2022 est une année anniversaire pour le groupe indie rock new-yorkais DIIV. Voilà dix ans que l’album qui les a faits connaître Oshin est sorti. Pour célébrer ce premier album habité par des transgressions psychédéliques et aériennes, DIIV a sorti au début de l’été une version deluxe de l’album. Rencontre.
Lorsqu’on retrouve DIIV juste avant leur concert sur la scène Illuminations de Cabaret Vert on ne peut pas dire que les quatre musiciens soient très frais. Cole, Colin, Ben et Andrew sont affalés sur le large canapé de la salle d’interview qui nous est réservée. On les sent épuisés, pas très enclins au bavardage. Rien à voir avec le show qu’ils vont livrer quelques heures plus tard. Heureusement pour nous, au fil de l’entretien les langues se délient pour ensuite parler mal de dos et de la difficulté de concevoir un album.
Comment vous sentez-vous avant de monter sur scène ?
Tous : On est fatigués * rires*
Andrew : J’ai mal au dos et j’ai besoin d’aller pisser.
Ben : On s’est couchés tard et on s’est levés tôt. On est arrivés à l’hôtel à 2h du matin et on a dû partir à 9h ce matin (ils jouaient à La Route du Rock la veille NDLR). Mais bon, je suis impatient de jouer. On va être bons.
Cole : On est toujours un peu stressés de jouer. Je le suis en tout cas.
Avant chaque concert ? Vous faites des tournées depuis dix ans maintenant, c’est étonnant.
Colin : Je pense qu’on est constamment en train de se dépasser et d’essayer de rendre le concert différent, meilleur. On a l’impression qu’il y a un enjeu. Et nous avons des attentes assez élevées. Donc peut-être que notre nervosité vient de là .
Est-ce que votre vision des concerts a changé durant ces dix ans?
Ben : Oui, carrément. Ça semble plus complet aujourd’hui. Le show n’a pas fini d’évoluer, mais avant on jouait juste nos chansons et c’était tout. Et maintenant il y a un peu plus de multimédia.
Colin : Et aussi, on jouait nos chansons hyper rapidement, même pas de la manière dont elles étaient enregistrées ou écrites. Le show était axé sur l’énergie, uniquement sur l’énergie. Et beaucoup de nos compositions étaient en quelque sorte mélangées ensemble. Maintenant, il y a plus d’ambiances distinctes entre les différentes chansons, on dirait.
Ben : On travaille très dur sur la setlist. On ne la change pas radicalement d’un soir à l’autre mais si on peut l’améliorer un peu, on essaie de changer les chansons.
Cole : Quand on est un nouveau groupe, les gens n’ont pas d’attente. Ils ne connaissent pas vraiment les chansons. Donc ils répondent plus à l’énergie, les chansons n’ont pas à être jouées parfaitement, parce qu’ils ne les ont jamais entendues avant. Mais je pense que maintenant, c’est plus important de jouer les chansons comme elles sont censées l’être. Parce que les gens les connaissent.
Vous venez de sortir une réédition d’Oshin pour célébrer les 10 ans de ce premier album. Que représente-t-il pour vous ?
Andrew : Quand j’étais enfant, mon père prenait beaucoup de vidéos. Et quand j’ai grandi, il a essayé de les convertir en DVD. Dans chaque DVD, en raison de sa capacité, il y avait un morceau de ma vie qui durait environ deux ou trois ans. Et c’est un peu ce que je ressens avec cet album. Quand je l’écoute, c’est comme si je regardais une vidéo amateur de ces deux ou trois ans.
Cole : Comme un nouveau-né.
Quel était votre état d’esprit à l’époque, quand vous travailliez sur Oshin ?
Cole : Je pense qu’on l’a réalisé à l’époque pour notre communauté locale. Nous n’avions pas la moindre idée qu’il quitterait vraiment New-York. On voulait juste faire quelques concerts avec nos amis. Oshin semble être le fruit de cet environnement.
