La saison des festivals est imminente et se concrétise au fur et à mesure que les restrictions sanitaires tombent. Bien qu’autorisés sous conditions, on a pu remarquer – toujours avec tristesse – que certains festivals annulaient ou reportaient leur édition 2021, mettant directement cap sur 2022. Pour mieux comprendre cette décision, nous nous sommes entretenus avec ceux qui ont fait ce choix, et ceux qui ne l’ont pas fait.

2020, année chaotique. Bien que balayée derrière nous, ses séquelles se font encore sentir un an après, à l’image notamment des multiples restrictions gouvernementales qui incombent le monde des festivals. Récapitulons. D’après les dernières prises de parole, les festivals pourront bien se tenir à compter du 9 juin. Jusqu’ici, grande nouvelle quand on se remémore le désert musical que nous traversons depuis une année. Il faut néanmoins lire entre les lignes pour constater que les restrictions exigées pour qu’ils puissent se dérouler ne sont pas si simples à réaliser : un public assis, un quota de 5 000 personnes maximum, une distance de 4m2 à respecter entre chaque festivalier, et présentation d’un pass sanitaire (PCR négatif ou vaccination effectuée) à l’entrée. Bref, de quoi s’amuser autant qu’à la kermesse de votre cousin éloigné.

Mais ça ne fait pas rire tout le monde. Si certains festivals comme les Vieilles Charrues, le Printemps de Bourges, Villette Sonique ou Calvi on the Rocks font le pari de s’adapter à ces nouvelles normes et nous livrer tant bien que mal un semblant de festival, le mouvement #FestivalDebout s’est vite répandu sur Twitter et au sein des médias en voyant se multiplier les annulations à la pelle du Hellfest Festival, Solidays, Rock en Seine, Dour ou encore Biches Festival… Pour mieux comprendre leur décision (ou leur résignation), on a pu discuter avec certains d’entre eux.

« Ce qu’on prône c’est la fête, mais aussi le partage et bien entendu la proximité. Personne ne se serait reconnu dans ce schéma. » Margaux Nicoleau, Biches Festival

Du côté de Saint-Aubin en Normandie, où se tient depuis cinq ans le festival indé Biches Festival, il faudra patienter jusqu’en 2022 pour espérer y recroiser, une bière à la main, les artistes émergents de la scène française. « On y a cru jusqu’au bout » nous confie Margaux Nicoleau, directrice et co-créatrice du festival aux influences rock et new-wave. « On est parti dès juin 2020 plus motivés que jamais sur l’édition 2021. On avait fait le constat un peu naïf que le flou artistique qu’on a vécu l’an dernier allait être loin derrière nous, ou du moins que même si l’on passait par des confinements ou des fermetures, en juin, tout irait bien. » Alors même s’ils avaient mis leurs espoirs sur l’édition 21 fixée aux 11, 12, et 13 juin, « on a du se résoudre à annuler via nos réseaux sociaux. Toutes ces restrictions, en plus d’être irréalisables et surréalistes, ne sont absolument pas compatibles avec nos valeurs. Ce qu’on prône, c’est la fête, mais aussi le partage et bien entendu la proximité. Personne ne se serait reconnu dans ce schéma. »

Ce schéma, c’est une autorisation gouvernementale d’effectuer un festival, mais en lui sucrant tout ce qui fait son sel. Nous pouvons tous s’accorder à dire qu’un festival de jazz n’est pas particulièrement reconnu pour ses pogos. Mais qu’en est-il des musiques électroniques ? Du rap ? De la pop ? Qu’en est-il pour ces registres qui ne peuvent ni se résoudre à rester sur une chaise toute une journée, ou rester comme un Sims, seul dans un rayon de 4m2 ? Il y a deux options pour Margaux, « soit Roselyne Bachelot n’a jamais été en festival de sa vie, soit il s’agit d’une supercherie ». Elle surenchérit : « En fait, c’est la double peine. C’est pire que tout car on nous dit : « Oui oui, vous pouvez faire quelque chose. Mais ce n’est pas notre souci si ça ne s’adapte pas à votre festival, et ce n’est pas notre souci si vous prenez la décision de ne pas le faire. » Je vois ces annonces comme une manière de se dédouaner et de repousser les échéances pour, qui sait, amoindrir les aides de ceux qui auront préféré annuler ? » s’interroge Margaux, déjà soucieuse de la prochaine édition. « Deux ans sans les Biches, ça fait bizarre. J’espère simplement pour 2022 que personne dans l’équipe ne va perdre l’envie. On travaille entre bénévoles, ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus, qu’on n’a pas pu échanger sur nos envies et nos idées. L’enjeu, c’est vraiment de garder notre cohésion d’équipe. »

