Le 23 septembre prochain, les trublionĀ·nes du rock britannique festif de Sports Team sortent leur second album GULP ! En 2020, ils avaient dĆ©jĆ secouĆ© la scĆØne d’outre-Manche avec Deep Down Happy. Un premier opus tintĆ© de sonoritĆ©s garage amĆ©ricaines, qui leur avait valu d’ĆŖtre nommĆ© au prestigieux Mercury Price. Rencontre avec Alex Rice, chanteur de cette formation un peu Ć part dans le paysage musical UK.
Petits éléments de contexte pour nos lecteur·trices qui ne vous connaîtraient pas, comment vous êtes-vous rencontrés ?
On s’est tous rencontrĆ©s Ć l’universitĆ© de Cambridge. Quand les autres Ć©tudiantĀ·es sortaient en boĆ®te ou dans les bars, on Ć©tait toujours terrĆ©s, on s’asseyait pour Ć©couter des disques. TrĆØs vite, on a rĆ©alisĆ© qu’on Ć©tait le genre de gamins Ć avoir une guitare accrochĆ©e au mur. Tout le monde en connaĆ®t. On a commencĆ© Ć jouer dans des bars pour le plaisir. On disait que c’Ć©tait une fĆŖte afin que Ƨa ne soit pas trĆØs cher et que les gens puissent venir. Puis on a dĆ©mĆ©nagĆ© Ć Londres, on avait des emplois normaux. On s’est lancĆ©s trĆØs lentement. Et puis, on a rencontrĆ© un manager/avocat dans un endroit appelĆ© The Old Blue Last. De lĆ , on a commencĆ© Ć composer plus de chansons. En fait cāest comme si on Ć©tait tombĆ© dedans, sans jamais en avoir pris la dĆ©cision. Soudainement, on Ć©tait un groupe Ć plein temps. Je pense qu’on a rĆ©alisĆ© que Ƨa devenait sĆ©rieux quand on faisait des concerts de plus en plus gros. Parce que tu peux participer Ć une Ć©mission de radio, avoir un article dans la presse, ce n’est jamais aussi tangible que quand tu vois des gens devant toi.
Votre premier album Deep Down Happy est sorti en juin 2020. Je ne sais pas comment c’Ć©tait au Royaume-Uni mais pour nous, en France, il n’y avait pas vraiment de concerts ou de festivals. Comment l’avez-vous dĆ©fendu ?
Comme c’Ć©tait notre premier album et que nous Ć©tions un nouveau groupe, nous n’avions pas d’autre choix que de le sortir. C’Ć©tait prĆŖt. Et on ne s’attendait pas vraiment Ć ce qu’il ait autant d’Ć©cho. Je sais qu’il n’a pas une grande notoriĆ©tĆ© en France, mais au Royaume-Uni, Deep Down Happy a changĆ© nos vies du jour au lendemain. On a Ć©tĆ© numĆ©ro 2 dans les charts, on a Ć©tĆ© nommĆ©s au Mercury Price. On a alors vraiment dĆ©testĆ© le fait de ne pas pouvoir donner de concert. C’Ć©tait le pire moment. On ne faisait que repousser les dates. On a fini de jouer les dates prĆ©vues pendant le COVID qu’en dĆ©cembre dernier. C’Ć©tait trĆØs bizarre, mais comme nous vivions tous ensemble c’Ć©tait surement un peu plus facile pour nous que pour les autres. On avait cette maison qui correspondait aux clichĆ©s rock’n’roll sombres qu’on peut imaginer. On fĆŖtait la sortie de Deep Down Happy en buvant une biĆØre, sur un banc dans un parc. C’est tout ce qu’on pouvait faire Ć l’Ć©poque. Sortir ce second opus Gulp !, c’est comme si c’Ć©tait notre premiĆØre fois. C’est la premiĆØre fois qu’on a pu faire des concerts chez des disquaires, rencontrer des gens, en parler lors des festivals.
Comment avez-vous vécu ces dernières années en tant que groupe ?
