Flore Benguigui quitte L’Impératrice
On s’attendait a beaucoup de choses en cette rentrée 2024, mais certainement pas au départ de Flore, chanteuse et autrice du groupe L’Impératrice. Désaccords avec les autres membres du groupe et dénonciations sur la toxicité de l’industrie musicale, c’est le coeur lourd que la jeune femme a annoncé son départ sur les réseaux sociaux jeudi 26 septembre.
Une décision qui ne tombe pas vraiment de nulle part, selon les dires de Flore Benguigui. Sur son compte instagram jeudi soir, la chanteuse nous a expliqué par A + B les raisons de son départ du groupe qu’elle a intégré neuf ans plus tôt. Un choix ni soudain, ni léger, mais plutôt « le fruit d’une réflexion longue et douloureuse » qu’elle a décidé de prendre juste avant la tournée internationale de leur nouvel album Pulsar.
« Fin mai 2024, j’avais prévenu le groupe que je ne pouvais plus continuer. Que j’allais assurer la sortie de l’album et la tournée des festivals d’été déjà commencée, mais qu’il m’était physiquement et psychologiquement impossible de tenir la suite, d’aller jouer cet album avec eux partout dans le monde » précise-t-elle en poursuivant que de « profonds désaccords personnels et artistiques » se sont invités entre elle et les autres membres du groupe, empêchant aujourd’hui une collaboration harmonieuse et saine pour la suite de l’aventure.
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Dans la foulée, elle questionne le fonctionnement de l’industrie musicale et son aspect « toxique et injuste surtout envers les femmes, les victimes, la santé mentale et celleux qu’elle juge ‘trop fragiles pour ce métier’. » Flore déclare qu’elle ne souhaite plus faire partie d’un système qui « même en circuit indépendant, préfère capitaliser sur la sensibilité des artistes pour remporter cette course aveugle et effrénée au succès, plutôt que d’en prendre véritablement soin ». Si le groupe va tout de même assurer la tourner de ce troisième album et continuer sa route à l’avenir avec l’arrivée d’une nouvelle chanteuse, Flore de son côté ne compte pas abandonner la musique.
Même si elle y a parfois songé pour se protéger de tout ce qu’elle pointe du doigt, elle tempère la fin de son post en disant « […] aujourd’hui, je souhaite continuer à chanter et à écrire des chansons, en étant aux commandes et à mon écoute, à mon rythme, en ayant toujours le choix de faire des projets qui me tiennent à cœur ».
En attendant la suite de cette histoire aux chemins qui se séparent, on vous propose de (re)découvrir l’interview de Flore et Charles dans le Tsugi Mag 171 où ils étaient venus présenter l’album Pulsar sorti le 7 juin dernier.
Interview réalisée par Patrice Bardot
« J’ai passé ma vie à danser toute seule » chante Flore sur « Pulsar ». Mais l’objectif de cet album ne serait pas plutôt que les gens dansent ensemble ?
Flore Benguigui : Oui, complètement, mais ça a toujours été un peu l’objectif de tous nos albums, même si celui-là est plus dansant que les autres.
Charles de Boisseguin : L’Impératrice est avant tout un groupe de live, donc l’idée c’est non seulement de faire danser les gens, mais aussi de danser avec eux.
Flore : Danser c’est également un point de départ pour résumer le propos de l’album : le pouvoir dans le collectif, la communication avec les autres. Danser avec des gens, c’est une façon d’être en lien, de partager des émotions avec eux.
Justement, c’est quoi le fil rouge entre toutes ces nouvelles chansons?
Flore : La communication avec le monde, qui permet d’être autonomisés. Le fait d’être traversés par toutes sortes d’émotions, mais de les partager avec les autres. Un mélange de choses simples et d’autres plus profondes. Cela va de l’envie de danser, d’exprimer sa féminité, le besoin d’être à l’aise dans son corps. On explore tout ça dans les textes.