Et comment votre vie a-t-elle changé depuis cet album ?
Ben : Cole et moi sommes mariés. Pas l’un à l’autre. *rires*
Colin : Et on a mal au dos maintenant.*rires*
Ce n’est pas difficile de monter sur scène avec ce mal de dos ?
Andrew: C’est étrange parce que quand le concert commence, on ne sent pas grand chose.
Colin : On a beaucoup d’adrénaline.
Andrew : L’autre jour, j’ai commencé à avoir mal au dos au milieu du set. J’étais là en mode : « Oh man, maintenant ? » *rires*
Est-ce qu’il y a un·e kinésithérapeute qui vous suit sur la tournée ?
Collin : Oui, on en a fait venir.
Andrew : Apparemment, je ne m’étirais pas et ne m’asseyais pas correctement. Et j’en fais trop. J’ai une personnalité comme ça.
Cole : Je m’assois mal en ce moment. *rires*
Colin : La plupart des gens s’assoient mal.
Comment sommes-nous censé·es bien nous s’asseoir ?
Colin : Comme cela, droit.
Andrew : J’avais une colocataire qui s’asseyait comme ça tout le temps (s’assoit droit, loin du dossier les jambes collées, NDLR). Elle m’a dit : « Imagine un point droit au dessus de ta tête. Tes épaules vont naturellement en avant, mais tu veux les basculer vers l’arrière ». Après tu t’habitues à t’asseoir comme ça, j’imagine.
Pour revenir à la musique, votre dernier album Deceiver, était plus sombre, avec des influences métal. Vous êtes même partis en tournée avec un groupe de métal. Était-ce vital pour vous de trouver une nouvelle direction, à ce moment ?
Andrew : Ouais, nous n’y avons jamais pensé de la sorte ou formulé comme ça. Mais oui, je pense que les choses auraient été différentes si nous n’avions pas pris cette direction. Probablement pour le pire.
Pourquoi pour le pire ?
Andrew : Peut-être qu’on s’en serait lassés ou qu’on se serait sentis rassis, comme si on se vendait. On a construit cette fanbase et on aurait pu continuer à donner ce qu’elle attend. Mais ça aurait été un peu insipide. Ou alors on pouvait faire quelque chose qui nous intéressait vraiment et peut-être perdre quelques fans mais aussi en gagner beaucoup. C’est ce qu’on a fait.
Et comment parvenez-vous à vous dépasser album après album ?
Ben : Comment avez-vous changé en 10 ans ? C’est une question difficile à répondre pour n’importe qui, et encore plus quand on essaie d’inclure notre sens artistique. Je ne sais pas… ça semble naturel pour nous. On essaie juste de faire des choses qui nous excitent toujours. Et comme nous sommes des personnes différentes maintenant, il est logique que ce que nous faisions il y a 10 ans ne nous excite plus de la même manière.
Cole : Nous aimons tous vraiment différents types de musique. Il y a tellement de musique qui sortent et tellement de directions à prendre. Beaucoup d’artistes disent qu’ils font de la musique pour eux-mêmes. Mais j’ai l’impression qu’on la fait pour chacun d’entre nous. En tout cas pour moi, c’est ça. Quand j’imagine la réaction du public, je me demande en fait ce que les gars vont dire dans notre discussion de groupe. Ou s’ils vont juste dire quelque chose… *rires*
Colin : Le silence est la réponse la plus forte. Parfois tu envoies une démo, et personne ne répond. Et t’es là : « Ok, ce n’était pas bon ».
Andrew : C’est comme quand tu vas au magasin d’art, et que tu veux faire de l’art. La dernière fois que vous y êtes allés, vous avez pris des trucs qui vous ont émerveillés le lendemain. Mais la prochaine fois que vous allez faire de l’art, vous allez aller dans un rayon différent. *rires*
Cole : Tout le monde achète des trucs dans les magasins d’art au lieu de les voler. *rires*
Est-ce que par conséquent, jouer vos premiers morceaux n’est plus stimulant ?