Pas vraiment bien. Je pense qu’on a fait partie des plus chanceux. On a eu la chance d’avoir le soutien d’une grande maison de disque. Il y a la crise du coĆ»t de la vie aussi, ce qui est vraiment triste. On remarque que le public vieillit un peu. Les kids ne peuvent plus se payer des billets. La pandĆ©mie a encore des rĆ©percussions sur la faƧon dont la musique fonctionne. Mais tu peux aussi ajouter le Brexit Ć la soupe. Ća a soudainement rendu les tournĆ©es en Europe beaucoup, beaucoup plus difficiles. C’est une vĆ©ritable tempĆŖte pour les groupes britanniques. Mais on est encouragĆ© par le fait que la musique semble toujours dĆ©sirĆ©e, on n’a pas l’impression que la demande ait disparu. Il y a une sorte de grande poussĆ©e vers l’individu en ce moment et je pense que les gens ont malgrĆ© tout toujours ce besoin de transcendance. Quelque chose qui nous sort de notre vie quotidienne, nous donne ce sentiment de communautĆ©. Et je pense que la musique live joue ce rĆ“le. Nos concerts ont toujours voulu ĆŖtre une sorte de moment cathartique pour les gens pendant une heure et demie.
Et j’ai lu que Ƨa a Ć©tĆ© compliquĆ© pour vous, de trouver votre place dans le renouveau de cette scĆØne rock britannique. Pensez-vous lāavoir trouvĆ©e aujourd’hui ?
Oui, c’est vrai. Je pense que le climat dans lequel nous sortons notre disque est vraiment diffĆ©rent de ce qu’il Ć©tait quand nous avons sorti le premier. Beaucoup de gens faisaient cette musique post-punk inspirĆ©e de l’automne. Mais pour moi, quand je rencontrais ces gens, j’avais l’impression qu’ils Ć©taient des poseurs, qu’ils jouaient la comĆ©die. DĆØs que tu les rencontres en dehors de la scĆØne, ils sont souriants, et prennent une biĆØre avec tout le monde. Je me demandais : « pourquoi faites-vous cette sorte de personnage boudeur quand vous ĆŖtes sur scĆØne ?Ā Ā».Ā Maintenant quand tu regardes des groupes au Royaume-Uni, comme Wet Leg – qui a fait notre premiĆØre partie Ć Brixton en dĆ©cembre – , le groupe Irlandais The Dinner Party ou Courting, on a l’impression de faire partie du bon mouvement. Je pense qu’une grande partie de ce que nous essayons de faire, cāest de parler de sujets vraiment sombres mais de faƧon Ć ce qu’Ć la sortie du concert on se sent mieux dans sa peau. On est entourĆ© de groupes qui font quelque chose qui semble joyeux, grand et grandiose, ils ont l’air heureux d’ĆŖtre sur scĆØne et d’ĆŖtre dans un groupe ensemble. Et je pense que Ƨa a manquĆ© Ć la musique pendant un certain temps.
Comment avez-vous abordƩ ce second album ? Aviez-vous peur de dƩcevoir les gens ? Est-ce que vous aviez beaucoup de pression ?
C’Ć©tait amusant. Mais on avait l’impression d’avoir plus de pression pour celui-ci. Lors de la sortie du premier album, comme on Ć©tait un groupe inconnu, le label, et nous-mĆŖmes Ć©tions plus en mode : « espĆ©rons le meilleur, mais voyons ce qui se passeĀ Ā». DĆØs que tu as un profil, que tu es Ć©tabli, tu as soudainement rencontrĆ© 20 personnes de plus qui travaillent sur lāalbum. Je pense quāil a fallu essayer de garder une vision claire au milieu de tous ces gens rĆ©actifs.Ā Pour nous, Ƨa a toujours Ć©tĆ© la musique live. On a gardĆ© cet objectif sur ce disque, mais je pense quāil est musicalement plus intĆ©ressant. Ć prĆ©sent on joue sur des scĆØnes principales, et on ne peut plus jouer du punk rock dĆ©braillĆ©. Ća sonne mal et c’est juste trĆØs vide. Sur Gulp! on a par exemple un morceau avec des trompettes, on utilise Ć©galement plus les claviers, comme un groupe multi-instrumentiste. On essaie juste de faire que notre son sonne de maniĆØre plus complĆØte quand on est sur ces grandes scĆØnes.
Quelles Ʃtaient donc vos influences pour cet album ? Apparemment, vous avez une obsession pour Brian Ferry.