Charles : Dans la musique, il y a aussi ce fil conducteur de la danse. C’est ce que l’on recherche depuis nos débuts. Historiquement, L’Impératrice a toujours emprunté au funk, au disco, au jazz-funk, à la french touch évidemment. On n’a pas la prétention d’inventer quoi que ce soit, on rend hommage constamment à nos influences. Il y a un côté rétro, même dans le son. Récemment, un journaliste nous a demandé si cet album aurait pu exister en 1999. C’est possible. (rires) Enfin c’est du rétro modernisé, car la langue française n’était pas trop associée à ce genre de musique à la fin des années 1990.
Comment s’est déroulée la genèse de Pulsar?
Charles : La toute première idée était d’essayer de s’écarter un peu du format chanson, partir sur quelque chose de très dansant avec un format plus déconstruit. Bon, on est vite retombés dans nos travers. (rires) Mais ça a été difficile parce que nous avions cette date butoir de Coachella (le groupe était à l’affiche du gigantesque festival américain en avril dernier, ndr).
Au final, on a mis seulement sept-huit mois pour le réaliser. Ce qui peut être assez frustrant par rapport aux ambitions de départ. Quand on voit que Daft Punk ou Justice ont pris cinq ou six ans à chaque fois pour faire un disque, c’est un peu notre rêve. En même temps, c’est satisfaisant d’avoir réussi à le faire dans un temps imparti et de proposer quelque chose de très spontané.
Je suis assez fier de la manière dont on a réussi à recréer l’énergie qu’on a en live sur ce disque. Ce qui est difficile à faire à une époque où le son est très standardisé et où les techniques de production et d’enregistrement sont toutes les mêmes. Je suis content de la singularité avec laquelle on a réussi à le faire sonner. Pour la première fois, on a tout enregistré nous-mêmes dans notre studio, avec nos moyens, un magnéto, une carte son, pas mal de synthés, un peu à la débrouille. Je crois qu’on a acquis de bonnes compétences en termes d’autoproduction.
Flore : On s’est aussi ouverts à des collaborations avec d’autres artistes, vocaux, mais pas seulement. Quelque chose qu’on n’avait jamais testé avant, une expérience assez chouette, et donc c’est pour ça qu’il est un peu différent.
Charles : Ce disque a été un terrain de jeu en termes d’instrumentaux, en explorant un peu plus le uptempo, et en étant un tout petit peu moins exigeants dans le travail harmonique. Mais j’ai l’impression aussi que ça a été peut-être un plus gros défi pour Flore de s’adapter, de trouver la bonne façon de rendre les morceaux intéressants vocalement, surtout vu le peu de temps qu’on avait. Il fallait être très efficaces.
Les textes, c’est le domaine réservé de Flore?
Charles : D’une manière générale, on a fonctionné par équipes pour la création de cet album. Par exemple, Tom, le batteur, avec Achille, le guitariste, ou David, le bassiste, avec moi, ou encore Hagni, qui est aux claviers, avec Achille. Ce disque a été moins construit d’un seul bloc. Mais oui, il n’y a pas eu d’équipe « texte ». (rires)
Flore : ‘Amour Ex Machina’ a été écrit avec Fils Cara, mais sinon oui, je m’en occupe toute seule, puis je les soumets aux garçons. Pour le moment, il n’y a pas encore eu de proposition de texte de leur part.
Charles : Flore a trouvé sa propre façon d’écrire, de raconter des choses dans lesquelles je ne peux pas m’immiscer. Mais je me mets à sa place, c’est difficile d’écrire pour un groupe de six personnes, ce n’est pas forcément très inspirant, donc elle a écrit sur des thèmes qui la concernent. C’est plus vrai et plus sensible.
Y a-t-il souvent des débats entre vous sur les textes ou la musique?
