La chanteuse américaine revient avec Describe, son deuxième album qui traite de la distance dans une relation amoureuse, réalisé avec Max Baby et Sora Lopez .
La fin du mois d’octobre n’est pas particulièrement clémente. Pourtant, quelques rayons de soleil parviennent à se glisser dans l’Aquarium, l’un des salons du branché Hôtel Grand Amour. Hannah Jadagu est à l’heure, après s’être promené dans la capitale. Le 4 novembre, elle performera au Pitchfork Music Festival, avant elle assurera les différentes dates de sa tournée européenne. Depuis 2023, et son premier album Aperture, la carrière de la Texane est en pleine expansion : la presse la félicite, les concerts se multiplient et les tournées s’enchaînent. Un succès non sans conséquences sur sa vie sentimentale. Dans Describe, deuxième album mêlant indie-pop, R&B et touches shoegaze, produit par Sora Lopez et Max Baby, Hannah Jadagu narre les difficultés d’une relation amoureuse à distance. Rencontre.
Quel est ton lien avec Paris ?
J’aime beaucoup Paris. J’ai réalisé mon premier album Aperture ici. J’avais 19 ans et j’étais venue toute seule. La ville me ramène ainsi à une version plus jeune de moi-même, elle me rappelle de bons souvenirs. Quand je pense à Paris, je ressens beaucoup de tendresse, donc c’est toujours génial de revenir.
À l’époque, tu es venue pour produire ton premier album Aperture à Paris avec le producteur français Max Baby. Comment est-ce que tu as entendu parler de lui ?
C’était grâce à ma manageuse qui connaissait son manager depuis longtemps. Elle m’a dit : « Je pense que Max serait un très bon producteur pour toi. ». Et elle avait raison. Il est un peu devenu comme mon grand frère parisien, c’était vraiment cool. Il m’emmenait dans ses endroits préférés, et j’avais l’impression que tout le monde à Paris le connaissait. C’était super amusant.
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Quand tu as sorti ton premier album, tu étais encore étudiante. Combinais-tu les deux ?
Ce qui est drôle, c’est que, le jour même — ou la veille — de la fin de la conception de l’album, je faisais déjà mes valises pour reprendre l’avion et retourner à l’école. Avec Max Baby, on a fait Aperture en très peu de temps. J’avais déjà écrit toutes les chansons avant. On a simplement travaillé ensemble pour les produire, les développer et les rendre plus abouties. Donc, quand je repense à cette période, jongler entre les cours et l’album, je ressens cette urgence, cette course contre le temps. Mais sur le moment, ça ne me paraissait pas fou, parce que c’était ma réalité. Les gens me demandent souvent : « Comment t’as fait ? », moi je réponds simplement : « j’ai fait ce que j’avais à faire ». (rires)

Aperture parlait de quitter sa ville natale, Describe évoque aussi le fait de partir, cette fois-ci en tournée, et de laisser derrière soi les gens que l’on aime. On a l’impression que le départ est un thème qui te suit ?
Je suppose que oui. Les gens me le font souvent remarquer. À la base, tu fais juste des chansons, c’est ensuite que les gens font des observations. J’aime bien qu’il y ait une sorte de fil conducteur, mais ce n’était pas intentionnel. C’est simplement arrivé comme ça. Mais cet album reflète une autre période de ma vie.
Sur Aperture, je parlais seulement de moi et du fait de grandir, de cette transition vers l’âge adulte. Depuis, je suis tombée amoureuse, j’ai vécu la distance, le manque. Mais d’une manière moins égocentrique qu’auparavant, c’est ce que je raconte sur Describe. Quand tu es jeune et adolescente, tu as l’impression que tout tourne autour de toi. Cette fois, c’est à propos de moi et d’une autre personne. Je pense que la différence est là.
Comment as-tu vécu le fait d’à la fois vivre ton rêve, mais en même temps de quitter la personne que tu aimes ?
C’est difficile (rires). Ce qui est dur, c’est justement cette dualité : réaliser quelque chose dont tu as toujours rêvé, mais le faire loin des gens que tu aimes. Pour moi, ça a été un vrai défi, parce que j’aime être entourée de personnes que je connais et qui me comprennent. Ça rend tout plus simple, surtout que je suis une personne assez introvertie. Mais oui, ça a été une épreuve, et ça m’a amenée à beaucoup réfléchir. Je me suis retrouvée à penser : « maintenant, je dois vraiment prendre en compte quelqu’un d’autre, je dois considérer comment mes choix et mes actions peuvent affecter les autres ». Et ça, c’était nouveau pour moi. En grandissant, j’ai toujours essayé d’être attentionnée, mais là c’était une autre forme d’apprentissage.
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C’est peut-être aussi pour ça que l’album est traversé par la culpabilité. Dans « More », tu dis : “Telling you ‘wish I could stay’ / With one foot almost out the door” — « Te dire ‘j’aimerais rester’ avec un pied déjà dehors ».
Oui, littéralement. Cet album est vraiment imprégné de culpabilité. J’en ressentais beaucoup à ce moment-là, et j’ai trouvé intéressant d’écrire là-dessus. Parce que, quand on pense aux chansons d’amour avec lesquelles on a grandi, elles parlent rarement de culpabilité, de distance ou même de ressentiment. Il y a tellement de façons de parler d’amour. Moi, je voulais explorer des zones plus nuancées.