Colin : Non ça l’est toujours !
Andrew : Mais pour des raisons différentes.
Cole : En fait j’ai l’impression qu’une partie de la façon dont nous changeons, c’est juste nous qui évoluons. Mais il y a quelque chose qu’on avait à l’époque et à laquelle je voudrais toujours m’accrocher : une excitation, une étincelle. À l’époque c’était comme si nous devions faire de la musique. Nous voulions nous rendre heureux avec ce que nous faisions. Même si on n’aimait pas grand-chose en nous, notre musique était réelle.
Et vous travaillez actuellement sur votre prochain album. À quoi va-t-il ressembler ?
Colin : Nous sommes très excités. Ça sonne super bien. C’est probablement l’album dont on est collectivement le plus excité. Ben, tu parlais hier du fait que c’est notre plus grand écart.
Ben : Les deux premiers albums étaient similaires mais aussi singuliers. Et après Deceiver, ce n’est pas comme si nous pouvions revenir à ce qu’on faisait avant. Donc, d’une certaine manière, ce prochain album est un mélange de nos trois opus. Mais c’est aussi quelque chose de totalement distinct.
J’ai pu voir que vous avez laissé une marque utiliser des démos que vous n’avez pas gardé sur cet album parce qu’elles ressemblaient trop à Deceiver. Est-ce que la nouveauté est quelque chose vous cherchez dans votre travail ?
Colin : Pas nécessairement la nouveauté, parce que, inévitablement, certaines des chansons qui sont sur le nouvel album sont vieilles maintenant. Mais elles ont toujours quelque chose de spécial. J’ai l’impression que ce qui nous intéresse le plus maintenant, c’est de trouver un ensemble de chansons qui font sens ensemble. Et celles qu’on a faites pour cette campagne ne collaient pas forcément. Donc c’était logique de faire un bÅ“uf dessus.
Cole : Oui, la nouveauté est vraiment tentante. C’est comme un truc brillant. Je veux toujours faire des trucs bizarres au lieu de faire de la bonne musique. Mais parfois ça ne tient pas la route. Et souvent, c’est juste la mauvaise chose à faire.
Ben : Mais c’est aussi difficile, parce qu’il faut tellement de temps pour faire un album que l’on est tenté d’abandonner des choses qui ne sont même pas encore terminées. Donc tu dois vraiment te concentrer et te consacrer à finir l’idée originelle, même si elle n’était plus nouvelle pour toi. Tu dois donc croire en la chanson et te rappeler que quelque chose te stimulait.
Mais avez-vous déjà pensé à utiliser un autre nom de groupe pour faire d’autres choses ?
Tous : On y a pensé ! *rires*
Ben : Mais nous prenons beaucoup de temps pour faire un album. Donc c’est un peu difficile d’imaginer de faire plusieurs choses à la fois.
Colin : C’est drôle, cependant, parce qu’il semble de plus en plus commun maintenant que les groupes sortent beaucoup de disques. Ce n’est pas un commentaire sur la qualité de la musique qui en souffre ou je ne sais quoi, juste je pense que ces groupes travaillent différemment. Mais c’est tentant d’en faire plus parce que nous avons beaucoup de démos. J’ai l’impression que les disques que nous faisons sont sacrés pour nous.
Cole : Chaque disque est un ensemble des meilleures hits de nos démos.
Colin : Comme Ben l’a dit, c’est beaucoup de travail. Et il y a cette lutte interne éternelle où, par exemple, tu obtiens une chanson dont tu es content. Tout le monde dans le groupe est excité, on l’écoute et on se dit : « Mec, cette chanson déchire », et puis on commence à travailler sur la suivante. Et finalement, les chansons s’améliorent, certaines sont laissées de côté. Et la chanson pour laquelle vous étiez vraiment excité trois mois avant, tout d’un coup, c’est comme si elle était moins cool. Faire un album est donc un équilibre constant entre tous ces matériaux différents.