Charles : Il y a constamment des débats. L’idée c’est vraiment d’être le plus démocratique possible. Pour ce qui est des textes un peu engagés, il doit y avoir un consensus parce qu’il ne faut pas que ça gêne qui que ce soit. Flore a tout notre soutien, même si on n’est pas engagés de la même façon. Mais au final, ces débats concernent beaucoup plus les instrumentaux. Quand je leur fais écouter des mélodies, il faut qu’on soit tous d’accord pour qu’elles soient conservées.
Pourquoi ce titre Pulsar?
Flore : C’est une façon un peu poétique d’exprimer ce que dit cet album. Les pulsars sont des objets astronomiques, issus de l’explosion d’une étoile en fin de vie, qui envoient des signaux, des ondes, à travers l’univers. Cette idée d’envoyer des signaux vers les autres et de partager des émotions avec le monde qui nous entoure se retrouve dans quasiment tous les morceaux de l’album.
Charles : Il y a aussi cette analogie entre le temps où on crée le disque, on l’enregistre, on le termine puis cette longue période d’attente jusqu’au moment où les gens vont pouvoir enfin l’écouter. Alors que pour nous, quand le public l’aura entre les mains, il sera rincé cet album. C’est ça qui est marrant. En plus, c’est le moment où tu commences à la promo et c’est difficile d’aller retrouver toute la fraîcheur de départ. On n’est plus du tout dans cette énergie.
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D’où vient l’effet « feel good » de votre musique?
Charles : On n’est pas un groupe capable de faire de la musique sombre, rock, trop méchante ou punk. Nous avons une approche très sensible de l’harmonie, et ce côté « feel good » passe par cette recherche constante de faire se rencontrer dans notre musique des émotions différentes, que ce soit la joie ou la mélancolie exprimée de manière positive. Je crois que pendant l’enregistrement, il y avait pas mal de soleil dans nos yeux et nos oreilles.
Est-ce difficile de faire cette musique positive, dans un monde qui va mal ?
Charles : Non, c’est aussi le rôle fondamental de la musique de divertir. Il y a beaucoup de chanteurs engagés qui vont suivre l’air du temps en parlant de problèmes récurrents et il y a aussi ceux qui font de la musique pour aider les autres à s’en échapper. Je nous vois plus comme un groupe « d’entertainers». Ce qui ne suppose pas non plus de fermer les yeux sur ce qui nous entoure.
Flore : On est tous d’accord pour dire que le monde va mal, mais en faire une chanson, je ne suis pas sûre que ça fasse avancer quoi que ce soit. Même pour nous, faire de la musique, c’est une façon de nous évader.
Charles : Ça me fait un peu penser au dernier film de Nakache et Toledano, Une année difficile. C’est super cette volonté de parler avec beaucoup d’humour du dérèglement climatique et des écologistes, mais au final, tu ne sais plus sur quel pied danser.
Au moment du deuxième album, vous regrettiez que les médias français vous boudent. Pensez-vous que cela va changer avec Pulsar?
Charles : Non, je n’en suis pas sûr. Et puis finalement, on s’y est fait. De manière très cynique, je pourrais rajouter que les médias sont devenus moins prescripteurs que Spotify. Mais en même temps, ça reste intéressant de pouvoir discuter et d’échanger parce que ça ne se passe pas comme ça chez les streamers. Mais dans le fond, j’ai toujours ce sentiment d’illégitimité. Même si on a de belles preuves du contraire, quand on joue comme l’an dernier à Rock en Seine devant 30000 personnes dans une ambiance incroyable.
Vous sentez-vous toujours mieux compris à l’étranger?
Charles : Il y a peut-être encore cette petite sensation. L’impression que les Anglo-Saxons ont plus la culture de «groupe» qu’en France où le home studio domine. Parce qu’un groupe, ça suppose des instruments, des locaux pour répéter. Des projets émergents qui arrivent à tourner en étant plus de deux, il y en a très peu. Personne ne veut prendre le risque, et c’est compréhensible, parce que ça coûte beaucoup plus cher en termes de matériel, de cachets. J’ai l’impression que tout va à l’encontre des groupes.
Comment imaginez-vous votre public en France?
