TraTraTrax, ADN de la musique électronique latino

par | 23 06 2025 | news

© TraTraTrax | VA – « Para sigue sigue, vol.3 »

En à peine cinq ans TraTraTrax, label colombien fondé par Nyksan, Verraco et DJ Lomalinda, a secoué la scène électronique mondiale. Né dans l’underground, il a imposé sur les dancefloors et festivals l’ADN de la musique électronique latino. L’explosion du tube « Xtasis«  de Nick León et Dj Babatr en 2022 a scellé sa renommée, et mis en lumière les genres célébrés par le label.

« Musique latine » n’est pas synonyme de ‘reggeaton’. Ici pas de J Balvin ou de Bad Bunny. Ici on plonge dans l’univers du label TraTraTrax et on suit à la lettre son moto : rendre à la musique électronique d’Amérique latine ses lettres de noblesse, au nom de toute sa richesse et de son hybridité. On passe à la loupe ce phénomène, qui s’est depuis répandu dans toute l’Amérique latine.

L’histoire de la musique électronique en Amérique du Sud, c’est celle d’un cheminement progressif. Victime du manque de rigueur des termes « musique du monde » et d’une méconnaissance par la scène internationale, ces acteur·ices ont poursuivi un long travail d’ombre. Des efforts qui portent enfin leurs fruits ! Au cours de ces deux dernières décennies, l’essor de cette scène est aujourd’hui fulgurant.

Prémices d’une musique électrique et latine

Tout commence avec des pionniers. Les premiers bidouilleur·eurses de machines apparaissent en Amérique du Sud autour des années 1960 et 70. En Argentine, à Buenos Aires, l’Institut Torcuato di Tella s’inscrit comme un haut lieu d’expérimentations musicales. On y voit, entre autres, passer José Vicente Asuar ou Jacqueline Nova qui explorent de nouvelles sonorités électroacoustiques. L’institut devient un point de rencontres et d’échanges pour compositeurs et étudiants du continent. Là-bas, on expérimente et on pose les bases de la musique concrète locale. De ces démarches se préfigurent une scène, qui s’enrichira des techniques développées dans ce laboratoire de la création. Quand le studio n’est pas qu’un empilement de machines, mais un réel instrument.

Rien d’étonnant. Le mouvement électronique reste longtemps confidentiel et éclaté, manquant d’un véritable marché professionnel et d’une visibilité internationale. On ne dira pas le contraire. En France, on se souvient davantage en 1967 de la sortie du « Téléfon » de Nino Ferrer que Messe pour le temps présent de Pierre Henry. Dans les rues aussi, en Amérique du Sud, on se laisse plutôt tenter par les genres populaires dominant le paysage culturel : soit la cumbia, soit le reggaeton.

Une explosion hybride

C’est au tournant des années 2000 que la musique électronique sud-américaine commence à prendre forme de manière plus visible et structurée. Longtemps marginalisée ou cantonnée à quelques cercles expérimentaux, elle va trouver un second souffle. Comment ? En se mêlant aux traditions musicales locales. Ce processus d’hybridation — parfois chaotique, mais toujours radicale et inventive — devient le moteur principal de son explosion.

Ces détonations sont entendues dans plusieurs pays du continent. Les artistes s’emparent de rythmes traditionnels — cumbia, champeta, música andina, merengue, bachata — pour les réinjecter dans des structures électroniques contemporaines : house, techno, bass music, dub, glitch, voire footwork. Ces croisements n’accouchent pas seulement d’une démonstration stylistique, ils donnent surtout naissance à une logique identitaire. L’électronique sud-américaine peut enfin se vanter de s’installer sur les tracklists des DJs !

Bastions de la musique électronique latina

En Argentine, par exemple, le label ZZK Records, fondé en 2008 à Buenos Aires, joue un rôle de précurseur dans cette dynamique. Il fait émerger une scène que l’on appellera la digital cumbia, portée par des figures comme Chancha Vía Circuito ou El Remolón. Ils intègrent samplers, beats minimalistes et textures électroniques à rythmes folkloriques andins ou amazoniens. Résultat ? Le son est reconnaissable aisément : lent, dense, hypnotique, souvent nourri d’enregistrements du quotidien pris sur le vif.

Au Mexique, c’est la montée du tribal guarachero qui illustre cette hybridation. Né dans les barrios populaires de Monterrey, le genre mélange percussions latines, synthétiseurs high-pitched, motifs préhispaniques et patterns dance music. Le collectif 3Ball MTY, formé en 2009 par de très jeunes producteurs – Adrián Dávalos, Erick Rincón et Sergio Zavala, en devient le fer de lance. Leur tube « Inténtalo » propulse le genre sur les scènes internationales, jusqu’à des événements comme les Billboard Latin Music Awards.

Ces artistes affirment une modernité proprement latino-américaine, sans calquer les modèles européens ou nord-américains. L’électronique devient une langue commune pour retravailler l’identité musicale du continent. Ce phénomène et cette scène commencent à s’archiver, à se documenter, à se défendre. À défaut d’avoir été intégrée aux récits dominants — souvent centrés sur Detroit, Berlin, Londres ou Paris —, la scène sud-américaine a choisi d’écrire sa propre version avec ses propres outils.

Au milieu de cette effervescence, le label TraTraTrax s’est affirmé comme une figure essentielle et fédératrice de toute une nouvelle génération d’artistes électroniques latino-américains.

TraTraTrax : bijou électrique et colombien

Né en 2020, le label colombien TraTraTrax s’est rapidement imposé comme un acteur clé de la scène électronique en Amérique du Sud — et au-delà. Fondé par DJ Lomalinda, Nyksan et Verraco, ce collectif a un mojo : créer un espace de convergence pour les artistes majeurs de la région, leurs amis et la diaspora latino.

Ce projet TraTraTrax s’est concrétisé notamment à travers une série de compilations baptisée no pare, sigue sigue, dont la première édition a reçu les honneurs en figurant dans le Top Compilations 2022 de DJ Mag. Cette série est pensée comme une mosaïque sonore, un furieux concentré où se croisent artistes confirmés et talents émergents de leur scène. Le label l’annonce : « ces morceaux sont faits pour danser, même debout sur une chaise Rimax« . Le ton est donné.

La troisième édition de cette compilation, sortie en novembre 2024, a réuni 16 titres signés par des noms tels que Coffintexts, Pluralist, Burna, Shapednoise, DJ Plead, Big Ever, et bien d’autres. À nouveau, TraTraTrax fait entendre le large spectre sonore des musiques électroniques latines, où le design sonore affûté rencontre des rythmiques puissantes et souvent futuristes.

Dans une Amérique du Sud où la musique électronique est souvent perçue à travers ses influences extérieures, TraTraTrax réussit un pari important : créer un pont entre héritage local et innovation globale, entre musique de club et expérimentation sonore.

L’aventure continue pour le label. Les artistes colombien·ne·s Julianna et DJ Lomalinda, figures du label TraTraTrax, viennent de remporter une bourse du True Music Fund, soutenu par shesaid.so et Ballantine’s. Grâce à ce soutien — un accompagnement professionnel et 100 000 £, leur concept de soirée Bamba s’exportera pour la première fois hors de Medellín. Fondées en 2024, ces soirées mêlent clubbing et engagement social, reversant une partie de ses bénéfices à des organisations locales comme Red Popular Trans.

Le duo prévoit une tournée dont les dates restent à annoncer, avec une équipe de production exclusivement féminine. Classe.