Quand on a Ć©crit Gulp! on a Ć©coutĆ© plein de Brian Barry, parce quāil y a quelque chose chez lui qui nous faisait penser, du moins pour moi, Ć un monde Ć part. La faƧon dont il s’habille et fait cette musique incroyablement glam, Ƨa paraĆ®t naturel. Quand tu penses Ć la « performanceĀ Ā», tu ne veux pas voir quelque chose qui a l’air accessible. Tu veux voir quelque chose qui te donne l’impression d’ĆŖtre en dehors de ta vie de tous les jours et ensuite tu te confrontes Ć celle-ci. Le single « The DropĀ Ā» (sorti dĆ©but aoĆ»t, NDLR) est trĆØs inspirĆ© par Bryan Ferry. Le sujet est sombre : « Katie est morte en attendant le bon moment pour prendre sa retraiteĀ Ā» (paroles ouvrant le morceau, NDLR). Les gens grandissent et ils ne savent jamais vraiment quelle est la bonne chose Ć faire… et ils attendent et attendent. Avant qu’on ne le sache, tout est parti, on ne profite pas du voyage. Cāest une chanson sur ce sentiment. Mais il y a aussi ces sursauts de trompettes qui sont trĆØs lumineux.
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Y-a-t-il eu d’autres influences ?
En termes de sons de guitare, il y a beaucoup de punk nĆ©o-zĆ©landais et australien qui ressort comme Amyl and the Sniffers. Ce qu’ils font en ce moment est gĆ©nial. Notamment en ce qui concerne la faƧon dont leurs sons de guitare fonctionnent. Je pense qu’il y a aussi un peu plus de scĆØne pub rock, avec des groupes britanniques comme Eddie & The Hot Rods ou The Dudes.
Tu dis que votre son a un peu changƩ. Est-ce que par consƩquent, quand vous jouez une chanson de votre premier album, cela vous ressemble toujours ?
Le premier album puise dans des expĆ©riences trĆØs spĆ©cifiques de notre enfance. Avec ce second album, on ne pouvait plus prĆ©tendre quāon avait un quotidien normal. Quand on lāa Ć©crit, on a donc essayĆ© dāexploiter des expĆ©riences humaines plus larges et l’anxiĆ©tĆ©, qu’il s’agisse de grandir ou de vivre ensemble. Ou encore comment se sentir accompli dans ce monde, ou comment faire face Ć une contrariĆ©tĆ©, quand tu es profondĆ©ment enfoncĆ© dans le sol, que tu creuses et que tu ne fais qu’empirer les choses. On en parle dans le morceau « DigĀ Ā». Je pense quāen tant que groupe, on a toujours eu pour projet de trouver une faƧon de vivre dans un monde assez difficile. ThĆ©matiquement, cet album est donc assez diffĆ©rent. Mais on aime toujours jouer les morceaux du premier. Je pense que dĆØs qu’on s’en lassera, on arrĆŖtera de le jouer, mais ce n’est pas encore le cas. Pour ĆŖtre honnĆŖte, Ć cause de la pandĆ©mie, Ƨa ne fait que six mois quāon le joue beaucoup. C’est dingue de voir la rĆ©action des kids. Les gens postent tout le temps « Hereās the thingĀ Ā», dĆØs qu’il y a un contexte appropriĆ©. Par exemple lorsque que lāĆ©quipe fĆ©minine britannique de football a gagnĆ© lāEuro. Le refrain « lies, lies, liesĀ Ā» est beaucoup utilisĆ© pour tout qui se passe en politique.
Comment avez-vous travaillĆ© sur cet album ? Lāavez-vous Ć©crit en tournĆ©e ou ĆŖtes-vous directement allĆ©s en studio ?