Flore : En termes d’âge, il est très varié. On s’en rend compte à chaque concert ici et je trouve super de voir aussi bien des ados que des sexagénaires. C’est très bon signe et c’est précieux.
Charles : En revanche, comparé aux Etats-Unis, il est très «blanc». Là-bas, il est beaucoup plus mélangé. Mais d’une manière générale, aux USA, le public est différent, il a vraiment la culture du live avec des instruments et ça lui plaît qu’on fasse une sorte de pont entre des genres différents.
Quelles sont vos références musicales communes?
Charles : Free Nationals, Vulfpeck, Anderson Paak, Daft Punk et la french touch, Air, Phoenix, les Beatles, Michael Jackson. On aime beaucoup les musiques de film de Ennio Morricone, François de Roubaix, Hans Zimmer et avec Flore, on partage le même goût pour le smooth rock comme Michael Franks, que l’on adore.
Hagni (le discret clavier pointe le bout de son nez) : Je crois qu’on vient tous d’horizons différents ce qui à l’arrivée donne un beau melting-pot. On a des références communes qui ne sont pas que musicales, ça peut concerner la cuisine, le cinéma… On échange facilement autour de tout ça. Cela nous aide beaucoup pour construire notre musique. Quand on crée, on fonctionne beaucoup en termes d’images et de rêves et c’est donc important de parler le même langage.
Charles, tu as grandi à Saint-Germain-en-Laye. Toi, Flore, dans un village du Vaucluse. Cela change quelque chose pour vous ?
Charles : Oui, forcément. Je viens d’un milieu ultra-privilégié, avec une éducation bourgeoise, une grande maison, la vie de jardin et forcément, pas beaucoup de mixité. J’ai découvert le monde en sortant du lycée. Avant cela, mes parents m’avaient mis dans un internat catho privé infernal en Anjou, qui est quand même la région des fachos et des royalistes. J’étais entouré de gens comme ça. La musique a été un refuge énorme.
Avant l’internat, j’écoutais énormément de rap et de french touch, et là-bas je me suis fait une culture beaucoup plus large. Il y avait heureusement des mecs très cool, comme ce copain dans ma chambre qui était fan des Stooges et de Stevie Wonder et d’autres gros connards qui écoutaient quand même des super trucs. Finalement, la musique permettait aussi de s’affranchir de la barrière sociale.
Flore : J’étais vraiment dans la cambrousse et la french touch n’est pas arrivée dans le Vaucluse ! (rires). Je n’ai pas eu du tout le même accès à la musique que Charles. l’écoutais la même chose que mes parents et j’étais vraiment dans les années 1970 et 1980. Les Beatles, Pink Floyd, Led Zeppelin, les Rolling Stones. C’est très tard, quand je suis arrivée à Paris, que j’ai découvert la fameuse french touch. J’aime bien Daft Punk, mais ça ne me remue pas autant que les garçons qui sont tous vraiment très fans. Mais du coup, vocalement, je vais amener mon bagage à moi, qui est vraiment très différent.
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Quand on a joué en 2020 et 2024 à Coachella, se dit-on: «C’est bon, on y est arrivés »?
Charles : Non, pas du tout. Coachella s’inscrit dans une logique de développement du groupe aux États-Unis. C’est le résultat d’un travail d’une grosse équipe de tourneurs, manager, attachés de presse qui bossent avec nous. Comme c’est l’organisateur qui nous a programmés, ça prouve aussi qu’il y a plus de demandes aux États-Unis pour L’Impératrice.
On le constate avec notre prochaine tournée en septembre, où les salles sont beaucoup plus grandes. Donc Coachella, ce n’est pas une finalité. Au contraire, c’est une carte à jouer pour nous. Notre chance énorme, c’est de pouvoir nous renouveler avec des concerts au Mexique, en Amérique du Sud, en Europe et bientôt en Asie. Mais à chaque fois, ce sont des challenges, il faut repartir de zéro.