L’album a été produit en grande partie avec le producteur Sora Lopez. Comment la rencontre s’est-elle faite ?
J’ai rencontré Sora à l’été 2023, pendant un de ces voyages à Los Angeles que ton équipe organise pour te faire rencontrer des producteurs — un peu comme un speed dating. Tu rencontres des gens et tu vois si tu aimes bien travailler avec, ou pas. Sora faisait partie des gens avec qui le courant est bien passé. Donc à l’été 2024, je lui ai envoyé un message et on a fait « Gimme Time », qui est le deuxième morceau de l’album. Après ça, j’ai réalisé qu’on pouvait faire d’autres choses ensemble parce que c’était naturel et fluide. J’ai donc décidé de faire tout le disque avec lui. Même si on était tous les deux encore jeunes et qu’on avait beaucoup de choses à apprendre.
Tu as dit que « Gimme Time » était l’une des chansons les plus personnelles que tu aies faites. Comment arriver à être intime avec quelqu’un que tu ne connais pratiquement pas ?
C’est difficile… (rires). Mais quand ça fonctionne, tu essaies de garder cette énergie et de voir jusqu’où vous pouvez aller ensemble. Je me souviens du jour où on a composé ce titre. On avait essayé plusieurs morceaux, mais rien ne marchait vraiment. Et puis, pendant la dernière heure, on s’est dit : “Allez, essayons juste de jouer quelque chose”.
Sora a commencé à jouer une mélodie au clavier, et moi à faire du freestyle. Une grande partie de la chanson est née comme ça, puis j’ai peaufiné certains passages. Après ça, j’ai fait venir Max, parce que je sentais qu’il manquait encore quelques batteries et guitares. Il a travaillé sur pas mal de chansons de l’album, c’était un peu la cerise sur le gâteau à chaque fois.
Il semble que tu aies toujours besoin d’être entourée de tes proches, même dans ton travail.
Oui. Ma devise c’est “keep family close” (« garde ta famille proche »). J’ai besoin de travailler avec des gens qui me connaissent. Même pour la pochette de l’album ou les clips, peu importe, j’aime travailler avec mes amis parce qu’ils me connaissent le mieux. Ils comprennent ce que je veux et ils me soutiennent totalement.
Tu t’es faite connaître avec What is going on, un EP que tu as composé entièrement toi-même. Maintenant que tu travailles avec des producteurs, est-ce que ton processus a changé ?
Ça a un peu changé, mais pas dans le sens auquel les gens pensent. J’écris encore la plupart des chansons seule, même quand je compose avec quelqu’un, c’est toujours moi qui écris les paroles. Le processus change dans le sens où je dois être plus ouverte, laisser quelqu’un d’autre apporter son talent et son expertise. C’est le plus grand changement et il est psychologique — il faut être prête à recevoir.
Est-ce que tu as envie de faire des featurings ?
Oui, bien sûr. Je pense que chaque artiste a cette personne dont il se dit “si elle était sur ma chanson, ce serait trop cool”. Moi, j’adore Rosalía, j’adore FKA Twigs, j’adore aussi Oklou — elle est française, non ? On l’aime beaucoup aux États-Unis. Elle a joué l’autre jour, mais j’étais en tournée, donc je ne pouvais pas la voir. Toi, tu aimes sa musique ?
Oui, carrément. Tu es inspirée par toute cette nouvelle vague de pop ?
Oui, ces filles sont toutes super cool. Elles sont probablement très inspirées par Björk que j’aime beaucoup aussi. De manière générale, j’aime la pop expérimentale.
On qualifie souvent ta musique de “bedroom pop”. Est-ce que tu aimes ce terme ?
C’est une très bonne question, les gens ne me la posent pas trop. Je pense que ce terme avait du sens avant car ma musique avait un côté extrêmement DIY, mais plus maintenant. Après, je comprends pourquoi on me classe encore comme ça, parce que je ne suis pas non plus en train de faire de la musique dans un énorme studio.
Techniquement, je produis encore ma musique dans des maisons, littéralement. Mais ce n’est plus du bedroom pop, qui est associé à une musique indie, très numérique et insulaire un peu comme “Pretty Girl”, la chanson de Clairo. Je trouve que mon disque ne ressemble pas à ça. Donc je ne m’identifie plus à ce terme. Par contre je considère que je fais de la pop.
Actuellement, tu es en pleine tournée. Est-ce que tu arrives tout de même à produire de la musique ?
Pour l’instant, je joue essentiellement pendant les concerts. J’aimerais vraiment pouvoir créer sur la route. Je pense que ça viendra avec le temps, les moyens et les ressources. Je n’en suis pas encore là, car je dois encore aider à charger le van, vendre le merch moi-même, chercher les chèques, aider le groupe. C’est un effort d’équipe. Mais j’aimerais atteindre un niveau où quelqu’un pourrait faire ça pour moi afin de me consacrer à l’écriture. Ce serait génial et luxueux.
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Comment te sens-tu avant ton passage au Pitchfork Music Festival à Paris ?
J’ai vraiment hâte. Je suis une grande fan d’Erika de Casier, j’ai très envie de la voir jouer. Et j’ai aussi hâte de jouer moi-même. Je veux écouter de la musique, rencontrer des artistes, et donner un très bon concert.
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