« Le risque cet été, c’est que tous les festivals se ressemblent. » Damien Dufrasne, Dour Festival

©Dour Festival

Un ADN à sauvegarder

Masques, distanciations, jauges… « Rien de tout cela ne correspond à l’ADN de Dour Festival » tempête son directeur Damien Dufrasne. « Chaque année, on donne vie à un vrai village de fête et de convivialité sur plusieurs jours. Je peux vous dire qu’on n’a pas hésité une seconde à repousser à 2022. Un festival a un ADN qu’on ne peut pas modifier. Se plier aux restrictions en juillet ne nous aurait absolument pas ressemblé, et pire, ça n’aurait pas été rentable ! » Il continue : « Cette année, organiser un festival avec tant de nouveaux paramètres à prendre en compte, c’était trop risqué. On partait déjà avec 250 000 euros de dettes. » Parmi les autres ennuis techniques, il y a la concurrence. Mais avec ces nouvelles normalités à respecter, et une situation sanitaire toujours compliquée entre les pays, les évènements francophones vont être dans l’obligation de jouer local avec leur programmation, ou au mieux de viser européen : « Le risque cet été, c’est que tous les festivals se ressemblent, remarque Damien, ils vont tous être au même moment, devront se plier à des règles leur enlevant toute originalité, et vont devoir composer avec les artistes européens en vogue sollicités partout. Bref, si tu n’as pas de stabilité financière, ça va être compliqué de remplir ton line-up. Toutes ces choses sont à prendre en compte. Un festival ne se met pas en place en un claquement de doigt et on se doit de répondre aux attentes des festivaliers. Je comprends les festivals qui ne veulent pas s’avouer vaincus et préfèrent maintenir, ou déplacer un peu plus tard dans l’été. Mais c’est modifier l’ADN des festivals tel qu’on le connaît. »

« Quand on est programmateur de festival, on n’a pas peur, on agit. » Marie Sabot, We Love Green

D’autres festivals ont fait le choix de ne pas annuler leur édition 2021, mais de s’adapter ou de repousser à plus tard dans l’année, comme We Love Green qui se tiendra du 10 au 12 septembre. L’équipe a même réussi à mettre en place un événement supplémentaire, Wonderland, dont la programmation s’étale sur quatre mois, dans un tiers-lieu en plein air de 6 000 m2 dans le 20e arrondissement de Paris. Marie Sabot, directrice du festival parisien, n’a pas pensé une seconde à se résilier. « Quand on est programmateur de festival, on n’a pas peur, on agit. Depuis l’arrivée du Covid, on ne cesse de travailler. Action, réaction. On travaille en permanence, nous sommes tout le temps en train d’imaginer, modifier, réadapter les projets. On a beaucoup appris sur la nécessité d’anticiper. Repousser à septembre, c’est s’assurer d’avoir un peu plus de temps pour se préparer et pour bien appréhender le futures annonces, s’il y en a. » Membre du syndicat des festivals PRODISS, Marie Sabot a toujours fait partie des acteurs (comme les Eurockéennes, Panoramas ou Musilac) qui ont milité pour une édition 2021. « Ce qu’on veut bien nous donner, on le prend ! La Mairie de Paris nous a de suite soutenue dans notre démarche pour repousser à septembre. Même à 3/4 moins de notre capacité d’accueil [40 000 personnes en temps normal, ndr], on compte bien saisir la chance qu’on nous offre. » Pour Marie, cet été 2021 est crucial. « Le monde des festivals incarne la résilience. Et c’est justement pour ça qu’on ne veut pas attendre 2022 pour mettre nos projets sur pied. On ne veut pas attendre 2022 pour se remettre à faire ce qu’on faisait avant, parce qu’il faut comprendre qu’il n’y aura plus jamais de « avant ». Cette pandémie, je pense qu’elle va tracer des lignes complètement différentes dans le futur de l’évènementiel, et il faut l’accepter pour avancer. » Assis, debout, collés, éloignés, vaccinés ou testés : le show va continuer. Et dans un mois ou dans un an, c’est avec toujours autant de passion que nous y assisterons.

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