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Credit Photo : Marie Rouge
20 avril 2018

Wet For Me libère la femme depuis 10 ans

par Clémence Meunier

« Une soirée filles, pour les filles, par les filles, mais où les garçons sont les bienvenus » : depuis 2008, le principe des soirées Wet For Me n’a pas bougé. Elles ont eu beau changer de lieu et même de nom, ces booms déglinguées organisées par le collectif lesbien et féministe Barbi(e)turix fêteront ce samedi 21 avril leurs dix ans, évidemment en bonne compagnie : DJ-sets, lives et performances envahiront la Machine du Moulin Rouge (aussi bien le Central que la Chaufferie), comme Louisahhh, Maud Geffray, Myako ou encore Jeanne Added qui dans le cadre de sa carte blanche a invité Apollo Noir (l’un des deux seuls garçons du line-up) et Leonie Pernet. « Ca m’énerve quand j’entends les programmateurs qui disent ‘je n’ai pas booké de filles parce que je n’en ai pas trouvé’… C’est pourtant possible ! Mais il faut travailler deux fois plus, car elles sont moins visibles« , balaye RAG, DJ et programmatrice des Wet For Me, membre de Barbi(e)turix depuis 2009 – le collectif existant depuis 2004. A noter également, un effeuillage burlesque par Louise de Ville et une performance de drag-king. Drag quoi ? « Ce sont des femmes habillées en hommes qui tournent en dérision tous les codes ultra-masculins. Elles vont adopter des postures très viriles, se coller des poils ici et là, se dessiner des faux muscles et s’habiller en motard, en policier ou en plombier. L’idée est de se jouer des clichés, tout en finissant en effeuillage. Comme un show de drag queens, mais inversé ! », précise-t-elle, attablée au Bar à Bulles de la Machine. De quoi fêter en beauté une décennie de « débauche humide, dancefloor surchauffé, salives échangées, dramas gouines, tétons libérés, DJ-sets, lives et performances, scènes envahies, paillettes, boules à facettes et visibilité lesbienne« .

Dix ans d’humidité

Retour en 2006. Le Pulp existe encore, et cristallise l’immense majorité du clubbing lesbien parisien. Barbi(e)turix espère alors offrir une alternative aux filles qui aiment danser : « Le Pulp passait de l’électronique bien sûr, mais c’était souvent les mêmes artistes qui y revenaient, et le samedi soir la musique était très mainstream, comme dans une boîte généraliste. Au contraire, Barbi(e)turix proposait des soirées mensuelles, les ‘ClitoRise’. C’était le vendredi soir, avec des performances, des lives, des DJ-sets, et c’était gratuit !« . En plus du Pulp, pas mal de fêtardes finissent donc par converger vers la Flèche d’Or, lieu d’accueil de ces premières teufs, loin des Grands Boulevards ou du Marais, dans un quartier qui à l’époque ressemblait fort à un coupe-gorge. « C’est le tout début des soirées itinérantes : avant, on allait dans un club en particulier, là, on suit un collectif. Notre public a suivi Barbi(e)turix à la Machine ou au Cabaret Sauvage, il suit les House Of Moda à la Java mais aussi à la Folie parfois… Le clubbing a évolué, et notre collectif était là au tout début de ce phénomène. Les soirées ont été folles dès la première, il y avait une réelle demande« , se souvient RAG. Wet For Me voit le jour deux ans plus tard au Nouveau Casino. « C’était une autre ambiance, dans un club, où il fallait faire du chiffre, et avec l’équipe de la salle qui avait peut-être un peu de mal à comprendre la volonté de mettre des femmes en avant. Les programmateurs voyaient une bande de nanas arriver, donc ce n’était pas le métier premier que d’organiser des soirées, et ils ne nous prenaient pas vraiment au sérieux. Dès qu’on remplissait le lieu, les choses changeaient évidemment !« .

Et puis il y a eu Peaches, en 2011. Le Nouveau Casino est trop petit pour accueillir la foule, qui se presse alors sur le trottoir, avec tous les mouvements de foule que cela peut engendrer. Il fallait déménager, trouver plus grand. « Peggy de la Machine du Moulin Rouge nous a appelé. Elle nous a fait confiance tout de suite, en nous proposant d’investir le Central dès notre première soirée. C’est une salle très grande pour nous qui n’avions pas vraiment de têtes d’affiche. Mais le feeling est passé tout de suite, peut-être parce qu’on était entre femmes, contrairement à d’autres salles qui avaient des équipes clairement macho« . Solidarité féminine ? « Quand des femmes s’entraident, les gens voient ça d’un mauvais œil ou parlent tout de suite de sororité. C’est vrai, mais c’est quand même marrant que ce soit toujours soulevé alors que les hommes le font tout le temps. En tout cas, naturellement, on va essayer de se trouver des alliées« .

Topless et pédagogie

Depuis 2011, c’est donc le parfait amour entre les Wet et la Machine. Et le club de Pigalle ne s’en sort pas toujours indemne. « Nous public n’a pas forcément accès au clubbing de la même manière que les autres amateurs d’électro. On accueille beaucoup de filles donc, et notre public en général est très queer, gay ou lesbien – avec mélangé à tout ça des copains et quelques personnes arrivées par hasard. Comme il n’y a pas beaucoup d’offre pour ce public-là, quand la Wet arrive, elles sont au taquet ! A minuit elles sont déjà sur scène les seins à l’air », rit la programmatrice. « C’est ce qui fait la magie de ces soirées. Il y a ce qu’on propose bien sûr, mais aussi le public qui anime la soirée à lui tout seul« . Et si ces filles peuvent autant se lâcher, c’est que la Wet représente une offre de clubbing « safe », grâce notamment à pas mal de vente sur place – et donc à une maîtrise de « la porte », à savoir qui peut rentrer dans le club. « Quand les meufs ont envie de se mettre topless et de danser entre elles, elles n’ont pas forcément envie d’avoir un regard malveillant ou malsain. C’est malheureusement le quotidien des nanas qui aiment l’électro. J’ai d’ailleurs l’impression qu’il y a de plus en plus de filles qui viennent à nos soirées sans être lesbiennes ni queer, mais parce qu’elles aiment la programmation, ont envie de clubber, mais en se sentant en totale sécurité. Attention, les garçons sont toujours les bienvenus, mais ceux qui comprennent bien dans quel type de soirées ils sont. La porte de la Wet, c’est beaucoup de pédagogie ! ».

En dix ans de Wet For Me, RAG en a vu de toutes les couleurs. « Je connais les coins sombres des clubs. A chaque fois que j’y passe pendant une Wet, je tombe sur des filles en train de se câliner. Une fois, deux filles étaient sur scènes cachées dans les rideaux… Qui se sont ouverts. Et on s’est retrouvé avec deux meufs emmêlées en pleine lumière, c’était très drôle ! Mais le plus beau souvenir, sur une note un peu plus sérieuse, c’est la Wet qui a eu lieu juste après les attentats du 13 novembre. Il y avait une espèce de solidarité, une osmose, une bienveillance et beaucoup d’amour, avec Fever Ray aux platines. Ca faisait plaisir à voir. » Humour et amour, dramas gouines et engagement, programmation exigeante et paillettes… C’est de tous ces contrastes que se nourrit la Wet For Me depuis dix ans. Et, on l’espère, pendant dix ans encore.

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