Notre guitariste Rob commence toujours Ć Ć©crire les chansons, il rĆ©alise lāossature puis on travaille dessus. En gĆ©nĆ©ral, il y a beaucoup de jours de prĆ©-production dans une salle de rĆ©pĆ©tition, pour essayer de trouver des rythmes. C’est ce qui permet de dĆ©passer les limits qu’on se pose en tant que musicien. On obtient un son plus unique. Nous avons donc commencĆ© Ć Ć©crire Gulp! presque immĆ©diatement aprĆØs la sortie de notre premier album. Des concerts ont commencĆ© Ć ĆŖtre annulĆ©s assez rapidement Ć cause du Covid. On a alors trouvĆ© un chalet dans une zone trĆØs rurale du Royaume-Uni et on a commencĆ© Ć travailler pendant deux semaines. Et mĆŖme lĆ , nous avons Ć©tĆ© mis Ć la porte parce que le conseil municipal a dĆ» fermer toutes les propriĆ©tĆ©s supplĆ©mentaires en raison de la pandĆ©mie. C’est doncĀ Ć Bath que nous avons enregistrĆ© une grande partie de l’album, avec le mĆŖme producteur que pour le premier album. Comme on le connaĆ®t bien, on pouvait lui envoyer des petits bouts et il pouvait nous faire des retours, du genre : « Je ne suis pas sĆ»r que Ƨa marche, tu vas avoir besoin d’un rythme qui sonne comme ƧaĀ Ā».Ā Ća a toujours Ć©tĆ© un processus trĆØs collaboratif. Ce nāest pas un processus d’Ć©criture assis, on ne sort pas des livres pour Ć©crire. On passe plutĆ“t des heures Ć essayer de trouver la bonne sensation, le bon son ou le bon rythme de batterie. Et puis soudain, tout sonne comme une fĆŖte. On essaie de capturer cet Ć©tat dāesprit : lāexcitation d’ĆŖtre avec des gens et de faire de la musique en groupe.
Contrairement à vos paroles, vos mélodies sont toujours joyeuses. Est-ce que vous allez écrire une chansons autant triste dans les paroles que dans la mélodie ?
Je pense que nous essayons de prendre cette direction autant que possible, mais cāest quelque chose quāil faut apprendre Ć faire. « Light IndustryĀ Ā», qui clĆ“t l’album, est assez triste. Et une chanson comme « Cool it kids » l’est aussi. On a fait appel Ć Asha de Sorry, pour essayer d’adapter le morceau Ć sa voix, qui a tellement d’incertitude en elle. Je pense qu’on aimerait un jour Ć©crire une belle chanson, comme « ImagineĀ Ā». Mais c’est un tel mĆ©tier de faire de la musique qu’on n’en est pas encore lĆ .
Tu parles beaucoup de tes fans en les appelant kids, quelle est ta perception sur les fans jeunes ? Ils sont souvent décriés dans les médias, notamment les jeunes filles. Sports Team a même un groupe WhatsApp avec ses fans.
Pour nous cāest super important dāavoir des fans jeunes. Ils sont ouverts Ć plein de genres musicaux. Cāest marrant, parce quāon on a vu beaucoup de nos fans grandir depuis les premiers concerts. Ils venaient quand ils avaient peut-ĆŖtre 16 ans et maintenant ils ont 21 ans et font des choses incroyables.Ā Je pense que nous les trouvons aussi inspirants qu’eux nous trouvent inspirants… enfin je lāespĆØre. Et puis selon moi, la relation avec les fans a Ć©voluĆ©. Ce nāest plus pareil quāil y a dix ou vingt ans avec les groupies, et où le groupe avait l’ascendant. CāĆ©tait sordide. Les groupes ne vendent plus des millions de disques dans le monde. On compte maintenant sur les gens pour nous soutenir, nous guider et nous aider Ć tenir le coup. C’est devenu une sorte de relation Ć double sens. Donc ouais, avoir un groupe WhatsApp avec eux semble vraiment naturel. Dans quelques semaines, nous organisons un voyage en bus Ć Margate, où vit la moitiĆ© du groupe. Comme aucun de nous n’a grandi Ć Londres, on a toujours voulu que les gens puissent venir Ć nos concerts sans avoir Ć dĆ©penser de l’argent dans le train pour s’y rendre. Alors on a mis en place des bus qui vont lĆ -bas et emmĆØnent les gens. C’est un concert gratuit. On essaye de faire beaucoup de choses comme Ƨa.
Et avez-vous prƩvu de jouer en France bientƓt ?
Oui. Je crois que Paris est la derniĆØre date de notre tournĆ©e europĆ©enne. On est tellement excitĆ©s ! On a beaucoup d’amis Ć Paris et on a passĆ© de chouettes soirĆ©es lĆ -bas dans les bars. Donc ouais, je suis impatient. DerniĆØre date, the big one.
Sports Team jouera le 21 novembre Ć la Boule Noire Ć Paris.